Abel Quentin
L’Observatoire, 2021
Prix de Flore 2021
Racisé, conscientisé, intersectionnel… autant de mots qui semblent familiers, ou presque. Un peu bizarres, un peu triturés quand même. La première fois que je les ai entendus, c’était dans la bouche de mon fils et j’ai cru qu’il commettait une maladresse. Depuis, je les ai entendus des dizaines de fois et j’ai compris que, comme le héros du roman d’Abel Quentin, c’est moi qui avais loupé une étape…
Jean Roscoff termine sa carrière de prof d’histoire à la fac de Paris VIII. Cet ancien militant de SOS racisme garde une certaine nostalgie de ses années de jeunesse où il était de toutes les marches et de tous les concerts organisés par le mouvement d’Harlem Désir. Certes, depuis, son militantisme a pris un coup dans l’aile, et il ressemble plus aujourd’hui à un vieil ours replié dans sa tanière qu’à un ardent défenseur des valeurs d’égalité et de fraternité. Son projet, désormais, est décrire une biographie.
Il s’intéresse en effet de très près à un poète américain qui était venu dans les années 50 rejoindre les rangs des existentialistes germanopratins. Il ne s’agit pas d’une première pour Roscoff qui avait déjà publié dans les années 90 un ouvrage sur les époux Rosenberg jadis accusés d’espionnage et exécutés en pleine guerre froide, et ce en dépit de la mobilisation internationale que cette condamnation avait soulevée. Roscoff comptait en effet définitivement établir leur innocence. Deux jours après la parution de l’ouvrage, l’ouverture des archives américaines venait confirmer leur culpabilité… ruinant durablement la légitimité et la soif de reconnaissance de l’historien.
Qu’à cela ne tienne, il n’est jamais trop tard pour bien faire et la retraite va lui permettre de remettre le couvert en établissant le rôle déterminant de l’engagement communiste dans la destinée de Robert Willow. Publier un livre consacré à un poète, qui plus est méconnu et chez un tout petit éditeur, voilà qui promet une diffusion confidentielle, mais sans doute moins encline à controverse.
Et en effet, c’est le calme plat. Jusqu’à cette soirée de lancement où l’une des personnes présentes l’interpelle : Willow était communiste à une époque où ceux-ci faisaient l’objet d’une chasse aux sorcières. Dont acte. Mais qu’en est-il de sa couleur de peau ? Etre noir dans les années 50 aux Etats-Unis n’est-il pas un élément au moins aussi déterminant ? Pourquoi avoir négligé ce facteur ? Une intervention qui marque le départ d’une incroyable campagne de bashing amplifiée par les réseaux sociaux au cours de laquelle Roscoff sera sommé de s’expliquer, de se justifier, alors même que s’exprimer sur un tel sujet lui vaut d’être accusé de faire de l’appropriation culturelle.
Avec son personnage d’homme vieillissant totalement dépassé, c’est non sans humour qu’Abel Quentin s’attaque aux dérives identitaires que nous connaissons aujourd’hui et à la formidable caisse de résonance que leur offrent les réseaux sociaux. Le tableau, à peine caricatural tant le réel est souvent dénué de toute forme de modération, est assez fidèle à ce que l’on peut connaître. Et c’est peut-être de là que vient le manque d’enthousiasme que j’ai eu à le lire : après une mise en place qui m’a paru longue et poussive, j’aurais aimé quelque chose de plus piquant. Car tout tout m’a semblé trop lisse dans ce roman : l’écriture comme la construction qui produisent un instantané non dénué d’intérêt, non déplaisant, mais pour moi sans véritable densité littéraire. Dommage.
Nicole manifeste quant à elle un enthousiasme immodéré pour ce roman !