Silvia Ferreri
Editions Hervé Chopin, 2020
Traduit de l’italien par Chantal Moiroud
Une femme est assise dans le couloir d’un hôpital. Elle a plusieurs heures devant elle. Dans le bloc opératoire qui lui fait face se trouve sa fille Eva. Ainsi qu’elle lui en a fait la promesse, elle ne la quittera pas un seul instant pendant que l’équipe médicale accomplit son geste.
Est-elle à sa place ? N’a-t-elle commis aucune erreur ? A-t-elle aimé son enfant comme il le fallait ? Pendant ces longues heures d’attente et d’angoisse, la mère convoque ses souvenirs. De la petite fille qui refusait de porter des robes et aimait se déguiser en Superman à l’adolescente qui se bandait les seins et s’affublait d’un accessoire en caoutchouc pour uriner comme un homme, c’est toute la jeune vie d’Eva qu’elle passe en revue. Eva qui, lorsqu’on lui demandait ce qu’elle voulait devenir lorsqu’elle serait grande, répondait : « un garçon ».
Mais la petite fille a grandi. Elle a compris qu’elle n’obtiendrait sa transformation qu’au prix d’un combat sans relâche. Sa détermination est sans faille face à ses parents qui voulurent d’abord croire que tout finirait par « rentrer dans l’ordre », comme certains médecins l'avaient prétendu, puis qui tentèrent de cacher une différence qu’ils peinaient à accepter et qui s’efforcèrent de la protéger des moqueries lorsque Eva exigeait de se faire appeler Alessandro. Mais le chemin fut encore long avant qu'ils comprennent que leur enfant ne connaîtrait pas la paix tant qu’il serait prisonnier d’une enveloppe qui lui était étrangère.
Au fil d’un monologue rythmé par le flux de ses souvenirs, la mère révèle le douloureux parcours d’une enfant déterminée à s’arracher à sa condition, mais aussi celui de parents dont le bonheur s’est peu à peu mué en incompréhension et en détresse. Le texte dit les rêves évanouis et la difficulté à affronter le regard des autres. Il ne cache rien des tensions qui traversent le couple, ni des moments de rage et de désespoir que connaissent les uns et les autres.
Mais l’auteure ne sombre jamais dans l’emphase ni dans le pathos. Les mots sont au contraire simples pour dire l’amour bousculé, l’amour malmené, mais l’amour viscéralement lové au fond de soi. Les mots peuvent se faire crus aussi pour masquer le sentiment d’impuissance et exprimer la révolte face à ce qui semble inconcevable. Et de ces mots sans détour et sans fausse pudeur naît une force qui prend le lecteur aux tripes.
Jusqu’où peut-on aimer son enfant lorsqu’il veut se défaire ce qu’on lui a donné, lorsqu’il s’oppose à tout ce qu’on avait imaginé pour lui ? Est-on prêt à se dépouiller de tous les rêves et de tous les projets qu’on avait formés ? Peut-on accepter son enfant et l'aider à s'accomplir de manière inconditionnelle ? Des questions que le percutant premier roman de Silvia Ferreri pose avec autant de justesse que de sensibilité.
Un sujet extrêmement délicat. As-tu vu le documentaire Petite fille sur Arte ? Il est très fort. Il n'est pas facile d'écrire sur ce sujet sans tomber dans le pathos, la sensiblerie ou autre... Premier roman ou autobiographie déguisée ?
RépondreSupprimerNon, je ne l'ai pas vu. A vrai dire, c'est un thème qui me met assez mal à l'aise car, comme la mère du roman, j'ai du mal à appréhender la chose. D'où l'intérêt de tous ces livres, films, etc qui nous aident à comprendre.
SupprimerCeci étant dit, d'une certaine manière, ce roman me paraît plus être sur l'amour parental et le regard qu'on porte sur ses enfants que sur les transsexuels à proprement parler. C'est bien la mère qui parle et qui fait part de son rapport à son enfant... ce qui peut concerner tout parent, même si bien sûr, ce type de situation est très particulier.
Et pour ce qui est de l'auteure, même si je ne la connais pas du tout et n'ai fait aucune recherche à son sujet, je serais étonnée que ce soit d'inspiration autobiographique. Mais peut-être st-ce que je me trompe...
Je ne doute pas de la sensibilité de l'auteure... mais ce thème n'est absolument pas pour moi.
RépondreSupprimerBon... Mais tu sais que c'est un premier roman :-D
SupprimerUn thème qui devient très présent à peu près partout. Il fallait en parler après des siècles de silence mais personnellement je sature déjà.
RépondreSupprimerMais en fait pour moi c'est moins un roman sur la transidentité - même si bien sûr ça l'est aussi - que sur les projections que font les parents sur leurs enfants, sur l'accompagnement qu'on leur doit pour qu'ils puissent s'épanouir et sur l'amour maternel.
SupprimerUn sujet intéressant, mon aîné grandissant et sortant du chemin imaginé pour lui. Merci de ce conseil de lecture.
RépondreSupprimerLes enfants sortent toujours du chemin qu'on a imaginé pour eux ! Après, ils le font plus ou moins et les parents sont plus ou moins prêts à l'accepter... En tout cas, c'est un très beau roman que je te recommande chaudement :-)
SupprimerIl a déjà été présenté dans le bilan des coups de coeur. Je pense qu'il vaut effectivement le détour ! ;)
RépondreSupprimerOui, il mérite grandement de faire parler de lui :-)
SupprimerCoup de coeur pour moi aussi, quelle roman sensible !
RépondreSupprimerTrès ! Je ne comprends pas qu'on n'en entende pas plus parler.
SupprimerIl faut en parler de ces trajectoires qui changent au cours de routes, de ces parents déboussolés.
RépondreSupprimerPlus il y aura de livres, plus la compréhension de personnes trans se fera de la plus douce des manières.
Sur ce, je rajoute ce livre à ma liste d'envie!
Tu as raison. D'ailleurs, je t'avoue que c'est un sujet que j'ai du mal à appréhender et qui ne me met pas forcément très à l'aise. Quand on est pas concerné, je crois que c'est difficile de concevoir qu'on puisse se sentir de l'autre sexe. D'où mon choix de lecture ;-)
SupprimerTrès bonne lecture à toi.