Jack London
Publié en 1908
Traduit de l’américain par Claude Cendrée
Voilà un classique que je voulais lire depuis un certain temps, et il est vrai que l’été est la saison idéale pour ressortir de sa bibliothèque les livres qui y sommeillent. J’avais suffisamment entendu parler de Martin Eden pour en connaître et l’histoire et ce que l’auteur cherchait à révéler : la médiocrité d’une bourgeoisie prétendument cultivée, mais peu à même d’apprécier l’art à sa juste valeur, étant plus préoccupée par l’argent et le pouvoir, et n’ayant de ce fait que mépris pour les classes populaires. Ce qui m’intéressait donc et faisait l’objet de ma curiosité, c’était la manière dont tout ceci était mis en scène.
Quelle ne fut pas ma déception ! Je dois dire que j’ai du mal à saisir les qualités que l’on reconnaît à ce roman…
Mais commençons d’abord par ce que j’ai trouvé réussi : la peinture de la condition ouvrière, assez complète, jusque dans ses modes de sociabilité. Mais ce sur quoi Jack London met l’accent, c’est avant tout sur le travail harassant, ne laissant nulle place à quelque forme d’activité intellectuelle que ce soit, l’alcool apparaissant comme seule possibilité de lâcher prise, les jours sans pain, un quotidien sans autre horizon que celui de gagner une maigre pitance… Jack London prend le temps de détailler ces vies qu’il connaissait très bien.
Martin Eden appartient précisément à cette classe. Mais, à la faveur d’un concours de circonstances, il entre en contact avec une famille de la bonne bourgeoisie, tombe amoureux de la jeune Ruth et n’a de cesse, dès lors, de sortir de sa condition. Il se met à étudier avec frénésie, tâtonnant dans toutes les directions, sans méthode, mais avec une inflexible volonté. A mesure qu’il apprend de ses lectures et corrige son langage, il se coupe de sa classe d’origine - qui le rejette tandis que lui-même s’en sent de plus en plus étranger - sans pour autant être adoubé par celle qu’il souhaite rejoindre. Encore celle-ci n’est-elle qu’un fantasme incarné par Ruth, beauté éthérée dont il finira par percevoir l’étroitesse d’esprit caractéristique de son milieu.
Or il m’a semblé que le récit s’étendait très longuement sur cette partie de la vie de Martin Eden qui, du jour au lendemain, se met à écrire tous azimuts - poésie, nouvelles, romans, essais - essuyant refus sur refus malgré ses multiples envois de manuscrits et s’enfonçant par là-même dans une pauvreté de plus en plus profonde. London s’attarde à l’envi sur ces échecs répétés et la misère qu’ils engendrent, mais qui n’entachent cependant pas l’attirance qu’éprouve Ruth pour Martin. C’est d’autant plus surprenant que London - qui n’est pas exempt de clichés - ne cesse d’insister sur le malentendu existant entre eux, lui étant séduit par sa grâce, son élégance et sa culture, elle ressentant une attraction animale à son égard.
Il faudra attendre les toutes dernières pages du roman pour que les parents de Ruth, lassés de cette relation qu’ils avaient tolérée et instrumentalisée pour que leur fille connaisse un éveil des sens qui tardait à venir, mettent fin à cette idylle. C’est à ce moment précis que tout bascule à nouveau. Tandis que tout le monde lui a tourné le dos, Martin connaît un succès aussi soudain que phénoménal, rendant absolument manifeste l’hypocrisie des classes dominantes désormais attirées par sa toute nouvelle notoriété. Mais cela n’est traité qu’en quelques pages expéditives, au cours desquelles Martin Eden ne cesse de répéter « j’étais pourtant le même », comme une lancinante antienne venant justifier tout le propos du livre.
A aucun moment London ne fait preuve de finesse d’observation. Comme je l’ai souligné, les retournements de situation sont extrêmement brusques et les personnages sont assez manichéens. Cette absence de nuance affaiblit malheureusement beaucoup à mes yeux la crédibilité du récit, alors même que le propos pouvait paraître parfaitement fondé. D’autant que ce défaut affecte l’écriture elle-même, London ressentant constamment le besoin d’expliciter ce qui était déjà parfaitement clair, ajoutant encore, s’il en était besoin, de la lourdeur au récit…
Je ne m'attendais pas à une telle déception et à une telle surprise. Si vous avez des arguments à m'opposer pour défendre ce livre, surtout n'hésitez pas ! J'aimerais réellement comprendre pourquoi il a été érigé au rang de chef-d'oeuvre de la littérature américaine...