vendredi 2 août 2024

Rapport sur moi

Grégoire Bouillier
Allia, 2022


Rapport sur moi est le premier livre publié, en 2002, par Grégoire Bouillier. Un tel titre soit refroidit et dissuade le lecteur potentiel de s’y arrêter (le nombrilisme de la littérature française bla bla bla), soit intrigue et donne envie d’y voir de plus près. J’aurais certainement fait partie de la seconde catégorie si ce livre n’était alors passé sous mes radars - sans doute n’étais-je à l’époque pas encore très attentive aux jeunes auteurs inconnus.


Si j’ai choisi aujourd’hui de faire cette lecture, c’est parce que le nouveau roman que Grégoire Bouillier s’apprête à publier dans quelques semaines - dont le titre ne pouvait qu’attirer mon attention et que j’ai eu la chance de pouvoir déjà lire - m’a littéralement soufflée, impressionnée, envoûtée. Au point - ce qui est assez rare chez moi - de vouloir enchaîner avec de précédents titres de l’auteur. Et, tant qu’à faire, repartir de l’origine, ce fameux Rapport sur moi, donc. Un récit aussi bref que les plus récents seront amples. On est loin ici de l’écriture baroque, opérant de nombreuses circonvolutions, convoquant de multiples images, superposant les strates mentales que l’on retrouvera dans le monumental Dossier M (dont j’entreprends tout juste la lecture) et en tout cas dans ce fabuleux Syndrome de l’Orangerie qui m’a tant enthousiasmée.


On y décèle cependant ce qui sera développé, amplifié ou - mieux peut-être ? - débridé : une façon de se laisser guider par les mots, de mettre la langue, ce précieux matériaux, au coeur de l’entreprise littéraire et permettre ainsi aux souvenirs les plus profondément enfouis d’affleurer à la conscience pour tenter de cerner un sujet, comprendre ce qui l’a construit, qu’il s’agisse de lui-même ou d’une tierce personne.


Quoi qu’il en soit, Grégoire Bouillier ne semble jamais loin. Bien que le narrateur du Syndrome de l’Orangerie soit un personnage fictif, il apparaît à bien des égards comme un double littéraire de l’auteur. Il est intéressant, à plus de vingt ans de distance, de voir ressurgir d’une lecture à l’autre l’expression de certains souvenirs faisant figure de scènes sinon primitives, au moins déterminantes.


En sondant sa mémoire, l’auteur procède dans Rapport sur moi à une véritable mise à nu qui s’inscrit dans une certaine tradition littéraire (j’ai notamment pensé au Rousseau des Confessions ou des Rêveries du promeneur solitaire). Et s’il parvient à toucher le lecteur (en tout cas moi) c’est en grande partie par le recours à l’ironie, à une forme d’auto-dérision, qui dégonfle l’hypertrophie d’un « je » omniprésent (là, on s’éloigne un peu de Rousseau !). C’est aussi et peut-être avant tout par l’attention que l’auteur porte à la langue, à ses sous-entendus, à ses double-sens, aux jeux qu’elle autorise (là, j’ai pensé à Jules Vallès - tiens, encore un auteur dont l’oeuvre s’ancre dans l’expérience personnelle qu’il a vécue), aux cheminements mystérieux qu’elle élabore dans le psychisme d’un individu donné que l’auteur capte notre intérêt. 


Une belle entrée en littérature que ce texte, qui ouvrait la voie à une oeuvre singulière et forte que je me délecte de découvrir aujourd’hui.

6 commentaires:

  1. c'est sûr que ça m'intrigue beaucoup !! Un livre à part qui a l'air bien original...

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  2. Tu me mets l'eau à la bouche pour celui-ci et le prochain.

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    1. Le prochain est vraiment mon coup de foudre de la rentrée.

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  3. J'ai beaucoup entendu parler de cet auteur mais pas encore réussi à mettre mes craintes de côté concernant son écriture assez singulière. Comme ses œuvres sont souvent de beaux bébés...

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    1. Alors le prochain est d'un format tout à fait "raisonnable", puisqu'il ne frise que les 450 pages. Quant au Dossier M, dans lequel je me suis lancée, il était paru en grand format en deux volumes de près de 1000 pages ce qui, il est vrai, peut être un peu impressionnant. Mais pour la parution en poche, un autre découpage a été choisi avec 8 volumes de 450 à 500 pages (c'est une édition revue et augmentée par l'auteur), ce qui permet d'être beaucoup plus détendu ! Et franchement, je ne sais pas ce qu'il en sera au bout de trois, cinq ou sept volumes, mais ayant terminé le premier, je trépigne de rentrer à Paris pour pouvoir me procurer le deuxième et l'idée d'avoir cette masse de texte devant moi me fait frissonner d'aise !

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