Marcia Burnier
Cambourakis, 2020
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que depuis quelques années la parole des femmes se libère. L’affaire Weinstein et le hashtag Metoo l’ont permis. Mais ils ont surtout rendu les esprits plus réceptifs aux discours révélant l’oppression subie par les femmes et par les plus vulnérables. Encore vaut-il mieux avoir l’art et la manière de se faire entendre, à l’instar de Vanessa Springora l’année dernière, ou qu’une dimension « people » fasse caisse de résonance, comme c’est le cas actuellement avec le livre de Camille Kouchner.
Mais qu’en est-il des femmes ordinaires, celles qui n’ont d’autre recours que celui de se rendre dans les froids locaux d’un commissariat pour y porter plainte, au risque de se faire plus ou moins gentiment éconduire, voire d’en ressortir avec le poids d’une culpabilité qui serait celle d’avoir porté une jupe trop courte, un décolleté trop profond ou de n’avoir pas su affirmer un « non » suffisamment clair ?
La culpabilité a-t-elle vraiment changé de camp ? Et d’ailleurs, de quelles peines les agresseurs écopent-ils effectivement ? L’une des protagonistes du roman de Marcia Burnier n’a quant à elle aucun doute sur la relative impunité dont bénéficient aujourd’hui encore les hommes : la revente de 20 grammes d’herbe ou l’outrage à agent seraient bien plus sévèrement punis que les violences conjugales ou qu’un viol commis dans les antichambres feutrées du pouvoir, que celui-ci soit politique ou économique…
Aussi Lucie, Mia et quelques autres jeunes femmes toutes psychiquement atteintes par une agression sexuelle décident-elles de se regrouper, non seulement pour se soutenir mutuellement, mais surtout pour mener des opérations commandos chez leurs agresseurs. Attention, pas de représailles physiques ! Non, juste de quoi faire passer la peur du côté de ceux qui ont joui de leur domination. Juste de quoi connaître enfin un sentiment de justice dont on les prive.
Voilà un sujet bien scabreux. Oeil pour oeil, se faire justice soi-même en dehors de tout cadre légal : une telle tentation est-elle justifiable ? Je dois dire que j’avais quelques appréhensions en ouvrant ce livre. Mais les protagonistes elles-mêmes ne passent pas à l’acte sans se poser ces questions, et la pertinence de la réflexion sur le pouvoir des hommes, qui reste extrêmement dominant, donne une autre dimension à ce roman. On est loin d’un plaidoyer en faveur de la vengeance : il s’agit plutôt de pointer les insuffisances d’une justice écrite par les hommes et prononcée en leur faveur. Et, face à cela, de mettre en oeuvre une sororité - un mot que je n'affectionne pas particulièrement mais qui est employé par l'auteure - affirmée, convaincue et active, pour mettre fin au patriarcat. Une dynamique qui se traduit dans l’écriture même de Marcia Burnier, une écriture sans temps mort, empreinte d’une belle énergie, rendant ses héroïnes et leur combat extrêmement convaincants.
C'est Fanny qui m'a donné envie de le lire, lors du calendrier de l'avent. Et il est désormais dans la sélection des 68 Premières fois.
Sélection 2021
Premiers romans :
- Avant elle, Johanna Krawczik (Héloïse d’Ormesson)
- Avant le jour, Madeline Roth (La Fosse aux ours)
- Bénie soit Sixtine, Maylis Adhémar (Julliard)
- Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres)
- Danse avec la foudre, Jeremy Bracone (L’Iconoclaste)
- Grand Platinum, Anthony Van den Bossche (Le Seuil)
- Il est juste que les forts soient frappés, Thibault Bérard (L’Observatoire)
- Indice des feux, Antoine Desjardins (La Peuplade)
- L’enfant céleste, Maud Simonnot (L’Observatoire)
- Le doorman, Madeleine Assas (Actes Sud)
- Le Mal-Epris, Bénédicte Soymier (Calmann-Levy)
- Les après-midis d’hiver, Anna Zerbib (Gallimard)
- Les cœurs inquiets, Lucie Paye (Gallimard)
- Les grandes occasions, Alexandra Matine (Les Avrils)
- Les Monstres, Charles Roux (Rivages)
- Les orageuses, Marcia Brunier (Cambourakis)
- Nos corps étrangers, Carine Joaquim (La Manufacture de livres)
- Sept gingembres, Christophe Perruchas (Le Rouergue)
Deuxièmes romans :
- Le sanctuaire, Laurine Roux (Le Sonneur)
- Les nuits d’été, Thomas Flahaut (L’Olivier)
- Over the Rainbow, Constance Joly (Flammarion)
- Tant qu’il reste des îles, Martin Dumont (Les Avrils)