Jonathan Coe
Gallimard, 2022
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
Ah, les Anglais ! Rien ne nous
réjouit tant que de les taquiner ! Mais ils nous le rendent bien, et
c’est de bonne guerre ! Leur monarchie, leur goût immodéré pour le thé (et les friandises au chocolat !), leur flegme imperturbable… nous ne manquons pas
une occasion de souligner leur singularité. Mais lorsque c’est un Anglais
lui-même qui s’en charge, c’est encore plus délectable. De là le succès de
Jonathan Coe en France ? Peut-être bien. Mais l’écrivain sait surtout mieux que
quiconque allier humour et sensibilité pour restituer à travers une savoureuse
galerie de personnages l’esprit d’une époque et le tempérament d’un peuple.
Après nous avoir jadis dépeint
l’Angleterre des années Thatcher, puis Blair, avec Bienvenue au Club et Le
cercle fermé, ou la fracture du Brexit avec Le coeur de
l’Angleterre, Coe embrasse aujourd’hui une période plus vaste. Son
nouveau roman couvre en effet plusieurs décennies, de l’après-guerre à nos jours. Il est
scandé par sept moments clés, au cours desquels les Anglais ont pu se fédérer,
éprouver et manifester avec ferveur leur sentiment d’appartenance à une nation
commune.
Ainsi, après avoir fait la
connaissance de Mary et Geoffrey au soir de la victoire du 8 mai 1945, nous
entrons dans la famille qu’ils ont fondée et parcourons tour à
tour le couronnement d’Elizabeth II en 1953, la finale de la Coupe du monde
jouée contre l’Allemagne de l’Ouest en 1966, l’investiture du prince de Galles
en 1969, le mariage de Charles et Diana en 1981, les funérailles de cette
dernière en 1997 et enfin le 75e anniversaire du jour de la Victoire célébré en
plein confinement.
Tout l’intérêt du roman - et là
réside l’art de Jonathan Coe -, est de nous faire vivre ces événements de
l’intérieur, à travers les yeux des différents membres d’une famille qui en ont
chacun une perception différente en fonction de leur âge, de leur histoire et
de leur sensibilité propres. Nous assistons à leurs discussions, à leurs
rituels et aux différents événements qui rythment leur vie, et nous découvrons
la manière dont le contexte politique et social vient modeler leurs relations et
influer sur le cours de leur histoire.
Coe n’épargne rien ni personne. Le
portrait qu’il fait de Boris Johnson est jubilatoire, et les joutes des parlementaires
européens s’écharpant sur l’étiquetage du chocolat sont désopilantes – du moins
le seraient-elles si elles n’étaient le reflet d’une consternante réalité… Mais
vous ne trouverez nulle trace d’aigreur ni de férocité sous la plume de cet
écrivain. Son texte est bourré de scènes tantôt cocasses tantôt émouvantes. Et
si l’ironie est tapie au creux de ses phrases, elle se double toujours d’une
désarmante tendresse.
Avec ce roman, c'est un peu de l'Angleterre éternelle que nous offre Jonathan Coe. Et si tout va désormais très vite, si depuis sa pourtant très récente publication her majesty the Queen n'est plus et que deux premiers ministres se sont déjà succédé au 10 Downing Street, on aime à penser que certaines choses restent immuables et que l'esprit british perdure.
Et comme Nicole était aussi impatiente que moi de retrouver Coe, cela nous a donné l'occasion d'une nouvelle lecture commune. Sa chronique est à retrouver ici.