Un roman français
Frédéric Beigbeder
Grasset, 2009
Prix Renaudot 2009
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Un régal : mieux qu'un tranxene, une lecture qui fait du bien!
Depuis les actes odieux de début janvier, j’avoue qu’il m’est toujours difficile de lire. J’ai commencé plusieurs livres que j’ai assez vite abandonnés.
Alors je me suis souvenue d’une émission sur laquelle j’étais tombée sur France Inter, au mois de décembre : il s’agissait de «Remède à la mélancolie», une émission dominicale au cours de laquelle une personnalité est invitée à parler d’elle-même. Si j’avais connu par avance l’identité de celui qu’Eva Bester recevait, j’aurais sans doute sottement renoncé à allumer ma radio. Là, j’ai écouté quelques minutes cette voix qui m’était familière, sans être certaine de la reconnaître, et j’ai donc attendu que le nom de son propriétaire soit prononcé. Ce faisant, j’ai écouté cette voix, et, à ma plus grande surprise, j’avoue avoir été très touchée par ce qu’elle exprimait !
L’homme sensible, fin et drôle que j’ai découvert à cette occasion, cessait en effet de se cacher derrière cette figure exaspérante de dandy à laquelle je m’étais arrêtée.
Ce petit détour pour expliquer la raison de mon choix. J’ai eu envie d’une voix présente au monde, mais capable en même temps de recul, de finesse et d’humour. Quelque chose de doux, mais non sirupeux. Et c’est exactement ce que j’ai trouvé !
Car, soyons clair : j’ai a-do-ré ce roman !
Ou parlons plutôt de récit autobiographique. C’est un moment très précis dans sa vie qui a conduit Frédéric Beigbeder à revenir sur son enfance. Chacun se souviendra de l’épisode rocambolesque de son interpellation alors qu’il sortait d’une boîte de nuit des beaux quartiers parisiens pour se faire un rail de coke sur le capot d’une voiture: cela fit à l’époque les choux gras de la presse. Cet habitué des palaces et de la jet-set découvrit alors l’espace de deux ou trois nuits les cellules de détention provisoire du VIIIe arrondissement, ainsi que le fameux Dépôt, situé sous Palais de Justice et connu pour son incroyable vétusté, maintes fois épinglée...
D’un coup, cet enfant gâté était projeté dans un univers qui lui était aussi étranger qu’insupportable. Profondément démuni pour faire face à cette situation, il fait un exercice d’introspection. Agissant comme une sorte de trou noir, cette incarcération lui permet de faire remonter des souvenirs d’enfance qu’il croyait oubliés. Il convoque tour à tour ses grands-parents, ses parents, son frère. Des images reviennent, des paroles, des anecdotes, et peu à peu se redessine la carte des premières années de sa vie, qu’il avait pourtant crue effacée.
Dans l’émission de France Inter, il parle d’une enfance sans problème et avoue s’être interrogé sur la pertinence qu’il y avait à la raconter.
Cette enfance plus que confortable n’est pourtant pas dénuée de fêlures, la plus importante étant due au divorce de ses parents. Dès lors, sa vie et celle de son frère Charles empruntent des chemins surprenants, faits tout à la fois de fantaisie et de rigueur, de grandeur et de décadence selon les aléas de la vie sentimentale de leur mère et selon qu’ils habitent chez elle ou chez leur père.
A l’évocation de ces souvenirs, c’est une France d’hier qui est dépeinte. La litanie des détails que Beigbeder fait resurgir trouve un écho dans la mémoire du lecteur - en tout cas de la mienne, qui ne suis sa cadette que de quelques années -, installant par là-même une tendre complicité avec lui.
C’est un personnage qui nous touche parce qu’il fait preuve de beaucoup d’intelligence et de finesse dans son observation du monde, mais aussi parce qu’il ne se départit jamais d’une bonne dose d’auto-dérision. Plus d’une fois j’ai été émue par ce qu’il disait avant d’éclater littéralement de rire à la phrase suivante. Sans doute est-ce dû à cette enfance tout en contrastes qu’il a connue. Il semble pouvoir s’intégrer dans différents milieux sans toutefois se sentir y appartenir de plein droit. Il écrit des pages très lucides sur la bourgeoisie et le sentiment de déclassement.
Si j’ai trouvé de l’intérêt à ce livre c’est parce qu’en parlant de lui-même Beigbeder parle de sentiments universels, le tout dans un style alerte et vif, empreint de sincérité et pourtant plein de pudeur, sans oublier un très brillant sens de la formule. J’avoue avoir été particulièrement sensible à ce qu’il révèle du lien qui l’unit à son frère, fait tout à la fois d’amour inconditionnel et de la nécessité de s’opposer à lui pour pouvoir exister. Des propos qui ont sans doute particulièrement interpellé la mère de deux garçons que je suis...
C’est un personnage riche et intéressant parce que continuellement en décalage : avec son milieu d’origine, bien sûr, mais plus largement parce qu’il prend plaisir à être là où on ne l’attend pas, à prendre perpétuellement le contrepied d’une situation. D’où ma surprise, mon immense plaisir à le lire... et mon envie de le retrouver rapidement dans un autre livre - que j’ai d’ores et déjà acheté !
Retrouvez Frédéric Beigbeder dans Remède à la mélancolie , sur France Inter