lundi 24 juillet 2023

Intrigue à Giverny

Adrien Goetz
Grasset, 2014



Lorsque les oeuvres des plus grands peintres sont mises sur le marché, elles atteignent, on le sait, des sommes astronomiques. De quoi mettre en émoi le petit monde gravitant autour de ces ventes d’exception… Et quand il s’agit d’artistes aussi prolifiques que le fut Claude Monet, établir l’authenticité d’un tableau est une mission des plus délicates dont l’enjeu se mesure en millions d’euros. L’assassinat de l’Américaine Carolyne Square aussitôt suivi de la disparition de soeur Marie-Jo au lendemain d’un dîner mondain organisé au musée Marmottan serait-il lié à l’apparition d’un chef-d’oeuvre méconnu du célèbre impressionniste détenu par un mystérieux vendeur ?


Pénélope, pimpante conservatrice de musée et l’une des dernières personnes à avoir parlé avec les deux victimes, se lance aussitôt dans l’enquête, non sans entraîner son fiancé Wandrille, rédacteur en chef de la revue Jardins Jardins et fils de ministre. Voilà qui les mènera à s'intéresser à la biographie de l'artiste, plus particulièrement à son amitié avec Clémenceau... qui cacherait peut-être quelque secret d'Etat ?


De la maison de Giverny au musée Marmottan, en passant par Monaco, Adrien Goetz imagine une intrigue policière aussi surprenante qu’érudite, élaborée aux petits oignons. Roman léger et instructif, le plaisir qu’il procure à la lecture repose autant sur la fraîcheur de ses héros récurrents que sur l’humour de l’auteur, qui aborde l'Histoire et le microcosme des professionnels de l’art avec une désarmante décontraction. Le texte est émaillé de formules qui font mouche et le rythme est suffisamment enlevé pour qu’une fois parvenu au terme de la lecture on n’ait qu’une seule envie : retrouver ces inénarrables personnages dans une autre de leurs improbables aventures ! Ce que je ne manquerai certainement pas de faire à la première occasion…



Merci à Nicole d'avoir plusieurs fois insisté pour que je plonge dans ces délicieuses intrigues !



dimanche 16 juillet 2023

Martin Eden

Jack London
Publié en 1908


Traduit de l’américain par Claude Cendrée




Voilà un classique que je voulais lire depuis un certain temps, et il est vrai que l’été est la saison idéale pour ressortir de sa bibliothèque les livres qui y sommeillent. J’avais suffisamment entendu parler de Martin Eden pour en connaître et l’histoire et ce que l’auteur cherchait à révéler : la médiocrité d’une bourgeoisie prétendument cultivée, mais peu à même d’apprécier l’art à sa juste valeur, étant plus préoccupée par l’argent et le pouvoir, et n’ayant de ce fait que mépris pour les classes populaires. Ce qui m’intéressait donc et faisait l’objet de ma curiosité, c’était la manière dont tout ceci était mis en scène.


Quelle ne fut pas ma déception ! Je dois dire que j’ai du mal à saisir les qualités que l’on reconnaît à ce roman…


Mais commençons d’abord par ce que j’ai trouvé réussi : la peinture de la condition ouvrière, assez complète, jusque dans ses modes de sociabilité. Mais ce sur quoi Jack London met l’accent, c’est avant tout sur le travail harassant, ne laissant nulle place à quelque forme d’activité intellectuelle que ce soit, l’alcool apparaissant comme seule possibilité de lâcher prise, les jours sans pain, un quotidien sans autre horizon que celui de gagner une maigre pitance… Jack London prend le temps de détailler ces vies qu’il connaissait très bien.


Martin Eden appartient précisément à cette classe. Mais, à la faveur d’un concours de circonstances, il entre en contact avec une famille de la bonne bourgeoisie, tombe amoureux de la jeune Ruth et n’a de cesse, dès lors, de sortir de sa condition. Il se met à étudier avec frénésie, tâtonnant dans toutes les directions, sans méthode, mais avec une inflexible volonté. A mesure qu’il apprend de ses lectures et corrige son langage, il se coupe de sa classe d’origine - qui le rejette tandis que lui-même s’en sent de plus en plus étranger - sans pour autant être adoubé par celle qu’il souhaite rejoindre. Encore celle-ci n’est-elle qu’un fantasme incarné par Ruth, beauté éthérée dont il finira par percevoir l’étroitesse d’esprit caractéristique de son milieu. 


Or il m’a semblé que le récit s’étendait très longuement sur cette partie de la vie de Martin Eden qui, du jour au lendemain, se met à écrire tous azimuts - poésie, nouvelles, romans, essais - essuyant refus sur refus malgré ses multiples envois de manuscrits et s’enfonçant par là-même dans une pauvreté de plus en plus profonde. London s’attarde à l’envi sur ces échecs répétés et la misère qu’ils engendrent, mais qui n’entachent cependant pas l’attirance qu’éprouve Ruth pour Martin. C’est d’autant plus surprenant que London - qui n’est pas exempt de clichés - ne cesse d’insister sur le malentendu existant entre eux, lui étant séduit par sa grâce, son élégance et sa culture, elle ressentant une attraction animale à son égard. 


Il faudra attendre les toutes dernières pages du roman pour que les parents de Ruth, lassés  de cette relation qu’ils avaient tolérée et instrumentalisée pour que leur fille connaisse un éveil des sens qui tardait à venir, mettent fin à cette idylle. C’est à ce moment précis que tout bascule à nouveau. Tandis que tout le monde lui a tourné le dos, Martin connaît un succès aussi soudain que phénoménal, rendant absolument manifeste l’hypocrisie des classes dominantes désormais attirées par sa toute nouvelle notoriété. Mais cela n’est traité qu’en quelques pages expéditives, au cours desquelles Martin Eden ne cesse de répéter « j’étais pourtant le même », comme une lancinante antienne venant justifier tout le propos du livre.


A aucun moment London ne fait preuve de finesse d’observation. Comme je l’ai souligné, les retournements de situation sont extrêmement brusques et les personnages sont assez manichéens. Cette absence de nuance affaiblit malheureusement beaucoup à mes yeux la crédibilité du récit, alors même que le propos pouvait paraître parfaitement fondé. D’autant que ce défaut affecte l’écriture elle-même, London ressentant constamment le besoin d’expliciter ce qui était déjà parfaitement clair, ajoutant encore, s’il en était besoin, de la lourdeur au récit…


Je ne m'attendais pas à une telle déception et à une telle surprise. Si vous avez des arguments à m'opposer pour défendre ce livre, surtout n'hésitez pas ! J'aimerais réellement comprendre pourquoi il a été érigé au rang de chef-d'oeuvre de la littérature américaine... 


mercredi 5 juillet 2023

Les liaisons dangereuses



Choderlos de Laclos
Publié en 1782 


Je m’étais promis depuis longtemps de relire Les liaisons dangereuses, mais il m’aura fallu le coup de pouce de Laurent Binet qui y fait une ingénieuse référence dans son roman à paraître à la rentrée pour que je me décide enfin.


A la première lecture, je devais avoir peu ou prou l’âge de Cécile Volanges, j’étais une toute une jeune fille qui entrait dans la vie ; à la seconde, j’ai certainement dépassé celui de la marquise de Merteuil et me suis donc, au fil du temps, forgé une idée un peu plus précise de la nature des relations qui unissent les hommes et les femmes. Sans doute mon regard sur les personnages de ce roman a-t-il évolué en conséquence, tant la réception d’un livre dépend en grande partie de la sensibilité et de la propre expérience du lecteur. Ainsi que de l’époque à laquelle il appartient. En l’occurrence, on ne saurait passer le phénomène MeToo sous silence, qui est venu non pas tant modifier les relations entre les sexes - on ne met pas fin à des siècles de domination en un claquement de doigts - mais briser une forme d’acceptation et de fatalisme face à certains comportements.


Or, si ce roman est si éblouissant et s’il n’a rien perdu aujourd’hui de sa force ni de sa pertinence, c’est que Laclos a su avec une acuité sans égal percer à jour des mécanismes de manipulation, d’emprise et de domination d’une terrifiante permanence, et les représenter avec maestria. 


De ma première lecture me restait le souvenir d’une femme d’une extrême intelligence et d’une parfaite clairvoyance qui avait su prendre l’ascendant sur un homme que l’on qualifierait aujourd’hui de prédateur pour « venger son sexe ». Une femme d’une stupéfiante modernité qui dut pourtant payer au prix fort sa témérité - ou ses prétentions.


Mais ce qui m’a davantage frappée aujourd’hui - ou bien l’avais-je oubliée ? - c’est l’assurance inébranlable de Valmont, cette infatuation portée à un tel point d’aveuglement qu’elle l’empêche précisément de percevoir la puissance de Merteuil, qui se joue de lui plus que lui ne la domine. Ce qui le conduira à sa perte.


Mais, et c’est là peut-être que réside la différence majeure avec notre époque post MeToo, il trouve pourtant une forme de rédemption dans la mort, tandis que la marquise subit une complète déchéance sociale. Les femmes portent seules la responsabilité - et la culpabilité - de leur condition (c’est une évidence chez Cécile, honteuse d’avoir été forcée par Valmont qui, lui, n’en tire que vanité). Encore ne sommes-nous pas arrivées au bout du chemin…


Mais je m’en voudrais de terminer ce billet sans rappeler - sans doute cela a-t-il été souligné et observé avec infiniment plus de talent que je ne saurais le faire - la finesse d’analyse psychologique dont fait preuve Laclos, jusque dans la dissection du sentiment amoureux, l’incroyable habileté de la construction de ce roman, et enfin la beauté de son écriture. Le terme de chef-d’oeuvre est parfois galvaudé, il s’impose ici sans aucune contestation possible.