Il suffit de voir le bandeau qui ceint ce livre pour saisir l’amour et la complicité unissant l’auteure, qui doit ici avoir six ou sept ans, et son père aujourd’hui disparu. Une disparition qui n’a rien de récent, puisqu’elle remonte à l’aube des années 1990. Il n’aura pourtant fallu que quelques mots lâchés avec une désolante désinvolture par une vieille amie de la narratrice pour raviver une douleur profondément enfouie. Non seulement celle de l’absence, mais celle liée à tout ce qui avait entouré et précédé le décès.
Le père de l’auteure a en effet été l’une des premières victimes du sida, à l’époque où la simple évocation de cette maladie terrifiait, où aucun traitement n’existait, où l’on prétendait qu’elle ne touchait que les homosexuels et où les malades tentaient de se cacher afin de n’être pas mis au ban de la société.
Pour toutes ces raisons sans doute, Constance n’a pas voulu voir. Pas voulu savoir. Comme déjà, des années auparavant, la petite fille n’avait pas voulu saisir ce que pouvait signifier que son père habite avec son copain. Mais lui-même avait dû effectuer un long et difficile chemin pour renoncer à son mariage et accepter son désir d’hommes. Pour vivre, alors, enfin.
C’est ce chemin que peut aujourd’hui mesurer l’auteure de ce tendre et lumineux récit. C’est cette figure paternelle tant aimée qu’elle ressuscite avec beaucoup de grâce. Mais c’est aussi le climat d’angoisse et de défiance qu’elle nous remet en mémoire, les mots lourds de mépris et les regards insultants qu’avaient dû endurer son père et tant d'autres, et dont elle ne perçut qu’après coup combien ils avaient dû le faire souffrir. Tout ce qu’elle met aujourd’hui au jour avec des phrases légères et délicates pour rendre à ce père la vérité de ce qu’il était : un homme, simplement. Et dire le bonheur d'en avoir été - d'en être - la fille.
Je n'ai pas oublié grand chose de cette époque, je n'ai pas très envie de replonger dedans, même si je trouve intéressant le regard sur un couple d'hommes avec enfant.
RépondreSupprimerMais ce livre est avant tout le portrait d'un père et la déclaration d'amour que lui fait sa fille. Ce portrait, du fait de l'histoire de cet homme, nous replonge donc dans une époque, mais ce n'est pas cela qui domine, dirais-je.
SupprimerC'est tout à fait le sujet (le témoignage) de Fairyland d'Alysia Abbott, que j'avais beaucoup aimé.
RépondreSupprimerJe ne l'avais pas lu...
SupprimerIl est très beau, ce livre. L'écriture de Constance est d'une finesse exquise et m'a beaucoup émue.
RépondreSupprimerJ'ai vraiment envie de le lire, ce sera pour moi l'occasion de découvrir l'écriture de Constance Joly
RépondreSupprimerUne écriture tout en élégance et en délicatesse.
SupprimerUn bel hommage d'une fille à son père.
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec ton analyse. Le bémol pour moi, c'est qu'il s'agit d'un récit, et pas d'un roman, comme il est présenté. Je ne comprends pas ce parti pris. Et c'est dommage parce que mon attente en tant que lectrice n'est pas la même.
RépondreSupprimerAh, là, ça va être compliqué de répondre en quelques lignes, dans le cadre étroit d'un commentaire.
SupprimerC'est une question lancinante : l'espace romanesque versus le réel. Sans doute pourrait-on répondre - mais je ne suis pas l'auteure - qu'elle fait roman parce qu'elle ne vise pas à l'exhaustivité, ni à la chronologie, qu'elle s'autorise des ellipses, qu'elle sélectionne au contraire ses souvenirs pour mettre plus particulièrement l'accent sur certains aspects, certains événements, qu'elle réinvente certaines choses, même si tout est ancré dans le réel...
Mais surtout, c'est la notion de roman qu'il faut interroger. Selon moi, le roman est comme toute chose une forme en mouvement, en évolution. On en a fini avec le roman de Balzac ou de Zola - que j'adore - et qui ont porté ce genre à une forme d'apogée. Le roman, depuis, n'a cessé de se transformer, d'évoluer, prenant des orientations différentes et parfois opposées. Aujourd'hui, la forme "traditionnelle" persiste, bien sûr, mais il me semble que l'espace romanesque est avant tout un espace qui s'affranchit peut-être aujourd'hui de toute forme de codification, un espace qui accueille volontiers le "je" - c'était évidemment déjà le cas au XIXe , mais c'est désormais un "je" qui tend à dépasser le strict espace fictionnel. Cela donne pour moi des choses très intéressantes. Mais c'est vrai que ça pose question.
Bref, c'est une question qui m'intéresse beaucoup, tu l'auras compris, et qui mérite beaucoup plus qu'une petite case de commentaire :-)
Merci de ta réponse Delphine, tu as raison, la question mériterait un traitement plus approfondi. C'est vrai que le roman a évolué depuis le XIXème siècle et heureusement, d'ailleurs. Pourtant, même dans le récit, on sait bien que la subjectivité est présente, qu'il sera intimement lié à la mémoire et à ses représentations. J'ai toujours un peu le sentiment d'avoir été flouée dans ces cas-là, lorsqu'on présente un récit comme un roman. Et quand je parle d'attente différente, il y a aussi l'intérêt que l'on porte, en tant que lectrice, au propos. Dans un récit, je sais que je vais entrer dans l'intime, au sens large du terme, alors que dans le roman, ce n'est pas forcément ce que je recherche. Je ne sais pas si ma nuance est claire.
RépondreSupprimerEt pourtant, comme je le dis dans mon billet, je sais que certains récits d'auto fiction m'ont plu, mais globalement, j'ai l'impression que ce procédé sert un peu de paravent et parfois de bouclier. Il y a un côté de ne pas assumer qui me gêne.