Né en 1961, Michel Moutot est journaliste pour l’Agence France Presse depuis 1985.
En 1999, il a obtenu le prestigieux prix Albert-Londres pour sa couverture de la guerre au Kosovo. En 2001, il a reçu le prix Louis-Hachette pour le travail qu’il a effectué à New York lors des attentats du 11-Septembre.
En 2015, il a publié son premier roman, Ciel d’acier, qui sort aujourd’hui en poche, aux Editions Points Seuil. Il y évoque l’histoire de la tribu indienne des Mohawks, intrépides bâtisseurs, depuis l’édification d’un pont au-dessus du fleuve Saint-Laurent, dans les années 1890, à la construction, puis l’anéantissement des Twin Towers.
Des exemplaires de son livre sont à gagner, en bas de cet article...
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© Sophie Bontemps
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J’avais déjà rencontré Michel l’année dernière, après la sortie de son flamboyant roman, Ciel d’acier.
A l’occasion de sa parution en poche, il m’a fait l’amitié d’accepter une interview. Nous nous sommes donc retrouvés par un après-midi neigeux dans un bar cosy du XIIe arrondissement et il m’a parlé longuement de la genèse de son livre, de son écriture... et de son prochain roman, dans lequel il est déjà bien immergé !
La discussion est partie de mon envie de parler de son désormais double statut de journaliste et écrivain, qui est un aspect de l’écriture qui m’intéresse particulièrement. Ce double visage caractérise deux écrivains que j’admire : Jules Vallès et Emmanuel Carrère, dont je venais tout juste d’apprécier le dernier livre, un recueil d’articles... Il n’en fallait pas davantage pour lancer la discussion : Michel a aussitôt réagi. En tant que journaliste...
J’aime beaucoup le style de Carrère. Mais son mélange me pose un problème. Par exemple, lorsqu’il raconte le naufrage du Koursk, il le raconte de l’intérieur. C’est extra, mais personne ne sait ce qui s’est réellement passé. Et il ne «vend» pas ça comme une fiction ; c’est quelque part entre la fiction et la réalité. Il invente et il y a une ambiguïté qui me gêne. Il ne dit pas assez que ce qu’il ne savait pas, il l’a inventé.
Mais c’est sa vision. Il s’empare d’un fait dont personne aujourd’hui ne peut dire comment il s’est vraiment déroulé.
Mais je ne suis pas sûr que tout le monde sache ça.
Même dans L’Adversaire, qui est un roman et non un reportage, il prête des pensées à Romand. Mais en fait, qui sait ce qu’il pense vraiment ?
Carrère s’affirme comme quelqu’un qui, même s’il ne sait pas, essaie de comprendre, de retracer, et il étudie ce que cette situation interroge en lui. Il questionne quelque chose qui est au cœur de l’écriture : c’est le rapport entre la réalité et la fiction.
Vous, comment faites-vous avec ça ?
Pour ma part, je suis parti d’un fait réel [les attentats du 11-Septembre], mais tous mes personnages sont inventés, même si je me suis inspiré de personnes réelles.
Je comprends bien que votre démarche est très différente de celle de Carrère, et je ne cherche pas à faire de parallèle. Mais j’aimerais savoir en quoi vos deux activités de journaliste et d’écrivain sont liées ou pas, et en quoi elles se nourrissent mutuellement.
À la fois elles se nourrissent et elles sont antinomiques. Le fait d’être journaliste m’a gêné pendant un bon moment. Ça fait trente ans que je fais ce métier, et je me suis aperçu, quand j’ai commencé à écrire mon livre, que j’étais en train de faire un très long reportage. C’est difficile d’écrire autrement.
Quel a été le déclic pour vous ? Vous étiez à New York le 11 septembre 2001. Les gratte-ciel et leur construction sont au centre de votre livre. Est-ce cet événement-là qui vous a donné envie de vous exprimer autrement, à travers un roman ?
Non, ce qui m’a donné envie d’écrire, c’est l’exposition de 2002 du National Museum of the American Indian de New York, donc après nine-eleven, où l’histoire de la tribu Mohawk était racontée. C’est là que je l’ai vraiment découverte. Je connaissais la légende selon laquelle ces Indiens n’avaient pas le vertige, mais je n’avais pas le recul historique. Moi qui ai été un grand lecteur de James Fenimore Cooper, du Dernier des Mohicans, j’ai trouvé ça tellement romanesque qu’en rentrant en France, en 2003, j’ai fait des recherches sur Internet et je me suis aperçu, à mon grand étonnement, que personne n’en avait fait de bouquin. J’ai trouvé ça dommage, mais ça n’allait pas au-delà. J’avais la certitude pour ma part d’en être incapable.
Puis, j’ai fait le nègre officiel pour un de mes amis, Nicolas Dubreuil, guide d’expédition en Antarctique. À la demande d’un éditeur, on est allés passer trois semaines au Groenland, et j’ai adoré écrire ce livre*. J’ai apprécié de me retrouver seul face à cette histoire et de me la raconter. A moi, d’abord.
J’avais un canevas très précis : c’était l’histoire de Nicolas, c’était plus facile. De par mon métier, je n’ai pas l’angoisse de la page blanche. La plupart du temps, j’ai une heure pour écrire...
Le moment où «je suis devenu écrivain», je peux le situer précisément. C’était à Ilulissat. On était coincés là-bas pour trois jours à cause d’une panne d’avion, et la compagnie aérienne nous avait installés dans un superbe hôtel tout en bois au pied des glaciers, avec de vastes baies vitrées donnant sur une forêt d’icebergs. J’ai passé là trois jours, assis face à ce paysage grandiose, à écrire l’histoire de Nicolas, qui passait de temps en temps répondre à mes questions. Ces trois jours-là, jamais je ne les oublierai.
Je me réveillais très tôt, vers 5 heures, et il y a un matin où je me suis dit : «Chouette, tu vas écrire !» Ce jour-là c’était gagné, j’ai su que j’irais au bout.
Dans la vie, je crois qu’il faut toujours essayer de faire quelque chose dont on pense que c’est un peu trop dur pour soi. C’est soi-même qu’on doit convaincre et étonner. On est son premier lecteur ; les autres, c’est accessoire.
" Écrire l’histoire des Indiens Mohawks, ce n’était plus l’Everest, c’était le mont Blanc. L’Everest, tu n’essaies même pas ; mais le mont Blanc, avec un peu d’entraînement, tu dois pouvoir… "
Or l’éditeur a été super content. Quand il m’a proposé d’en faire un autre, j’ai refusé, l’ayant fait par amitié pour Nicolas et pour le plaisir d’aller au Groenland.
Mais j’avais franchi une étape. Ce qui m’apparaissait jusqu’alors comme un Himalaya - écrire l’histoire des Indiens Mohawks -, ce n’était plus l’Everest, c’était le mont Blanc. L’Everest, tu n’essaies même pas ; mais le mont Blanc, avec un peu d’entraînement, tu dois pouvoir...
Et puis j’avais très envie de me retrouver à nouveau avec mon ordinateur, avec mon histoire à raconter.
Donc, je m’y suis mis. J’ai d’abord passé un an à lire tout ce qui avait été écrit sur le 11-Septembre et sur les Indiens Mohawks, j’ai tout pris en note et mis en fiches : c’est ma méthode de reportage. Et un jour je me suis lancé.
Après il ne faut pas lâcher, mais je n’ai pas eu trop de mal à arriver au bout parce que j’étais tenu par l’histoire.
Je voulais la raconter en alternant deux époques parce que j’aime bien ça en tant que lecteur. C’est toujours l’idée qu’il faut essayer de se plaire à soi-même. Alors j’ai fait le livre que j’aurais aimé lire. À l’arrivée, c’est beaucoup mieux que ce que je pensais pouvoir faire ! En fait, les choses se sont mises en place progressivement.
Pour mon nouveau roman, j’ai ma trame de départ : des chasseurs de baleines de Nantucket qui ont tout lâché, au milieu du XIXe siècle, pour aller chercher de l’or en Californie. Ensuite, il va se passer tout un tas d’événements dont je n’ai pas encore idée. Mais je suis beaucoup moins inquiet, car je sais que je vais trouver. Ce sera dans un an, deux ans, peu importe... Je sais à présent que j’en suis capable.
Comment vous est venue l’idée de cette nouvelle histoire ?
Elle est née d’un reportage que j’ai fait à Nantucket, en 2000. J’y avais rencontré Nath Philbrick, l’auteur du livre La Véritable Histoire de Moby Dick, qui narre le naufrage du baleinier Essex en 1820, dont s’est inspiré Melville pour écrire son chef-d'œuvre et dont Ron Howard a tiré un film sorti l'année dernière.
Au détour d’une phrase, il m’a appris que tous les protagonistes de cette histoire étaient partis chercher de l’or en Californie. Or cette histoire de ruée vers l’or me fascinait déjà quand, étant petit, j’écoutais Claude Villers la raconter à la radio...
Je vais l’entremêler avec une histoire de chercheurs d’or de nos jours, en Alaska. C’est une histoire géniale, que j’ai découverte grâce à un reportage qu’a fait ma femme pour le magazine Thalassa ! On y voyait un jeune gars originaire de l’Oregon plonger sous la glace pour chercher le sable aurifère. Au bout de deux heures, il ressortait bleu de froid et se tournait vers la caméra pour dire : «You know, this is no gold fever, this is freedom fever.» Au moment où je l’ai vu, j’ai su que je tenais mon personnage !
Pour ce livre, j’ai déjà passé dix jours à New York, puis je vais aller poursuivre mes recherches à San Francisco. Au final, si j’y arrive, ça peut être bien, vraiment. C’est une bonne base, en tout cas.
Tout à l’heure, vous avez mentionné James Fenimore Cooper ; quelles sont vos références littéraires ?
D’abord et avant tout Steinbeck. Je suis un fan absolu. Les Raisins de la colère, c’est le bouquin qui m’a fait passer de la Bibliothèque verte à la « littérature de grand ». J’avais 13-14 ans, je suis tombé dedans et je refusais de venir manger.
Parfois, quand ça coince, je me demande comment il aurait fait et je feuillette ses livres.
En fait, ce que j’aime, c’est que c’est simple. J’ai horreur des fioritures. Une histoire, si elle est bonne, elle se suffit à elle-même. Très souvent, lorsqu’un reporter tombe sur une bonne histoire, s’il est débutant il va en faire des kilos. Et c’est exactement l’inverse qu’il faut faire. Une histoire, plus elle est forte, plus il faut épurer.
La plus belle histoire du 11-Septembre que j’ai trouvée et que j’ai mise dans mon livre, c’est celle du père qui cherche son fils dans les décombres des tours. Quand il l’a racontée, on était une dizaine de personnes autour de lui ; j’étais avec des flics, des pompiers... des gros costauds. A la fin, tout le monde pleurait. Puis le type s’est levé, il est parti. Et là, je me suis dit : «Mon gars, cette histoire, elle est tellement forte, tu vas la raconter simplement.» C’est le papier le plus fort que j’aie jamais fait. Dix ans plus tôt, pourtant, je ne l’aurais pas écrit comme ça...
"Dans mon livre, je ne pense pas qu’il y ait plus de trois adverbes."
Des histoires pareilles, il n’y en a pas beaucoup dans une vie de journaliste. Et dans ces cas-là, il faut faire simple, ça suffit. Naturellement, on a tendance à mettre plein d’adjectifs et d’adverbes. Dans mon livre, je ne pense pas qu’il y ait plus de trois adverbes. Je n’en mets jamais, je déteste ça. Au début j’en mettais plein. Je m’en suis aperçu et, du coup, je m’arrêtais au milieu de l’adverbe et je l’enlevais. Et j’ai tellement pris l’habitude que je n’en mets plus.
Les adjectifs, j’en mets très peu. J’essaie de mettre les bons à la bonne place. Et c’est ça qui est dur. Ça vient avec l’entraînement. Il faut refaire et refaire encore. Relire. C’est ça que j’aime. C’est une de mes frustrations à l’agence. On manque de temps. Quand tu relis ton papier trois jours plus tard, tu ne vois plus que les défauts. Mais là, avec le roman, tu as le temps, tu peux revenir.
Et je coupe. Tout ce que je peux couper sans ôter du sens, je coupe ! Au final, c’est rarissime que ce soit moins bien. Arriver au truc simple. Mais ce n’est pas n’importe quel mot à n’importe quelle place. Il faut trouver le bon. C’est du boulot. C’est comme un ébéniste : plus il va poncer, mieux ce sera. Il n’y a pas de moment où il abîme sa pièce à force de la travailler.
Le défi, pour moi, maintenant, ça va être l’intime. Il faut que je creuse davantage mes personnages. Certains sont à peine esquissés. Je vais vraiment essayer de faire ça. Ça va être dur, parce que ça ne m’est pas naturel...
Mais je vais prendre mon temps. Il va falloir que je monte encore une marche. Aujourd’hui, je sais que j’en suis capable...
On patientera donc avant d'avoir le plaisir de lire ce nouveau roman !
En attendant, j’encourage évidemment tous ceux qui ne l’auraient pas encore fait à lire Ciel d’acier pour découvrir la formidable épopée de ces Indiens Mohawks, bâtisseurs de l’Amérique.
Pour cela, je m’associe à Michel pour vous offrir trois exemplaires dédicacés de l’édition Points Seuil qui vient de sortir. Il vous suffit pour cela de vous inscrire en commentaire pour le tirage au sort qui sera fait la semaine prochaine.
* Aventurier des glaces, Nicolas Dubreuil & Michel Moutot, La Martinière, 2012.