Laurence Tardieu
Le Seuil, 2016
Ecrire après Charlie.
Laurence Tardieu n’en est pas à son premier livre. Mais le nouveau roman qu’elle a l’ambition d’écrire revêt pour elle une importance toute particulière : alors qu’elle est enceinte de son troisième enfant, la maison familiale niçoise, celle qu’avait construite de ses mains son grand-père italien à son arrivée en France, celle des vacances de son enfance, celle qui renferme tant de souvenirs, allait être vendue. Pour elle, c’est un déchirement, comme si on lui arrachait une partie d’elle-même. Un déchirement d’autant plus violent que ce bâtiment incarnant sa propre histoire et le lien entre les générations va disparaître au moment même où son bébé va venir au monde, le laissant ainsi à l’extérieur de sa sphère intime.
Le projet d’écriture prend alors une importance vitale. Ecrire la maison pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli et pour en faire subsister l’essence. Ecrire pour ne pas perdre la partie la plus impalpable de son être. Ecrire pour transmettre ce qu’on a de plus précieux.
Mais nous sommes à l’aube de l’année 2015. Le 7 janvier, l’auteure est comme chacun de nous foudroyée par le massacre perpétré sur l’équipe de Charlie Hebdo, puis par les effroyables événements qui surviendront au cours des quarante-huit heures suivantes.
D’un coup, le projet littéraire est vidé de son sens. L’écrivain a perdu ses repères, sa géographie personnelle est anéantie. Qu’importe cette maison, qu’elle considérait comme son ultime refuge, quand il ne peut plus y avoir de sentiment de paix, quand tout ce que l’on croyait solidement établi s’effondre, quand la barbarie que l’on croyait définitivement éradiquée fait un retour aussi brutal qu’inattendu dans son monde, quand les valeurs les plus constitutives de la société sont mises à mal ? Quel sentiment de sécurité les murs d’une maison pourrait-ils offrir lorsque l’humanité n’a plus cours ?
Laurence Tardieu met des mots sur ce que nous avons sans doute tous ressenti. Ses questions et ses tourments sont les nôtres. Elle s’interroge : comment continuer à vivre lorsque tout bascule, lorsque tout ce que l’on tenait pour acquis est renversé ?
Ce récit se lit dans un souffle, et s’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, il tire sa force de l’élan vital que les enfants, et en particulier le nouveau-né, transmettent à cette femme qui trouve en l’écriture l’ultime réconfort. Quelles que soient les interrogations, malgré le désarroi et l’incompréhension, la vie est là devant elle, devant nous.