Grégoire Bouillier
Flammarion 2017/J’ai lu
Comment parler d’un tel livre ? D’une oeuvre aussi luxuriante, stupéfiante, énorme et généreuse que celle-ci ? Mission impossible, serais-je tentée de dire, pour reprendre le titre d’une célèbre série des années 60… Tiens, puisqu’on en parle, vous souvenez-vous de celle qui a bercé votre enfance, dont vous n’auriez à aucun prix raté le moindre épisode ? Grégoire Bouillier, lui, s’en souvient parfaitement : c’était Zorro, avec son héros qui ne vivait que pour réparer toutes les injustices dont il était le témoin. Un homme libre de toute attache auquel le petit garçon pouvait s’identifier par le simple fait de se nouer une serviette de toilette autour du cou en guise de cape.
Ça n’a l’air de rien, comme ça. Mais c’est toute une vision du monde qui s’est ainsi dessinée, marquant profondément le psychisme de l’enfant. Rien à voir avec les valeurs véhiculées quelque douze ou quinze ans plus tard par Dallas, suivi par des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde. Un phénomène planétaire que l’auteur présente comme « un putsch culturel qui, pendant toutes les années 80, pendant plus d’une décennie, changea les règles de l’imaginaire collectif en faisant d’un salopard fini, cupide, veule et marié comme on ne le souhaite à personne le personnage central d’un feuilleton qui […] imposa un tout nouveau concept de héros : non plus redresseur de torts, mais incarnation cynique du mal. » Le monde avait désormais pris un virage sans retour. On pouvait à présent s’autoriser les pires infamies en toute décontraction. Ou, pour utiliser le terme consacré, de manière totalement décomplexée.
C’est entre ces bornes et au sein d’une famille disons hors cadre que le narrateur, double littéraire de Grégoire Bouillier, s’est construit. Partant de son expérience intime, il élargit progressivement le spectre et entremêle le récit des événements marquants de sa vie (qui reviennent de manière lancinante tout au long du texte) et celui de ses interactions sociales, en faisant part de ses observations et de ses analyses pour éclairer la manière dont l’individu et le corps social interagissent et se façonnent mutuellement. A la vacuité d’une existence fait bientôt écho celle du monde. Ou inversement.
Présenté ainsi, ce texte pourrait sembler noir et désespéré. Or il n’en est rien ! L’intelligence et l’humour de l’auteur - sans parler de sa finesse d’écriture - rendent ce singulier objet littéraire aussi fascinant qu’addictif ! D’autant que l’auteur embarque son lecteur en l’interpellant régulièrement, en dialoguant avec lui, l’invitant à se poser les mêmes questions que lui et à investir ses propres expériences et ses propres souvenirs.
Au terme de ce premier volume - il y en a six dans l’édition poche -, on aborde à peine les rives de ce dossier M qui donne son titre à l’oeuvre. Un monde s’est ouvert et l’on n’a qu’une hâte, poursuivre cette expérience immersive dans la psyché de l’auteur et regarder bien en face avec lui ce monde dans lequel chacun d’entre nous a été jeté.
A vrai dire, je ne me suis pas intéressée à cet auteur jusqu'à présent. Il va falloir que j'aille y voir de plus près.
RépondreSupprimerExcellente idée ;-)
SupprimerUn copain grand lecteur me l'a chaudement recommandé, le nom de l'auteur figure en bonne place sur ma LAL... y'a plus qu'à :)
RépondreSupprimerVoilà. Ce Syndrome va être l'occasion rêvée !
Supprimer8 tomes en tout ? Il en a des choses à dire, cet homme.
RépondreSupprimerAlors je me suis un peu emballée : il n'y en a "que" six :-D
RépondreSupprimerCe qui laisse tout de même de quoi faire !
J'ai lu ce dossier M tome 1 et démarré le tome 2 (je parle des grands formats) puis arrêté devant rendre le tome 2 à la bili... Mais si tu n'as pas lu Le coeur ne cède pas, il te le faut! Bien évidemment j'ai lu Le syndrome de l'orangerie... (j'ai vu ton billet aussi)
RépondreSupprimerNon, je n'ai pas encore lu Le coeur ne cède pas, mais il est certain que je le ferai ! Peut-être bien l'été prochain : il vaut mieux avoir du temps devant soi pour entreprendre la lecture de ces sacrés pavés ;-)
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