mercredi 5 mars 2025

Berceuse pour Octave et Paul

Arthur Cahn
Christian Bourgois, 2025


Je suis généralement réfractaire aux récits de la perte d’un enfant tant cette idée m’est insupportable. Entrer en empatie avec un personnage qui connaîtrait cette expérience me serait beaucoup trop douloureux. Pourquoi cette fois ai-je sauté le pas ? Parce que le sujet en cachait un autre, d’ordre plus sociétal.


Octave, en effet, est un petit garçon de deux ans qui se noie dans la piscine de sa grand-mère, alors que ses parents dormaient encore et qu’ils ne l’ont pas entendu se lever. Comment a-t-il réussi à enjamber les barreaux de son lit et à gagner le jardin sans se faire remarquer ? Pourquoi la bâche de protection n’avait-elle pas été tirée ? La famille endeuillée ne cessera de se poser ces lancinantes questions ni d’imaginer la litanie des « si » qui auraient pu empêcher le drame, comme sans doute commence par le faire tout parent confronté à la mort de son enfant. 


Arthur Cahn trouve les mots justes pour cerner cette absence contre-nature, l’effroi, la douleur, le sentiment de culpabilité, et il y a beaucoup de pudeur dans l’expression de cette détresse infinie. Mais c’est autre chose qui va se jouer très vite et l’on n’accompagnera pas les parents dans leur lent cheminement pour tenter d’accepter l’inacceptable et reprendre le cours d'une vie fracturée. Car Octave était un enfant adopté, et ses parents s’appellent Paul et Fabien. 


Très vite, leur souffrance est profanée : si l’enfant est mort, c’est qu’il n’avait pas de famille « normale », entendez un père et une mère qui auraient su le protéger et l’élever. Tel est le propos que tient une responsable politique militante de la Manif pour tous, farouchement opposée au mariage homosexuel, qui voit là l’occasion de remettre sa sinistre cause au coeur des débats pour tenter d’obtenir le retrait de la loi qu’avait portée en son temps Christiane Taubira. Ainsi les parents endeuillés sont-ils projetés malgré eux dans une polémique et un combat qui n'est pas le leur, eux qui voulaient simplement chérir leur fils...


La force du roman tient sans aucune doute à sa manière d’aborder l'homophobie et la question de l’homoparentalité sans opter pour une posture militante : les parents se refusent à incarner un symbole, ce qui permet à l’auteur de ne jamais se départir du point de vue intime de ses personnages. En faisant le récit d’une souffrance incommensurable sans sombrer dans le pathos, Arthur Cahn ne fait que souligner l'obscénité d'individus qui s'efforcent de salir ceux qui ne vivent pas comme eux. Il n'aurait pu mieux servir son propos : comment en effet ne pas être touché en plein coeur par ce délicat roman ?

samedi 1 mars 2025

6 avenue George V

Thomas B. Reverdy
Flammarion, 2025


Avec ce récit, Thomas B. Reverdy inaugure une toute nouvelle collection intitulée « Retour chez soi ». Le temps d’une journée et d’une nuit est offerte à un écrivain la possibilité de retourner sur un lieu de son enfance ou de son adolescence afin qu’il livre le récit intime de cette expérience. Ça vous rappelle quelque chose ? Comment ne pas penser en effet à « Ma nuit au musée » des éditions Stock ? Les succès éditoriaux sont toujours source d’inspiration pour les autres éditeurs…


Je dois dire que j’étais un peu circonspecte. D’autant que, plus encore que la confrontation avec une oeuvre qui vous touche particulièrement, ce dispositif me semblait de nature à mettre les écrivains dans une situation de profond bouleversement pouvant donner lieu à une surexposition de leur part la plus intime. Car, dans le fond, c’est bien cela qui est attendu. Mais j’aime beaucoup Reverdy, et ce n’est pas cela qui allait m’empêcher de lire son nouveau livre ! 


Ainsi donc est-il revenu dans un quartier qu’il n’a plus beaucoup l’occasion de fréquenter pour passer la nuit dans le studio de danse où sa mère prenait des cours chaque samedi et au-dessus duquel ii a occupé pendant deux ans, alors qu’il était étudiant, une petite chambre qui lui était louée pour une somme dérisoire. Un lieu empreint d’une forte charge émotionnelle puisque étroitement lié à sa mère, morte depuis trente ans. Evidemment, les souvenirs affluent. En retournant sur d’autres lieux alentour, cafés et restaurants où il se rendait enfant avec elle, des scènes lui reviennent en mémoire. Au fil des pages se dessine le portrait d’une femme éprise d’art et de liberté, qui emmenait son fils au théâtre et à l’opéra, considérant qu’on n’était jamais trop jeune pour fréquenter la beauté, que la vie n’était jamais aussi ardente que lorsqu’on était frappé en plein coeur par le jeu d’un acteur ou l’arabesque d’une étoile, et qui n’a eu de cesse de transmettre à son fils le goût de cette beauté.


Sans jamais sombrer dans le pathos, ni même la nostalgie, Reverdy rend au contraire un hommage appuyé à cette mère à laquelle j’aimerais ressembler. Ou, disons que si mes fils avaient un jour de tels mots à mon égard, c’est que j’aurai réussi à leur transmettre moi aussi ce qui est à mes yeux l’essentiel. 


Mais ce qui fait la force de ce récit, c’est que Reverdy ne se contente pas de se retourner sur son passé. Il met au contraire en perspective ce moment unique de l’adolescence où tout semble ouvert, où tous les choix semblent possibles, et regarde les années, encore nombreuses, qu’il lui reste à vivre. A cinquante ans, peut-on encore se laisser surprendre par la vie et emprunter une nouvelle voie ? Telle est sans doute l’interrogation majeure de ce texte, qui apparaît ainsi empreint d’un bel élan vital.






lundi 24 février 2025

L’avenir

Stéphane Audeguy
Le Seuil, 2025


C’est avec une curiosité sans cesse renouvelée que je prends connaissance des parutions de la collection Fictions & Cie. On les aime ou pas, mais les textes qui y sont publiés ne ressemblent à aucun autre. On est en effet assuré d’y trouver un parti pris narratif audacieux, l’originalité d’un sujet ou la proposition d’un projet littéraire inédit. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le nouveau livre de Stéphane Audeguy, qui n’en est pas à son coup d’essai mais que je n’avais pour ma part jamais lu, ne fait pas exception !


Ainsi nous entraîne-t-il dans une manière de dystopie qui ne dit pas son nom : nous sommes dans un futur relativement proche bien qu’indéterminé et tout démarre, nous est-il précisé dès la première page, quarante ans après que « la fin du monde a commencé ». Tout semble pourtant à sa place, nous sommes au Louvre, les touristes affluent, les enfants s’ennuient et, en cette fin d’après-midi, le musée s’apprête à accueillir les participants aux activités nocturnes - « chasse au trésor dans la salle des sculptures françaises » ou « concert électroacoustique au salon d’apparat Napoléon III »… Lorsque sous les yeux de l’un de ses plus fervents admirateurs, venu au crépuscule de sa longue existence du fin fond de la Chine pour enfin l’admirer, la Joconde se décompose-t-elle pour se réduire à un petit monticule de poussière de pigments au pied du panneau de bois sur lequel elle était peinte.


Le rideau tombe sur le premier acte de cette Catastrophe après que d’autres oeuvres picturales ont connu le même sort à travers le monde, jusqu’à l’extinction complète de la peinture figurative. Quel sens cela peut-il avoir ? Et surtout, cela peut-il affecter la population humaine, à l’heure où tout a été numérisé, où l’on peut peut-être mieux observer le détail d’une Joconde depuis son canapé en zoomant sur son ordinateur qu’au musée où une nuée de visiteurs de pressent devant elle pour faire le selfie tant convoité ? Le narrateur entre alors en scène, ouvrant un nouveau fil narratif.


Il déroule sa généalogie, évoque la figure de son arrière-grand-père, Abraham Ackerman qui a réussi à réchappé aux camps de la mort, interrogeant sa judéité avant d’expliquer comment il en est arrivé à devenir historien de l’art. Ainsi nous explique-t-il pourquoi il se sent particulièrement concerné par la Catastrophe, qui n’aura été que le premier acte de la Tragédie qui conduisit à la quasi-disparition de l’espèce humaine. 


Difficile, vous l’aurez compris, de résumer un tel roman et sans doute cela serait-il vain : il faut plonger dans ce texte surprenant sans lui offrir de résistance. Audeguy nous entraîne imperceptiblement dans un univers apocalyptique interrogeant notre rapport à l’art - certaines scènes sont d’une ironie mordante - et à la mémoire, notre façon d’appréhender l’avenir, et le rôle que tiennent les images dans notre manière d’être au monde, donnant lieu à de très intéressantes réflexions et à quelques très belles pages. Ce récit peut certes apparaître quelque peu déconcertant, mais au moins ne laisse-t-il pas indifférent et offre-t-il une réjouissante étrangeté.


lundi 17 février 2025

Mère est-elle morte

Vigdis Hjorth
Actes Sud, 2025

Traduit du norvégien par Hélène Hervieu



Cela fait plus de trente ans que Johanna n’a plus parlé à sa mère. Ou que sa mère ne lui a plus parlé. Depuis qu’elle a tout plaqué - famille, mari, métier, pays - pour aller vivre une autre vie dans une autre partie du monde. Mais laquelle des deux a-t-elle vraiment fermé la porte à l’autre ?


Devenue artiste plasticienne, Johanna a l’occasion de revenir dans sa ville natale pour une exposition. L’homme qu’elle avait suivi aux Etats-Unis est désormais mort, leur fils John a de son côté pris son envol et est à son tour parti mener son existence, avec sa compagne, dans un autre pays. Est-ce la réplique d’une situation qu’elle a vécue et qu’elle connaît à présent en tant que mère qui entraîne des questionnements et l’amène à vouloir renouer avec la sienne ?  


Elle se lance comme on se jetterait dans le vide et l’appelle. Mais sa mère ne répond pas. Plus Johanna tente de reprendre contact avec elle, plus celle-ci se refuse, aidée en cela par sa seconde fille qui s’interpose comme un solide rempart.


Johanna tourne en boucle. Pourquoi ? Pourquoi un rejet aussi inflexible ? Elle revient sur le passé. Est-ce son absence à l’enterrement de son père qui a définitivement scellé la rupture ? Est-ce son choix de vie que ses parents se sont révélés incapables d’accepter ? Elle-même nourrissait-elle une forme d’opposition à l’égard de ses parents dont son départ n’aurait été que la manifestation la plus radicale, et nécessaire ? Quant à sa soeur, lui en aurait-elle voulu de la laisser seule face à leurs parents ?


Ce roman explore avec une opiniâtre acuité les relations intra familiales dans toute leur complexité : les rapports de domination au sein du couple, la perception plus ou moins consciente que peuvent en avoir les enfants, l’impact que cela produit sur eux, les phénomènes de projection des parents sur leurs enfants, les voies d’émancipation que ces derniers peuvent se ménager, mais aussi la place laissée à l’amour au milieu de tout cela… 


D’un abord assez âpre, ce texte nous fait entrer dans les replis de la vie intime de Johanna pour nous dévoiler peu à peu les non-dits, les renoncements, les rancoeurs, les concessions, les compromis qui sédimentent l’architecture familiale. D’un matériau aussi austère, l’auteure parvient à faire un roman dont l’intensité dramatique croît progressivement, communiquant au lecteur le sentiment de malaise que connaît la narratrice. Mais si le vertige le saisit, c'est peut-être aussi parce qu'il peut trouver dans les questions que soulève ce récit un écho à celles qui sont les siennes. Même si celui-ci ne résonne que de manière très lointaine.

lundi 10 février 2025

Rue de l’Espérance, 1935

Alexandre Courban
Agullo, 2025


L’année dernière, Alexandre Courban publiait Passage de l’Avenir, 1934. Il poursuit aujourd’hui son entreprise romanesque qui nous plonge dans les derniers temps de l’entre-deux-guerre, dans ces années qui virent la montée en puissance de l’extrême-droite et l’essor du Front populaire. Epoque pleine d’enseignements s’il en est.


On retrouve dans ce nouvel opus les personnages du précédent volume : le commissaire Bornec - puisqu’on s’inscrit toujours dans le genre policier -, Camille Dubois, une ex-ouvrière désormais entrée au journal L’Humanité, ainsi que Gabriel Funel, journaliste officiant dans ce même quotidien. Rien d’étonnant lorsqu’on sait qu’Alexandre Courban est historien de formation et qu’il est l’auteur d’une thèse sur ce journal. 


Comme précédemment, le roman part d’un assassinat sur lequel Bornec est amené à enquêter. Chemin faisant, il croisera la route de Funel et de Camille qui préparent quant à eux un dossier sur les métallurgistes. Et, comme précédemment, ce n’est pas tant la résolution de l’énigme que la restitution d’une époque, des tensions sociales et des forces politiques opérant alors, qui constituent le coeur du sujet et l’essentiel du fil narratif de ce livre. Si vous cherchez un polar trépidant respectant scrupuleusement les codes du genre, passez votre chemin.


Mais si vous vous intéressez à ces années cruciales, si vous voulez vous imprégner de l’atmosphère qui régnait alors, vous y trouverez certainement votre compte. Et, au terme de votre lecture, vous n'aurez qu'une envie : découvrir (l’année prochaine ?) le troisième volume de cette saga historique pour vous immerger dans l'effervescence de l'année 1936, lorsque le Front populaire remporta la victoire aux élections législatives…


mercredi 5 février 2025

L’affaire de la rue Transnonain


Jérôme Chantreau
La Tribu, 2025


Avez-vous déjà entendu parler de cette fameuse affaire ? Peut-être faut-il avoir un intérêt très vif pour le XIXe siècle pour que ce soit le cas. Et encore, je dois bien reconnaître que, pour ma part, si le nom de cette affaire m’était familier, j’en ignorais ou en avais oublié et le fond et les détails…


Retour, donc, en 1834, plus précisément en avril. Nous sommes sous la monarchie de Juillet, Adolphe Thiers, qui s’illustrera plus tard dans la sanglante répression de la Commune, est ministre de l’Intérieur, après que les Trois Glorieuses, les journées des 27 au 29 juillet 1830, ont chassé Charles X du pouvoir pour porter sur le trône Louis-Philippe, désormais roi des Français - et non plus de la France. La bourgeoisie règne en maître (le suffrage censitaire (masculin, faut-il le rappeler), permet d’éloigner les impécunieux), et le peuple des ouvriers est à la peine. Des opposants se font entendre ? Louis-Philippe muselle la presse et limite la liberté d’expression. Les ouvriers ont faim ? Ils élèvent à nouveau des barricades pour exiger un salaire minimum, à Lyon, puis partout en France ? La répression s’abat impitoyablement sur eux, faisant des centaines de victimes. 


C’est dans ce contexte que l’immeuble sis au 12 de la rue Transnonain à Paris - à l’emplacement de l’actuelle rue Beaubourg - fut le théâtre d’un véritable massacre. Alors qu’une barricade avait été dressée au coin de la rue, un régiment de militaires enfonce la porte du bâtiment, monte dans les étages et tue douze de ses habitants  - qu’ils fûssent homme, femme, enfant ou vieillard - à coups de feu et de baïonnette. Cette tuerie est si violente, si injustifiable, que l’affaire fait grand bruit.
Daumier en tire une illustration qui décupla l’effroi suscité. Les opposants au pouvoir en place  réclament des comptes. Un rapport est commandité et un procès que nous qualifierions aujourd’hui de médiatique, qui se tiendra l’année suivante, doit permettre de faire passer les émeutiers pour de dangereux séditieux et de rétablir l’ordre. On trouva un bouc émissaire, et l’affaire de la rue Transnonain se dilua dans un contexte plus général qui permit d’éviter d’établir les véritables faits.


Pourquoi Jérôme Chantreau s’intéresse-t-il aujourd’hui à cette affaire ? A la lecture de son livre, je m’en suis bien fait une petite idée, mais il faudrait évidemment pouvoir le lui demander. Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’éléments qu’il relate ne manquent pas de faire écho à des choses vues ou entendues plus près de nous.


Dans ce roman, au cours duquel il fait un remarquable rappel des faits, l'auteur imagine l’enquête confiée à un inspecteur de la brigade des moeurs. Il appartient alors à ce dernier de créer de toutes pièces les preuves de la culpabilité d’un pauvre hère qui se trouvait là en compagnie de sa maîtresse et fut abattu sans autre forme de procès. Chantreau revient ainsi sur une affaire d’Etat pour révéler la manière dont on tenta de manipuler l’opinion. Le texte, qui semble extrêmement documenté, rentre dans les moindres détails des événements sans toutefois faire l’économie du romanesque. Le récit est mené tambour battant, on suit les destinées des protagonistes avec avidité et l'on se voit projeté dans les méandres d’un Paris préhaussmannien qui n’a pas grand chose à envier à celui des mystères d’un certain Eugène Sue !  


Vous l’aurez compris, j’ai pris un immense plaisir à lire ce texte passionnant, servi par un style vif et imagé. Un seul regret : il se dévore bien trop vite ! 



 

lundi 27 janvier 2025

Epoque

Laura Poggioli
L’Iconoclaste, 2025

Lara, la quarantaine, trois enfants, semble vouloir écrire une nouvelle page de sa vie et pousse les portes d’un service d’addictologie pédiatrique pour y effectuer un stage. Ainsi va-t-elle entendre la parole d’enfants et d’adolescents devenus dépendants aux écrans. Les histoires auxquelles elle est confrontée sont conformes à ce que l’on peut en attendre : celles de gamins nourris aux portables et autres tablettes depuis leur plus jeune âge, avec les dramatiques conséquences sur leur développement, leur comportement et leur aptitude à vivre en société qui sont désormais documentées. 


A leurs expériences fait écho celle de la narratrice qui fit quelques années auparavant l’objet d’un harcèlement en ligne de la part du médecin de ses enfants qui avait été un temps son amant. Peu à peu, on découvre comment celui-ci était parvenu à imposer son emprise, puis la manière dont il a pu prolonger ses méfaits en prenant le contrôle de l’environnement numérique de Lara. 


Ainsi le récit évite-t-il l’écueil de la fracture générationnelle. Certes, par leur surexposition précoce, les plus jeunes sont-ils plus perméables encore que leurs aînés aux ravages des écrans, mais il serait bien présomptueux de croire que quiconque en est à l’abri.


Néanmoins, ce roman n’est pas une diatribe contre les réseaux sociaux, dont on ne saurait aujourd’hui éradiquer l’existence (et le voudrait-on, d’ailleurs ?). Tout au long de son récit, l’auteure s’attache avant tout à cerner la manière dont les technologies numériques agissent sur notre psychisme et s’interroge sur celle dont nous pourrions nous protéger de leurs effets. 


Une réflexion pertinente qu’il n’est pas surprenant de voir le champ littéraire investir tant les impacts sur les plans humain, social, environnemental sont colossaux. Encore un chantier qu’il nous faut prendre à bras-le-corps…


mardi 21 janvier 2025

Le procès Mein Kampf

Harold Cobert
Les Escales, 2025

La couverture annonce d’emblée la couleur : « Quand Hitler interdisait Mein Kampf », proclame-t-elle presque à la manière d’un slogan. Ces mots, on les lit avant même de découvrir le titre et le nom de l’auteur. Etaient-ils nécessaires ? Je dois bien admettre que, pour ma part, ils ont suscité ma surprise, et peut-être sans eux ne me serais-je pas intéressée à ce roman. Car j'ignorais complètement qu'Hitler ait pu interdire son propre livre, et il fallait donc entendre ce « procès Mein Kampf » d’une toute autre manière que celle que l’on pouvait imaginer.

Car ce procès est celui que le Führer intenta lui-même - même si c’est un peu plus compliqué que cela - à l’éditeur français qui, bravant l’interdiction que l’auteur en avait faite, assura la publication de sa traduction dès 1934. Or si ce livre était pourtant disponible dans de nombreux pays, Hitler tenait fermement à ce que les Français n’y aient en revanche pas accès. Pour quelle raison ? Parce que de nombreux passages qui clamaient sa haine de notre pays contredisaient les déclarations pacifistes qu’il multipliait depuis qu’il était devenu chancelier. On connaît la suite.


Ce qui est particulièrement intéressant à la lecture du texte d’Harold Cobert, c’est de découvrir l’étonnant attelage qui présida à la publication en France de Mein Kampf. L’extrême droite et la Ligue internationale contre l’antisémitisme s’allièrent en effet pour mener ce projet à bien, tous voyant dans ce texte à valeur programmatique un terrible danger, même si les uns entendaient alerter l’opinion sur la menace que faisait peser Hitler sur la souveraineté nationale tandis que les autres craignaient les conséquences d’un antisémitisme virulent. Le gouvernement français, croyant quant à lui oeuvrer à la paix, céda aux injonctions de l’Allemagne et manoeuvra pour tenter d'éviter à la fois le procès et les tensions diplomatiques, et s’entêta dans un aveuglement qui permit au chancelier d’accomplir son sinistre projet.


En faisant le choix du roman, Cobert rend toute l'affaire extrêmement accessible, ce qui n'est pas la moindre des qualités d'un texte que l'on aurait peut-être davantage attendu sous une forme documentaire. Outre l’intérêt du rappel historique, c’est bien l’attitude des différents protagonistes qui doit retenir notre attention. A l’heure où l’antisémitisme ne cesse de croître, où les situations de tension internationale et de guerre se multiplient, où les populismes et l’extrême droite se développent et nouent des alliances au-delà des frontières, les événements du siècle passé résonnent d’un lugubre écho. Tandis que les fake news, les provocations et autres vociférations se multiplient, la plus grande vigilance et la plus grande lucidité sont de mise. Ou devraient l’être, si nous voulons éviter le pire.



  


samedi 18 janvier 2025

Le lit clos

Sophie Brocas
Mialet-Barrault, 2025



Novembre 1924. La colère gronde parmi les ouvrières de la conserverie de sardines de Douarnenez. Alors qu’elles sont corvéables à merci, tributaires de l’arrivée au port des bateaux de pêche, soumises à des cadences strictement réglementées, elles réclament l’augmentation de leur tarif horaire à 1 franc. Emmenées par Louise, républicaine convaincue, elles entament un mouvement de grève. 


En dépit de ses valeurs conservatrices, Rose admire l’audace et la force de conviction de Louise. Cette jeune paysanne qui a été contrainte de venir travailler en ville après la mort récente de sa mère ne tarde pas à rejoindre les rangs des grévistes. Et s’installe à demeure chez celle qui est devenue son amie, afin que son père ne devine rien de ses activités. 


A la faveur de cette nouvelle intimité partagée, le lien de solidarité - de sororité, dirions-nous aujourd’hui - qui les unit glisse rapidement vers un sentiment d’une autre nature, qu’il convient, dans cette Bretagne pieuse et traditionnelle, de cacher. Mais est-il si facile de tourner définitivement le dos aux valeurs qu’on vous a inculquées ? Tandis que l’une se voit rattrapée par ses rêves de mariage et de stabilité, l’autre va rejoindre Paris pour tenter de mener une existence plus libre.


Sophie Brocas fait le portrait de deux femmes de leur époque, retraçant l’un des grands mouvements ouvriers féminins du début du XXe siècle avant de glisser vers la restitution du Paris artistique et avant-gardiste d'alors. On voit à cette occasion surgir les figures de Picasso ou de Fernand Léger réunis dans les soirées d’une comtesse résolument anticonformiste. 


Le tout se lit avec une grand facilité. Une trop grande facilité, serais-je tentée de dire : tout va très vite dans ce roman où les personnages semblent s'accommoder assez aisément de leur situation et où les obstacles sont levés à peine apparus. Sans doute l’auteure a-t-elle voulu embrasser beaucoup de sujets - revendications ouvrières, amours saphiques, avant-gardes artistiques, ascension sociale… - dont chacun pourrait faire en soi l’objet d’un récit, plus approfondi et rendant mieux compte de leur complexité. Pour ma part, je suis restée un peu sur ma faim. A lire si on n'a pas d'attentes démesurées...


mercredi 15 janvier 2025

Vers les îles Eparses

Olivier Rolin
Verdier, 2025

Olivier Rolin est un grand voyageur. De ses multiples explorations il a tiré des textes inspirés, où ses observations tantôt émerveillées tantôt implacables côtoient un imaginaire nourri de références littéraires. A plus de soixante-dix ans, il n’a pas renoncé à partir à la découverte de contrées lointaines. Ainsi, en 2022, en remerciement d’une préface écrite pour l'édition d’un texte de Thucydide publié par les éditions de l’Ecole de guerre, fut-il invité à embarquer sur un bâtiment militaire à destination du canal du Mozambique.  

Malgré tout, l’âge est là. Pas tant celui de ses articulations ou de ses artères - qui limite cependant ses mouvements - mais celui qu’il perçoit dans l’oeil de l’équipage. La plupart des membres qui le constituent pourraient être ses petits-enfants. D’emblée une forme de déférence teintée d’une pointe de goguenardise instaure une distance entre eux et lui. Pour la première fois peut-être, il se voit comme « un vieux », et ce voyage, songe-t-il, semble devoir le conduire non pas vers l’océan Indien, mais vers la mer de la Sénilité…

Si l’art de faire surgir toute une faune, de restituer une ambiance, de nous donner à voir la singularité des paysages qu’il traverse est bien là, ce texte possède avant tout un caractère intime qui le rend attachant. En dépit des notes d’humour que Rolin s’efforce de mettre dans ces pages, il y a quelque chose d’émouvant à voir un homme confronté au regard qui est porté sur lui, un regard dans lequel il peine à se reconnaître. Et cela nous touche peut-être d’autant plus que c’est celui auquel chacun d’entre nous risque bien, tôt ou tard, d’avoir à faire face…


 

     

samedi 11 janvier 2025

Bristol

Jean Echenoz
Minuit, 2025


Est-ce le même auteur qui est à l’origine de ce livre sur Ravel, si fin et si profond, que j’ai lu l’année dernière et de l’objet qui nous est proposé aujourd’hui ? S’agit-il bien de cet écrivain présenté comme l’une des figures majeures de notre littérature contemporaine, célébré il y a quelques années par une exposition au centre Pompidou ? J’ai peine à le croire, tant ce Bristol m’est apparu indigent. 


De quoi y est-il question ? D’un médiocre cinéaste réalisant un médiocre film. Un peu léger, pensez-vous ? C’est sans doute ce qu’a dû songer l’auteur lui-même en décidant d’y adjoindre une vague intrigue policière. Malheureusement, celle-ci n’ayant guère plus de consistance, sa résolution se perd dans les méandres de bavardages sans substance… 


Mais, me direz-vous, en littérature l’essentiel réside dans la forme. Ainsi la force d’un style peut-elle transmuer le sujet le plus ténu en véritable chef-d’oeuvre ! Certes, mais il ne suffit pas pour cela d’accumuler les mots savants et inusités comme Echenoz semble beaucoup s’amuser à le faire. Grand bien lui fasse, mais infliger ses fantaisies au lecteur risque de laisser celui-ci sur le bas-côté : fatigué de consulter vainement son dictionnaire, il finit par renoncer à chercher le sens de mots échouant à conférer la moindre épaisseur à ce texte…


Je sais qu’Echenoz a ses aficionados : soit ils me disent que ce roman est un incident de parcours - cela arrive aux meilleurs - soit ils m’expliquent ce qu’ils y trouvent. Pour le moment, qu’il s’agisse de la pleine page que Le Monde des livres a consacrée à l'auteur ou des quelques déclarations laudatives que j’ai pu lire ici où là, elles ne m’ont guère convaincue…