Régine Detambel
Actes Sud, 2018
Jean Harlow : ce nom ne vous est certainement pas inconnu et, tout comme moi, sans doute l’associez-vous à l’un des innombrables sex-symbols produits par Hollywood. Mais ce que j’ignorais, c’est qu’il avait été le premier de cette longue tradition. Et en lisant ce livre, je me suis aperçue que je ne connaissais en fait rien de l’actrice.
Il faut dire qu’elle n’a pas tourné dans des films inoubliables. Morte à vingt-six ans, elle n’a guère eu le temps de laisser d’autre empreinte que celle de bombe platine à la poitrine incendiaire. C’est pourtant bien elle qui se consumera irrémédiablement dans ce rôle.
Après le divorce de ses parents, la jeune Harlean Carpenter part vivre à Los Angeles avec sa mère et le nouveau mari de celle-ci. Se sent-elle de trop au sein du couple ? Elle ne songe qu’à s’en échapper et se marie à l’âge de seize ans avec un jeune homme dont elle divorcera trois mois plus tard. Pour ne pas avoir à retourner au domicile parental, il lui faut gagner sa vie. Hollywood est là, à deux pas. Elle est prête à tout pour faire un bout d’essai, obtenir un rôle de figurante ou même faire office de doublure.
Très vite, son incroyable blondeur et sa divine silhouette attirent l’attention d’Howard Hughes. La voilà propulsée dans de fastueuses soirées où elle ne sait trop à qui parler, et le contrat qu’elle signe avec la MGM fait définitivement d’elle un produit exploitable à l’envi.
Au-delà de la tragique biographie de l’actrice, ce livre aussi bref que percutant illustre parfaitement la manière dont «l’industrie du rêve» déploie tout un arsenal d’outils et de stratégies pour assurer les conditions de sa pérennité et de sa croissance. Certes, ce que relate ce livre est désormais bien connu, qu’il s’agisse de la manière dont elle phagocyte les acteurs, victimes sacrificielles de ce miroir aux alouettes, ou du caractère intrusif des majors qui prétendent régenter le moindre détail de la vie privée des stars priées de se conformer au cahier des charges qui leur est donné. Mais tout est ici restitué d'une manière magistrale.
Jean Harlow paiera le prix fort son manquement aux règles lorsqu’elle épousera un scénariste de vingt ans son aîné, Paul Bern, totalement inconnu du public. Le jour du mariage, elle ne connaît pas encore son terrible secret, mais l’époux est loin de répondre aux critères de virilité requis pour assurer le glamour et la légende. Lors de la nuit de noces, lorsque Paul ne pourra plus cacher son sexe atrophié, il ne supportera pas ce qu’il vit comme une humiliation et l’homme jusqu’à présent si doux, si élégant et si attentif s’attaquera à son épouse avec une violence inédite.
Le corps de Jean conservera la mémoire des coups reçus, sans doute à l’origine de la maladie qui entraînera plus tard sa mort. Mais avant cela, le temps faisant lentement son oeuvre, il restera cinq années au cours desquelles Harlow sera priée d’accrocher la lumière, de pointer les seins en avant, de porter des tenues suggestives, moins pour jouer la comédie que pour exciter le désir masculin.
Le regard que pose Régine Detambel sur le dernier film de la star, Saratoga, tourné avec Clark Gable, révèle combien ce corps prématurément usé, abîmé, devra néanmoins jusqu’au bout assurer ses engagements, quoi qu’il lui en coûte, et il faut reconnaître à Jean Harlow une réelle abnégation. Sous la plume de l’auteure, ce film apparaît, avec une grande justesse, comme l’illustration ultime de la marchandisation des corps, dans un système au cynisme sans limite.
Comme je le disais, on sait tout cela depuis bien longtemps. La récente affaire Weinstein vient pourtant de nous rappeler qu’en la matière les choses n'ont hélas guère évolué.
S'inscrire dans la légende semble avoir un coût. Et il est élevé.