Frédéric Beigbeder
Folio, 2004
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Après la lecture d’Un roman français, je m’étais promis de revenir à Beigbeder. C’est chose faite avec cet étonnant livre sur le Onze septembre, et je ne manquerai pas de fréquenter encore cet auteur qui ne laisse vraiment pas de me surprendre.
J’avoue avoir été d’abord désarçonnée par sa manière d’appréhender cet événement : au bout de trois pages, voilà qu’il parle de lui ! On est pourtant bien loin ici du projet d’Un roman français... Et toujours ce ton, ce cynisme...
Passé un moment de flottement (d’agacement ?), je me suis cependant laissée prendre par l’intensité de son récit. Comme le rappelle la quatrième de couverture, il nous sera à jamais impossible de savoir ce qui s’est passé dans ces tours ; la seule chose que l’on puisse faire, c’est de l’inventer. C’est ce à quoi s’emploie Beigbeder et, je dois le dire, avec un talent certain.
Décomposé minute par minute, le déroulement des deux heures qui se sont écoulées entre l’impact du premier avion dans la tour Nord et l’effondrement de celle-ci permet d’imaginer la gradation de ce qu’ont pu penser, croire, espérer, redouter les prisonniers de cet enfer avant que d’être gagnés par la certitude d’une mort imminente et douloureuse.
Quel intérêt, me direz-vous ?
Et bien l’intérêt réside non pas dans l’événement lui-même, mais dans notre rapport à cet événement. D’où la présence entêtante de l’auteur-narrateur. Avec ce livre, Beigbeder fait une tentative désespérée pour cerner l’horreur, l’impensable, l’indicible. Il cherche à comprendre comment cet attentat transforme sa perception du monde. Il se demande comment continuer à vivre avec - ou malgré - une telle monstruosité perpétrée par des êtres de chair et de sang à l’encontre d’autres êtres de même nature. Comment envisager un avenir ? Peut-on continuer de la même manière ? Quelle société imaginer ? Quelle y est la place de l’individu ?
En se mettant en scène, par une alternance de courts chapitres relatant l’évolution de la situation dans le restaurant du World Trade Center et sa propre perception des choses, il soulève toutes ces questions. Il pose l’individu au regard de l’Histoire et interroge leur relation.
D’un point de vue plus pragmatique, cette alternance permet au lecteur de reprendre une respiration dont les protagonistes se voient peu à peu privés, l’empêchant par là-même de suffoquer. On ne peut que le remercier de nous préserver ainsi !
Si la démarche est légitime et fort intéressante, certains peuvent être irrités par la désinvolture avec laquelle le sujet est traité. Ce n’est pas mon cas; il me semble évident qu’il s’agit de la part de l’auteur d’une posture, visant à abolir le désespoir et l’impuissance. Une forme d’élégance ultime. Une façon de ne pas renoncer.