Mohamed Mbougar Sarr
Philippe Rey/Jimsaan, 2021
Prix Goncourt 2021
A moins que vous n’habitiez sur la planète mars, vous savez que ce roman est le lauréat du prix littéraire le plus convoité de notre pays et en connaissez sans doute de ce fait déjà les grandes lignes.
Des Goncourt, j’en ai lu quelques-uns, et parfois de très bons. Mais la plupart du temps, je n’avais pas attendu qu’ils soient ainsi distingués pour les lire, ce qui avait évité à ma lecture d’être parasitée par toutes sortes de commentaires et formules outrageusement laudatifs. Mais puisque ce n’était pas le cas cette fois, je partais dans l’idée que j’allais avoir affaire à un texte dense, dans lequel il serait peut-être difficile de pénétrer et qui alliait une intrigue aux accents policiers à une réflexion sur la littérature. Programme alléchant s’il en est.
Sans doute parce que j'avais été amplement prévenue, je n’ai en fait eu aucun mal à me glisser dans ce roman et j’ai été assez vite séduite par son style mêlant élégance et familiarité, empreint d’érudition sans pourtant se départir de subtiles notes d’humour. Un atout certain pour ne pas se perdre dans le labyrinthe où nous entraîne le narrateur…
Car la construction du roman est assez sophistiquée. On passe d’une époque à une autre, d’un locuteur à un autre, tandis que lettres et articles viennent entrecouper la narration, le tout afin de percer le mystère auréolant la figure d’un certain T.C. Elimane, auteur africain d’un roman ayant connu à la fin des années 30 un immense succès, avant d’être accusé de plagiat et d’être éreinté par la critique, suite à quoi il disparut purement et simplement.
Au début du roman, le jeune écrivain Diégane Faye se trouve en possession du seul exemplaire subsistant du Labyrinthe de l’inhumain. Son admiration est telle qu’il entreprend une véritable enquête pour retrouver la trace de l’auteur disparu et comprendre ce qu’il s’est réellement passé. Ainsi est-il confronté aux questions de la réception d’un écrivain noir, africain, par le public et l’intelligentsia français, de la place accordée par un pays colonisateur au peuple qu’il asservit et du rôle que peut jouer la littérature au coeur de cet effroyable maelström de tourments qu’est le monde.
Pour être tout à fait franche, j’ai ressenti au cours de ma lecture quelques moments de lassitude, les tours et détours empruntés par le récit m’ayant parfois paru un peu démesurés, voire peut-être un peu affectés. (Notons toutefois l’excellent travail de l’éditeur qui avait à l’origine reçu un manuscrit beaucoup plus épais et a invité l’auteur à trancher dans le vif.) Sans doute s’agit-il là du défaut des qualités du livre, ambitieux, qui s’efforce d’embrasser de nombreuses réflexions.
Il n’en reste pas moins que ce roman est pertinent, passionnant dans les questionnements qu’il aborde, notamment sur la place de la littérature, et, je le répète, écrit d’une plume extrêmement maîtrisée. Un très honorable Goncourt, en somme.