Giorgio Scianna
Liana Levi, 2018
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
On aurait tort, parfois, de s’en tenir à la première impression que nous a faite un auteur. Le précédent roman de Giorgio Scianna qui relatait l’histoire de deux adolescents m’avait quelque peu laissée sur ma faim. Mais il faut croire que cette période de la vie m’intrigue... tout comme elle aiguillonne l’écrivain. Il nous revient en effet avec des héros âgés d’une quinzaine d’années et une histoire résolument ancrée dans notre actualité qui, pour cette raison, a de nouveau suscité mon intérêt.
Lorenzo, Roberto, Anto et Ivan sont quatre lycéens, quatre amis appartenant à la classe moyenne du nord de l’Italie. Quatre ados comme il en existe tant, parlant foot et musique, ayant un compte facebook et obtenant des résultats scolaires plus ou moins satisfaisants. Aucun conflit notable avec les parents ne vient entacher le quotidien des uns ou des autres, et tout ce petit monde se connaît et se côtoie d’ailleurs avec bienveillance. Bref, rien que de très ordinaire.
Pourtant, à la rentrée, ces quatre-là manquent à l’appel. Ils ne sont pas revenus de leur séjour en Grèce et n’ont donné aucun signe de vie. Ils ne répondent plus aux appels téléphoniques et ont cessé de consulter les réseaux sociaux. La police a beau interroger leurs camarades de classe, nul n’a la moindre idée de ce qu’ils auraient pu décider de faire. Quant aux parents, ils sont très régulièrement réunis au sein d’une cellule de crise dirigée par un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
Quand s’ouvre le roman, nous sommes déjà fin novembre, et l’enquête demeure au point mort. Tout ce que l’on a retrouvé, c’est une valise contenant leurs serviettes de plage et leurs maillots de bain dans un hôtel de Bodrum, en Turquie.
Le lecteur se fait pourtant rapidement une idée du projet qui a pu germer dans l’esprit de ces gamins. Scianna alterne en effet un point de vue extérieur, selon l’avancée de l’enquête, et la narration des événements depuis celui de l’un des jeunes garçons, Lorenzo. On comprend ainsi qu’ils ont été séduits par des vidéos de propagande djihadiste et qu’ils sont partis dans l’espoir de rejoindre un camp d’entraînement en Syrie, non sans avoir préalablement fait une étape prolongée sur l’île grecque de Kos...
Si la tournure que prennent les événements manque parfois de crédibilité - ce que j’avais déjà relevé dans le précédent roman de Scianna - cela ne m’a cette fois pas vraiment gênée et ne remet nullement en cause l’intérêt de ce roman que j’ai lu avec fébrilité et non sans un certain effroi.
Car tout l’intérêt du livre, me semble-t-il, réside dans le décalage entre la situation personnelle et l’environnement social plutôt protégés des garçons et la manière dont ils se montrent pourtant réceptifs à des messages allant à l’encontre de toutes les valeurs qui leur sont transmises. Leur petite virée balnéaire en dit d’ailleurs assez long sur leur incapacité à prendre la mesure de ce qui les attend, tandis que les parents sont à mille lieues d’imaginer, à quelque moment que ce soit, un tel scénario.
Si Scianna n’apporte pas à proprement parler d’explication à cet inquiétant phénomène, il a le mérite de l’interroger et de nous mettre en garde. Aussi difficilement concevable que cela puisse paraître, ces messages d’une parfaite maîtrise technique, esthétiquement soignés, voire teintés de lyrisme, prétendant valoriser un engagement total pour une cause et mettant en scène un sentiment d’appartenance à une communauté, peuvent susciter chez des jeunes gens en plein développement, n’ayant pas de vision claire de leur avenir et s’apprêtant à entrer dans une société dominée par un individualisme forcené, un véritable élan d’adhésion.
Il ne faudrait pas en minimiser la portée car il s'agit d'un fait avéré tant en Italie - comme en témoigne l'auteur dans une postface - qu'en France et sans doute ailleurs. A la lumière de telles situations, sonder le malaise ressenti par les plus jeunes et leur proposer un autre projet de société que "chacun pour soi" et "sois le meilleur" apparaît indispensable et urgent.
Il ne faudrait pas en minimiser la portée car il s'agit d'un fait avéré tant en Italie - comme en témoigne l'auteur dans une postface - qu'en France et sans doute ailleurs. A la lumière de telles situations, sonder le malaise ressenti par les plus jeunes et leur proposer un autre projet de société que "chacun pour soi" et "sois le meilleur" apparaît indispensable et urgent.