Rouda
Liana Levi, 2025
Dans une cité de la banlieue parisienne, Zac, 23 ans, est à la recherche de son frère Martin. De deux ans son cadet, celui-ci a disparu depuis plusieurs jours, ce qui ne lui ressemble pas. Certes, les liens familiaux se sont distendus. Leur père, une fois sorti de l’usine Findus où il travaille, ne pense qu’à ses séances de sport ; leur mère déprime depuis qu’elle végète dans des emplois qu’elle n’a pas choisis et Martin ne fait pas grand chose de sa vie depuis qu’il a miraculeusement décroché son bac l’année du Covid. Seul Zac semble tirer son épingle du jeu en poursuivant des études de socio à la fac. Tout ce petit monde ne fait guère plus que se croiser silencieusement autour de la table du petit déjeuner.
Martin serait-il amoureux ? D’après les rumeurs, une certaine Iphigénie lui aurait fait tourner la tête. Mais lorsque Alex, son meilleur copain, révèle à Zac qu’il aurait viré facho et rejoint les rangs d’un groupuscule militant, ce dernier ne parvient pas à le croire. Pour en avoir le coeur net et s’efforcer de retrouver la trace de son frère, il emprunte une fausse identité et se fait embaucher dans l’entreprise où Martin avait trouvé un petit boulot.
Dans la première partie du roman, Rouda nous invite à partager le quotidien d’une famille de la cité, entre amitiés partagées, absence de perspectives, système D et racisme ordinaire. Mais c’est dans sa seconde partie que le récit prend vraiment son essor, lorsque l’auteur nous entraîne dans les méandres nauséabonds de la fachosphère. Celle qui prend bien soin de rester sous les radars, d’évoluer en toute discrétion et qui méprise l’extrême droite institutionnalisée dont les ambitions sont bien trop limitées à ses yeux.
Rouda met en lumière ces groupuscules pour lesquels le spectre du grand remplacement justifie tous les moyens afin d’accélérer la guerre qui existe selon eux à l’état latent dans notre société. Ils ne veulent rien de moins que mettre le feu aux poudres pour prendre l’avantage et remporter la victoire identitaire.
L’auteur relate la manière dont ils recrutent, dans le plus grand secret. La première approche est feutrée, mais une fois la cible appâtée, celle-ci devra devra faire preuve, pour être définitivement adoubée, d’un virilisme exacerbé et ne pas avoir peur de prendre part à des combats à mains nues où tous les coups sont permis. Les portes de véritables camps d’entraînement paramilitaire leur seront alors ouvertes pour les préparer à prendre part à des actions musclées visant à imposer une l'hégémonie blanche qu'ils appellent de leurs voeux.
Intéressant et bien mené - en dépit peut-être de quelques longueurs dans sa mise en place, largement compensées par l’efficacité narrative de la seconde - ce récit a le grand mérite de lever le voile sur des pratiques qui, comme on l’a vu, sont menées dans le secret. Tout ce qui contribuera à les faire largement connaître est à saluer.