jeudi 28 mars 2019

Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla


Jean-Christophe Rufin

Gallimard, 2019



Lorsque les éditions Gallimard m’ont proposé de m’adresser le nouvel opus de Jean-Christophe Rufin en vue d’une rencontre avec l’auteur, j’ai évidemment répondu avec enthousiasme. Même si je dois reconnaître n’avoir lu qu’une petite partie de son oeuvre, le parcours du bonhomme est suffisamment fascinant pour que l'on se rue sur une telle occasion ! Quant à son roman, le souvenir d’une écriture alerte et d’histoires savamment déroulées ne pouvait que m’encourager à le poser d’emblée au sommet de ma PAL.

Grand bien m’en a pris : il a fait les délices des quelques jours de vacances que je m’étais octroyée au terme d’une intense période de travail ! 
Au cours de la rencontre qui s’est tenue la semaine dernière, Rufin nous a confié vouloir compter, lorsqu’il se met à écrire, sur un moteur de grosse cylindrée pour pouvoir démarrer et filer en trombe sur les chemins de la fiction. La métaphore me paraît tout à fait pertinente, et c’est donc solidement arrimée à ce pilote chevronné que je suis d’abord partie sur les routes de l’ex-URSS pour faire connaissance avec ses héros et en suivre les aventures qui me menèrent de France aux Etats-Unis, à l’aube du XXIe siècle...

Le titre du roman nous renseigne d’emblée : c’est bien à une histoire d’amour que nous avons à faire. Mais un amour plein de reliefs, un amour changeant, un amour épousant - si je puis dire - les aléas de vies désormais très longues, confrontant parfois les individus à des expériences multiples qui les transforment ou les modèlent... pour le meilleur et pour le pire.

Edgar et Ludmilla connaissent plusieurs vies en une. Ils se découvrent des talents qu’ils ignoraient, saisissent toutes les opportunités qui se présentent à eux, sont tour à tour confrontés au plus complet dénuement et à une insolente opulence, acquièrent le statut de personnages publics, déploient, chacun de son côté, des projets professionnels plus ou moins couronnés de succès. Comment leur amour, qui est sincère et puissant, résiste-t-il à ces violents mouvements ? Comment leur relation évolue-t-elle au gré de ces retournements ? C’est ce qu’explore l’auteur qui, à en croire sa foisonnante biographie, pourrait bien en connaître un rayon sur la question...

Jean-Christophe Rufin, comme Tonino Benaquista, appartient à cette famille d’écrivains que j’appelle des conteurs-nés. Ils ont ce don de vous entraîner sur n’importe quel terrain, y compris ceux qui vous semblent les plus étrangers, avec une ébouriffante aisance. Ils vous enchantent à tous les coups ! Ajoutez à cela une écriture élégante et gracieuse - Rufin n’est pas académicien pour rien -, et vous obtenez un réjouissant roman qui se lit à fond de train !



Jean-Christophe Rufin et son attachée de presse, Pascale Richard,
à la galerie Gallimard, le 21 mars dernier



mardi 26 mars 2019

Une lectrice de « A à Z »






J’ai découvert ce tag chez Anne-Claire, avec qui je partage plus que l’amour de la littérature, une passion pour celle du XIXe siècle. J’adore les tags, et celui-ci permet vraiment de se représenter en tant que lecteur. C’est donc avec un réel plaisir que j’y ai répondu…


A pour « auteur » : l’auteur(e) dont tu as le plus de livres :

Ah, bonne question… Vu que j’ai certains auteurs en Pléiade, et parfois plusieurs éditions d’un même titre, ça brouille un peu les choses. Mais si je compte en nombre de volumes effectivement dans ma bibliothèque, finalement ce serait peut-être Olivier Rolin.

 B pour « best » : la meilleure suite de série :

Je ne suis pas très séries… Je dirais L’Amie prodigieuse, dont j’ai attendu et dévoré chaque tome avec la même impatience et une égale avidité.
 
C pour « current » : ta lecture en cours :

Je m'apprête à commencer A la ligne, de Joseph Ponthus.

D pour « drink » : la boisson qui accompagne tes lectures :

Ah, ça dépend ! Le matin, un café, et en journée une infusion, un chocolat chaud, un kir ou un cocktail, selon l’horaire, la saison et l’humeur du moment J

E pour « e-book » : e-book ou roman papier :

Plutôt papier. Mais dès que je pars en vacances, je n’ai plus d’yeux que pour ma liseuse !

F pour « fictif » : un personnage fictif avec qui tu serais sortie au lycée :

Hum… Vu mes lectures de l’époque, pas franchement évident. Qui aurait envie de sortir avec Etienne Lantier ou Georges Duroy – aussi séduisant soit-il ? Peut-être Frédéric Moreau, le héros de L’Education sentimentale… Ou, oui, bien sûr D’Artagnan ! Mais ça, ce sont plutôt mes années collège.  

G pour « glade » : un roman auquel tu es contente d’avoir laissé une chance :

Il y en a sûrement plusieurs… Récemment, je dirais Le Bûcher, du Hongrois Gyorgy Dragoman. C’est un livre dans lequel il n’est pas facile d’entrer. Mais je n’ai pas voulu abandonner – il faut dire qu’on avait prévu une lecture commune avec mon amie Nicole – et finalement ce livre m’a semblé d’une force littéraire inouïe et je sais qu’il me restera.  

H pour « hidden » : un roman que tu considères comme un joyau caché :

Oh, il y a en a plein ! Mais celui qui me vient d’abord à l’esprit c’est Le sourire étrusque, de l’Espagnol Jose Luis Sampedro. Il raconte la rencontre entre un grand-père et son petit-fils. C’est une histoire d’amour bouleversante, qui parle de transmission, du sentiment d’un monde qui change et vous échappe… C’est un roman plein d’humanité qui a vraiment une dimension universelle. Je l’adore et toutes les personnes qui l’ont lu en ont été aussi émues que moi.

 
I pour « important » : un moment important dans ta vie de lectrice :

Evidemment le moment où, à la lecture d’un livre, vous sentez votre rythme cardiaque s’accélérer, une vague de chaleur vous envelopper et où tout, autour de vous, cesse d’exister...

J pour « juste » : le livre que tu viens juste de finir :

In paradisum, d'Isabelle Jarry, qui m’a été adressé par un grand lecteur qui avait eu la délicate attention de me le faire dédicacer.

K pour « kind » : le genre de roman que tu ne liras jamais :

J’ai sûrement tort car il y a forcément de bons auteurs dans ce genre, mais j’avoue que la science fiction ne m’attire pas du tout…

L pour « long » : le plus long roman que tu aies jamais lu :

Peut-être Une saga moscovite, de Vassili Axionov ? Un bon pavé de 1040 pages, dans un format Du monde entier pourtant agrandi. Mais bon, vous connaissez les Russes J

M pour « major » : le livre qui t’a causé le plus gros « hangover » :

On va dire un roman qui m’a laissée KO ? Je dirais La Nuit recommencée, de l’Argentin Leopoldo Brizuela. Encore une expérience littéraire d’une rare intensité. Par son écriture, l’auteur parvient à nous faire ressentir, voire vivre, oui, une dictature. Il nous installe dans cette angoisse, cette perte de repères, de mémoire qu’un tel régime impose. C’est d’une force incroyable, et je me souviens que je devais régulièrement poser mon livre et sortir quelques instants de ma lecture pour pouvoir respirer…

N pour « nombre » : le nombre de bibliothèques que tu possèdes :

Deux : une grande, qui prend tout le mur du salon, du sol au plafond, mais que je partage avec ma moitié. Et une autre, à côté de mon lit, où sont logés tous les livres qui me sont le plus chers. Mais il y a d’autres bibliothèques dans la maison… et des livres qui se baladent un peu partout !

O pour « one » : un roman que tu as lu plusieurs fois :

 Sans aucune hésitation la trilogie de Jacques Vingtras, soit L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé, de Jules Vallès.

P pour « préféré » : ton endroit préféré pour lire :

P… comme Partout !

Q pour « quote » : une citation des livres que tu as lu qui t’inspire ou te fait ressentir plein d’émotions :

"Plus tard, des années plus tard, quand j'aurai bien vieilli, on dira Kärcher, c'est la même chose, la même violence, la même humiliation. Charter, Kärcher, racaille, des mots, des mots. On dit qu'il ne faut pas s'arrêter aux mots, qu'il y a plus important. Moi, je m'y arrête, je ne peux faire autrement". 

Cette citation est extraite d'un livre extraordinaire paru en 2017 qui m'avait littéralement soufflée, foudroyée : Rue Monsieur-le-Prince de Didier Castino. L'auteur montre très bien ici combien les mots employés ne sont jamais innocents, ce qui me semble extrêmement juste. 

R pour « regret » : un regret de lecture :

C’est quoi, un regret de lecture ? Un livre dont on se dit qu’on a un peu perdu son temps à le lire ? Dans ce cas, je vais les garder pour moi… Et de toute manière, je n’ai aucun état d’âme à abandonner un livre auquel je ne trouve aucun intérêt.

S pour série : une série que tu as commencée mais jamais finie (et dont tous les tomes sont sortis) :

Euh… La comédie humaine J

T pour « trois » : trois de tes livres préférés de tous les temps :

Evidemment L’Enfant - Le Bachelier – L’Insurgé (je triche un peu en en faisant une seule œuvre;-) 

L’Invention du monde, d’Olivier Rolin

Plus difficile pour le troisième, car plusieurs me viennent. Disons Les Liaisons dangereuses.

U pour « unapology » : quelque chose dont tu es fan sans aucun remord :

Mais je n’ai aucun remords !

V pour « very » : un livre dont tu attends la sortie avec une grande impatience :

Le prochain livre d’Abnousse Shalmani ;-)

W pour « worst » : ta pire habitude livresque :

Comme tous les lecteurs invétérés : me procurer plus de livres que je ne peux en lire !

X pour « x » : commence à compter à gauche en haut de ton étagère la plus proche et prends le 27ème livre :

Le Jeûne et le festin, d'Anita Desaï : une lecture déjà très ancienne. Pas le livre qui m'a le plus marquée, mais celui d'une femme, une Indienne, et ces livres-là me sont précieux.

Y pour « your » : ton dernier livre acheté :

Janesville, une histoire américaine, d'Amy Goldstein. Mais je ne l’ai pas encore lu…  

Z pour « Zzz » : le dernier livre qui t’as tenue éveillée bien trop tard dans la nuit:

Des hommes couleurs de ciel, d’Anaïs Llobet… Je ne l’ai pas lâché avant d’en avoir lu la dernière ligne.


Et si jamais l'un des livres que je cite vous intrigue, vous les retrouverez presque tous sur mon blog, à l'exception des classiques ;-)





vendredi 22 mars 2019

L’Américaine


Catherine Bardon

Les Escales, 2019



J’avais raté Les déracinés, le premier roman de Catherine Bardon. Ce n’était pourtant pas faute d’en avoir lu beaucoup de bien. Aussi, à l’annonce de son deuxième opus, j’ai préféré ne pas risquer de voir d’autres livres l’évincer et je m’en suis emparée dès qu’il a été disponible.

Et le plaisir qu’on m’avait promis a bien été au rendez-vous. D’abord, sans doute, parce que ce livre appartient à un genre que j’affectionne particulièrement, celui du roman d’apprentissage. Encore faut-il que celui-ci soit maîtrisé. Or l’écriture de Catherine Bardon est fluide et alerte, et le rythme qu’elle imprime à son récit ne connaît aucun temps mort. C’est avec une certaine avidité que j’en ai tourné les pages pour suivre la destinée de la jeune Ruth depuis le départ de sa terre natale, la République dominicaine, à son installation à New York dans les années 1960. Vous l’imaginez sans peine, ce cadre invite aisément au romanesque, et l’auteure a très bien su en tirer parti. 
En effet, au-delà de l’histoire de l’héroïne en quête de son identité, Catherine Bardon embrasse celle des Etats-Unis, évoquant tour à tour le fameux discours de Martin Luther King, auquel assiste Ruth, l’assassinat de Kennedy, la Factory de Warhol ou encore les communautés hippies. Elle dessine ainsi en les entremêlant avec habileté le portrait d’une jeune femme et celui d’un pays.
En arrière-fond, Catherine Bardon continue d’explorer l’histoire chahutée et douloureuse de la République dominicaine, pays qui lui est cher, où elle a vécu et où se situait son premier roman.

Si tant est que l’on puisse parler de livre d’été - entendez par là une pagination généreuse, des personnages avec lesquels on fait corps et une lecture aisée et prenante - celui-ci pourrait bien être le vôtre !  

mardi 19 mars 2019

Vigile


Hyam Zaytoun

Le Tripode, 2019



A l’heure d’écrire ma chronique, j’avoue mon embarras : il se confirme que je suis fort peu réceptive aux textes brefs. J’ai besoin qu’un univers se déploie plus largement pour que se dépose en moi une empreinte profonde.

Pourtant, ce récit commençait bien. La première scène est d’une remarquable efficacité. On fait corps avec cette femme qui, au beau milieu de la nuit, est réveillée par les sons étranges que produit son compagnon allongé à ses côtés. Il lui faut quelques instants pour sortir de sa torpeur et pressentir la gravité de ce qui est en train d’advenir. Aussitôt le rythme s’accélère, lorsque cette femme effectue avec l’énergie de l’urgence et le sang-froid qu’impose la situation les gestes qui sauveront peut-être la vie de l’homme avec lequel elle partage la sienne. 
Dans ce moment où elle se donne entièrement pour tenter de retenir la vie lui reviennent en mémoire les heures où elle l’a donnée. Une manière de congédier l’angoisse et de convoquer la détermination qu’il a fallu pour mettre un enfant au monde. C’est cette force-là qui préside à ces instants. 

Après une telle intensité, pas facile de maintenir le cap. Et si les dernières pages - dont je ne vous dirai bien entendu pas un mot - retrouvent une part de cette puissance, le coeur du texte m’a, en comparaison, paru plus fade. Les souvenirs liés à la vie qui va, avec les heurts, les déconvenues, les incompréhensions ou les frustrations que chacun de nous peut connaître m’ont laissée de marbre. Et si les mots semblent choisis avec attention, l’enchaînement de phrase courtes n’a pas permis de donner du relief à ce témoignage relativement convenu.

Je suis loin donc de l’enthousiasme soulevé par ce texte, qui révèle pourtant des qualités et un potentiel qui s’affirmeront, je l’espère, dans l’avenir.



A la ligne, Joseph Ponthus, La Table Ronde
Boys, Pierre Theobald, Jean-Claude Lattès
Comme elle l'imagine, Stéphanie Dupays, Mercure de France
Des hommes couleur de ciel, Anaïs Llobet, L'Observatoire
Ecorces vives, Alexandre Lenot, Actes Sud noir
Ivoire, Niels Labuzan, Jean-Claude Lattès
L'Appel, Fanny Wallendorf, Finitude
Le matin est un tigre, Constance Joly, Flammarion
Les heures solaires, Caroline Caugant, Stock Arpège
Les petits garçons, Théodore Bourdeau, Stock Arpège
L'odeur de chlore, Irma Pelatan, La Contre-Allée
Saltimbanques, François Pieretti, Viviane Hamy
San Perdido, David Zukerman, Calman-Levy

Suiza, Bénédicte Belpois, Gallimard
Tête de tambour, Sol Elias, Rivages
Varsovie-Les Lilas, Marianne Maury-Kaufamann, Héloïse d'Ormesson
Vigile, Hyam Zaytoun, Le Tripode

mercredi 13 mars 2019

L’île aux enfants

Ariane Bois

Belfond, 2019



D’Ariane Bois je n’avais lu qu’un seul livre, Le gardien de nos frères. J’en gardais un bon souvenir, celui d’un roman à l’écriture certes très classique, mais aussi reposant sur une intrigue bien construite, fondée sur un épisode de l’Histoire solidement documenté. Et c’est bien ce schéma que j’ai retrouvé ici.

Mais que cache donc ce titre propre à faire sourire n’importe quelle personne de ma génération ? Pas de monstre gentil dans ces pages, mais bien des hommes et des femmes mettant froidement en oeuvre une terrifiante opération d’Etat. 
Nous sommes dans les années 60 sur l’île de la Réunion. Deux fillettes de 6 et 3 ans jouent sur les abords d’une route. Soudain, une voiture s’arrête et les happe sans ménagement. Quelques semaines plus tard, en compagnie d’une multitude de gamins ayant connu le même sort, les soeurs atterrissent à Paris, d’où elles sont conduites dans la Creuse où elles seront séparées pour être confiées à des familles d’accueil.

On suit l’aînée, Pauline, dont les nom et prénom seront changés par ses parents adoptifs pour mieux effacer son histoire. Elle finira pas oublier ses origines, s’enfermant dans une forme de déni allant jusqu’à éluder la question de sa différence de couleur avec les autres membres de sa famille. Celle-ci, lui expliquent-ils, ne serait due qu’à un taux de mélatonine plus élevé chez elle... C’est sa propre fille Caroline en quête de ses origines, bien des années plus tard, alors qu’un scandale d’Etat commence à être mis au jour, qui lui révélera sa véritable identité au terme d’une enquête menée avec pugnacité.

Alors, c’est vrai, le roman est parfois un peu cousu de fil blanc, à l'image de la manière dont Caroline s’associe à un journaliste pour obtenir des informations classées confidentielles... Mais je dirais que c’est le défaut de ses qualités : aucun temps mort, le rythme ne souffre aucune baisse de régime. Quant aux personnages, ils se révèlent attachants.

Mais surtout, l’auteure démonte parfaitement la mécanique de cette effroyable entreprise visant à repeupler les régions désertifiées de la métropole, dont j’ignorais pour ma part absolument tout. Elle révèle la manière dont l’Etat français arracha à leurs familles des centaines d’enfants, leur promettant pour eux une éducation et un avenir prétendument inaccessibles sur leur île. Combien de parents signèrent, parfois d’une simple empreinte de doigt, le document qui les séparera à tout jamais de leurs enfants. Car toute velléité de recherche qui pourrait par la suite être tentée sera vouée à l’échec. Combien de familles et d’individus furent brisés par cet acte barbare ! Et combien d'enfants se virent alors ravalés au rang d'esclaves dans des fermes du centre de la France...

Au-delà de l'histoire parfaitement déroulée par l'auteure, cette dernière lève le voile sur un épisode peu glorieux de notre histoire. La forme romanesque se révèle parfois précieuse pour évoquer des sujets graves ou difficiles à regarder en face. L’île aux enfants en est une parfaite illustration.


Un livre à retrouver aussi sur YouTube






samedi 9 mars 2019

San Perdido


David Zukerman

Calmann Levy, 2019



Au vu de l’enthousiasme qu’a soulevé ce livre auprès de mes amis des 68 Premières fois, c’est avec une certaine exaltation que j’en ai entrepris la lecture. Je préfère donc vous prévenir d’emblée: mes mots vont détonner dans ce concert de louanges. Car je vous l’annonce tout de go, je me suis ennuyée ferme et, si je n’avais reçu ce roman dans le cadre des 68, je l’aurais très certainement abandonné en cours de route...

Peut-être êtes-vous déjà en train de vous indigner, ou du moins de vous étonner, en lisant ces lignes. Mais j’ai trouvé ce texte décousu, les liens entre les principaux protagonistes ne nouant pas selon moi une intrigue solide. On suit tantôt l’un tantôt l’autre, au gré... je ne sais pas vraiment de quoi ; on quitte une héroïne pour la retrouver quelques chapitres plus loin sans qu’elle prenne une quelconque consistance... Bref, je ne m’y suis absolument pas attachée. Et à aucun moment je n’ai saisi quel était l’objet ou l’ambition du roman. Si on me demandait de dire en deux ou trois phrases quel en est le coeur, le propos, je crois que j’en serais incapable.
Je n’ai pas trouvé non plus la peinture sociale ou historique que j’avais imaginé trouver, ou si peu. Quelques pages seulement sur les Cimarrons à la toute fin du roman. Mais une notice Wikipedia aurait tout aussi bien fait l’affaire.

Et surtout, ce texte m’a semblé n’être rien d’autre que l’expression des fantasmes féminins et sexuels de l’auteur. Car s’il y a une chose qui est parfaitement dépeinte, ce sont les courbes harmonieuses et la nature de la beauté presque surnaturelle des deux véritables bombes que sont Yumna et Hissa qui «ondulent» à longueur de page - jamais je n’ai vu ce mot autant de fois répété ! Eh oui, mesdames, sachez que lorsque nous nous déplaçons, nous ne marchons pas, mais nous avançons en faisant onduler nos hanches ! 
Quant à la complaisance avec laquelle ces femmes se soumettent au désir priapique des hommes, quand bien même elles auraient été contraintes de faire commerce de leur corps depuis leur plus tendre enfance, comme Hissa, j’avoue qu’elle a eu du mal à passer. Mais c’est bien connu, nous aimons ces hommages rendus par la gent masculine ! A l’image de ces « deux métisses pulpeuses dont les hommes flattent parfois la croupe sans qu’elles se départissent d’une bonne humeur contagieuse.» Eh oui, une bonne main aux fesses, ça fait toujours plaisir et ça met l’ambiance ! 

Si encore le roman avait fait 200 pages, j’aurais peut-être été moins sévère. Mais il en compte un peu plus du double, et vous comprendrez donc que j’aie trouvé la potion un peu amère...


Allez, je vous mets quand même le lien vers le billet de Nicole, qui offre un vrai contrepoint au mien !



A la ligne, Joseph Ponthus, La Table Ronde
Des hommes couleur de ciel, Anaïs Llobet, L'Observatoire
Ecorces vives, Alexandre Lenot, Actes Sud noir
Ivoire, Niels Labuzan, Jean-Claude Lattès
L'Appel, Fanny Wallendorf, Finitude
Le matin est un tigre, Constance Joly, Flammarion
Les heures solaires, Caroline Caugant, Stock Arpège
Les petits garçons, Théodore Bourdeau, Stock Arpège
L'odeur de chlore, Irma Pelatan, La Contre-Allée
Saltimbanques, François Pieretti, Viviane Hamy
San Perdido, David Zukerman, Calman-Levy
Tête de tambour, Sol Elias, Rivages
Varsovie-Les Lilas, Marianne Maury-Kaufamann, Héloïse d'Ormesson
Vigile, Hyam Zaytoun, Le Tripode








dimanche 3 mars 2019

Nous aurons été vivants


Laurence Tardieu

Stock, 2019





La narratrice de ce livre est peintre, et si je devais comparer ce texte à une oeuvre picturale, je dirais volontiers qu’il s’agit d’une vanité. A travers l’histoire d’Hannah, Laurence Tardieu ne cesse en effet de tenter d’appréhender la fuite du temps et ne fait pas autre autre chose que constater la fugacité de la vie humaine.

Hannah, la soixantaine, n’a jamais connu l’insouciance. Enfant, elle venait se lover contre son frère, la nuit, et l’interrogeait : «Est-ce que tu n’as pas peur de mourir, toi ? (...) Tu te rends compte qu’un jour on va mourir, on va disparaître, on va tous disparaître.» Comment  aborder la vie sans éprouver ce vertige, surtout quand la violence du monde vient quotidiennement se rappeler à nous ? 
Est-ce ce poids dont elle ne parvient pas à se défaire qui a conduit sa fille à quitter du jour au lendemain le foyer familial, voilà sept ans, sans jamais donner de nouvelles ? Hannah n’en finit pas de s’interroger. Cette disparition n’est évidemment pas de nature à l’apaiser... Mais en marquant une rupture, en créant un avant et un après,  elle l’aide d’une certaine manière à saisir le passage du temps, ce temps d’une vie qui se sera si vite écoulée.

Si ce personnage d’Hannah peut à certains égards sembler larmoyant - et j’imagine que sa propension à la mélancolie est propre à irriter plus d’un lecteur -, il aborde les questions que tout individu, de manière plus ou moins aiguë et plus ou moins formalisée, peut être amené à se poser un jour ou l’autre : celles de la perception de son propre vieillissement, de sa place dans le monde, de la trace qu'il laissera, de la mémoire, de l’impact que peuvent avoir les soubresauts de l’Histoire sur nos existences... Des questions essentielles, donc, existentielles, exprimées dans ce roman avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité.