Julliard, 2020
Dans le monde de Sixtine, les filles ne jouent pas au foot, portent des jupes dont l’ourlet est situé vingt centimètres au-dessous des genoux, ne couchent jamais avant le mariage et accouchent dans la douleur d’une ribambelle d’enfants.
Après quelques très menus égarements au cours de son adolescence, Sixtine a parfaitement assimilé les préceptes de son milieu. Aussi, lorsque le brillant polytechnicien Pierre-Louis Sue de la Garde, coupe bien dégagée autour des oreilles, la demande très officiellement en mariage après deux ou trois rendez-vous, elle se réjouit d’avoir trouvé l’homme idéal.
Ni une ni deux, les voici mariés, et la jeune épousée attend la nuit de noces avec autant d’impatience que d’ignorance.
Las ! Les émois tant espérés ne sont pas au rendez-vous, ce qui n’empêche pas la jeune femme de tomber très vite enceinte. Et, là encore, nouvelle déception : cette grossesse n’a rien du chemin bordé de roses que devrait connaître une future mère. Les nausées l’accablent, la fatigue la terrasse, et elle vit ces mois de gestation comme un calvaire. D’autant que sa belle-mère pas plus que sa propre mère ne font particulièrement preuve de compréhension ni de bienveillance à son égard : si Jésus a souffert sur la croix, elle doit bien pouvoir supporter quelques petits désagréments sans s’émouvoir, et surmonter de même les douleurs de l’enfantement. Quant à son mari, s’il fait preuve d’un tout petit peu plus d’empathie, ses activités au sein de la Milice, qui défend les valeurs d’un fondamentalisme catholique pleinement assumé, ne lui laissent guère le loisir de choyer son épouse. Quoi qu’il en soit, une bonne dose de prières devrait l’aider à passer ce cap…
Pourquoi Sixtine ne ressent-elle pas la joie promise à l’idée d’accueillir son premier fils ? D’où vient son malaise ? Comment peut-elle s’opposer au choix du prénom qu’a fait la famille Sue de la Garde pour son enfant et qui ne lui plaît guère ? Décidément, Sixtine ne se sent pas à sa place dans cette existence. Alors, quand les événements prennent brutalement une tournure inattendue, elle remet en question tout ce qui lui avait jusqu’alors été asséné comme une vérité révélée.
A la lecture de ce roman, comme Sixtine j’ai ressenti nausée et dégoût. Certes pas pour les mêmes raisons, mais que peuvent bien inspirer d’autre le sexisme, le racisme, l’homophobie et toutes les formes d’intolérance et de rejet de la différence brandis avec fierté et défendus les armes au poing ?
Maylis Adhémar fait une peinture saisissante de ce milieu qui sait se rendre discret et se parer des atours de la respectabilité, et c’est l’un des principaux intérêts de ce roman que de mettre en lumière une communauté qui évite de faire parler d’elle. Mais elle fait surtout le portrait d’une jeune femme attachante, qui cherche à se libérer des chaînes de son éducation, parvient à interroger les valeurs qui lui ont été inculquées et qui s’ouvre à une vie et un monde différents. L’auteure évite jusqu’au bout le cliché et la facilité, et je lui sais de ce point de vue gré de la fin qu’elle a su donner à son percutant roman.
Souhaitons bon vent à cette courageuse Sixtine ! Et espérons surtout qu'elle puisse faire quelques émules...
Un livre sélectionné par les 68 Premières fois
Premiers romans :
- Avant elle, Johanna Krawczik (Héloïse d’Ormesson)
- Avant le jour, Madeline Roth (La Fosse aux ours)
- Bénie soit Sixtine, Maylis Adhémar (Julliard)
- Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres)
- Danse avec la foudre, Jeremy Bracone (L’Iconoclaste)
- Grand Platinum, Anthony Van den Bossche (Le Seuil)
- Il est juste que les forts soient frappés, Thibault Bérard (L’Observatoire)
- Indice des feux, Antoine Desjardins (La Peuplade)
- L’enfant céleste, Maud Simonnot (L’Observatoire)
- Le doorman, Madeleine Assas (Actes Sud)
- Le Mal-Epris, Bénédicte Soymier (Calmann-Levy)
- Les après-midis d’hiver, Anna Zerbib (Gallimard)
- Les cœurs inquiets, Lucie Paye (Gallimard)
- Les grandes occasions, Alexandra Matine (Les Avrils)
- Les Monstres, Charles Roux (Rivages)
- Les orageuses, Marcia Brunier (Cambourakis)
- Nos corps étrangers, Carine Joaquim (La Manufacture de livres)
- Sept gingembres, Christophe Perruchas (Le Rouergue)
Deuxièmes romans :
- Le sanctuaire, Laurine Roux (Le Sonneur)
- Les nuits d’été, Thomas Flahaut (L’Olivier)
- Over the Rainbow, Constance Joly (Flammarion)
- Tant qu’il reste des îles, Martin Dumont (Les Avrils)