Eden Utopie
Fabrice Humbert
Gallimard, 2015
Une chronique historico-familiale de la seconde moitié du XXe siècle
Chose extrêmement rare, je me suis emparée de ce livre sans en rien connaître, sur la seule foi de son auteur, dont j’avais beaucoup apprécié un précédent titre, La fortune de Sila. Le titre m’apparaissait en outre très prometteur...
Alors que je pensais lire un roman, je me suis assez vite aperçue que j’avais à faire à un récit autobiographique. Or cette méprise a un peu perturbé mon entrée dans le texte, puisque je n’étais pas là où je croyais être. Cela est moins anodin qu’on pourrait le penser, car la construction du texte est bien différente de ce qu’aurait été celle d’un roman. Cette remarque se justifie d’autant plus que l’auteur affirme à plusieurs reprises avoir d’abord songé à écrire une fiction à partir de son matériau - la vie des membres de sa famille et de la sienne propre traversant un siècle et s’inscrivant dans son histoire -, mais qu’ayant été insatisfait de ce qu’il avait produit, il a finalement préféré partir dans une autre direction.
A vrai dire, j’ai ressenti en tant que lectrice cette difficulté à appréhender son sujet. J’ai eu le sentiment de découvrir le premier état d’un texte, des notes, certes développées, qui se succédaient selon un ordre chronologique, mais sans réelle capacité de l’auteur à prendre de la distance avec les événements et les personnages, et, de ce fait, sans parvenir à leur donner vraiment sens. J’ai eu l’impression qu’il cherchait à appréhender l’histoire des années 70 et 80, en particulier les événements de 68 et les mouvements révolutionnaires armés qui sont nés ensuite en Europe, au travers de ce qu’en avaient vécu ses proches, mais sans arriver, pour ma part, à cerner s’il cherchait à comprendre la nature de ces mouvements ou bien s’il sondait la manière dont sa propre famille avait pu s’y trouvée mêlée. C’est donc un sentiment d’inachèvement qui ressort de ma lecture.
Le hasard m’a fait lire en quelques semaines trois œuvres de quadragénaires revenant sur leurs années de jeunesse. Les auteurs de ces trois oeuvres ont pourtant pris des partis différents. Dans Le bonheur national brut, François Roux choisissait la fiction en proposant un roman de facture très classique, mais néanmoins très plaisant, où l’on suivait les destinées de quatre amis sur trente ans; dans Un roman français, Frédéric Beigbeder prenait le parti d’un récit résolument autobiographique, écrit à la première personne, dans lequel tous les événements étaient vus à travers le prisme de sa personnalité, de sa sensibilité et son expérience personnelle. Il en résultait un texte plein de verve, dans lequel la sincérité le disputait à la pudeur, et auquel l’humour et l’autodérision apportaient la nécessaire distance qui assure le succès d’une telle entreprise.
Humbert choisit quant à lui de relater les événements d’un œil qu’il voudrait objectif, s’appuyant sur des lectures de témoignages, d’enquêtes journalistiques et de documents, tel l’excellent Génération d’Hervé Hamon et Patrick Rotman qu’il cite à de nombreuses reprises, pour éclairer son sujet. Ce faisant, il s’est placé dans une position instable, étant à la fois acteur et observateur, qui dilue son texte. C’est bien dommage, car ce dernier est par bien des aspects intéressants.
Peut-être ne devrait-il pas renoncer à son projet de fiction et tenter d’écrire le roman qu’il avait initialement imaginé ?