samedi 12 décembre 2015

Ah ! Ça ira...


Denis Lachaud
Actes Sud, 2015


Où l'auteur imagine les citoyens de demain.

Un titre pareil ne pouvait pas manquer de m’interpeller... De même que l’étrange illustration de couverture, avec son immeuble insalubre s’élevant dans un ciel que l’on espère plus clément pour les habitants qui se sont réfugiés sur son sommet...

En quatrième de couverture, je découvre une histoire d’anticipation : l’action se déroule en 2037. Pas exactement ma tasse de thé. Mais nous sommes à Paris, « une ville où il est impossible de se loger, la faillite sociale est infernale, la rébellion gronde, les inégalités sont innombrables ». Pas si loin que ça, donc, de ce que nous connaissons aujourd’hui. Banco ! Je repars avec le livre !

Les premières pages se situent toutefois à notre époque, en 2015 ou 2016. Révolté par  les inégalités, Antoine, alias Saint-Just, décide de passer à l’action armée avec ses camarades du groupe Ventôse. Et ils frappent fort, puisqu’ils enlèvent le Président de la République avant de l’exécuter, rien de moins. 
Ce court préambule permet surtout à l’auteur de dresser le décor : à travers les réflexions des personnages, on perçoit une société sous haute surveillance grâce aux progrès de la technologie, le pouvoir capté par une oligarchie, une population dépossédée de tout réel moyen d’expression une fois son bulletin de vote glissé dans l’urne... 

S’ensuit une ellipse temporelle de vingt ans. 
Antoine sort de prison après avoir purgé sa peine. Vingt ans totalement coupé du monde, dont il n’a même pas voulu observer les soubresauts à travers la télévision. Lorsqu’il se retrouve dehors, ce qu’il découvre n’est guère réjouissant : la centrale nucléaire de Pierrelate a explosé, transformant la région en un véritable no man’s land, la Grèce a été exclue de la CEE, laissant Athènes dans le chaos et mettant le pays à la merci des militaires qui purent ainsi s’emparer du pouvoir, jetant alors des milliers de Grecs dans le flot des migrants qui ne cessa jamais de grossir... Une bonne aubaine pour le gouvernement français qui créa des zones de séjour fermées pour les « accueillir » et autoriser au passage l’emploi de cette main d’œuvre privée de droits à des conditions fiscales extrêmement avantageuses, suffisamment en tout cas pour pouvoir concurrencer les produits chinois (d’ailleurs désormais sous-traités en Afrique).

Tel n’est pas le moindre des intérêts de ce roman que de proposer un développement possible de notre situation si les choses poursuivent leur cours. Seule bonne nouvelle dans ce sombre tableau, l’extrême-droite a disparu du paysage politique... mais parce qu’elle a été totalement récupérée et absorbée par la droite !
Evidemment, il ne faut pas prendre tout cela pour argent comptant, mais comme une projection permettant de mieux appréhender notre présent pour tenter de mieux maîtriser notre avenir.
En outre, le mérite de Lachaud est de ne pas s’en tenir à ce sinistre tableau. Les personnages ne sont pas résignés. Ils veulent avoir prise sur les événements, en être acteurs, et cherchent de nouveaux moyens d’action, plus efficients que ceux auxquels eurent recours leurs aînés. C’est selon moi l’un des aspects les plus intéressants du roman. De l’occupation de l’espace public à des actions individuelles concertées - grâce à la diffusion par Internet - pour contourner les interdictions de se rassembler (l’état d’urgence serait-il devenu permanent ?!), de la comptabilisation du non-vote au détournement des caméras de surveillance et à l’utilisation des réseaux sociaux pour dénoncer les méfaits, malversations et abus de pouvoir en tout genre, Lachaud imagine bien des scénarios qu’il juxtapose pour en étudier la pertinence et la portée. C’est de loin ce qui m’a le plus intéressée dans ce roman qui se distingue par l’originalité de son propos. 
Il évoque en tout cas par le biais de la fiction des questions dont il me semble urgent de s’emparer. 



11 commentaires:

  1. Effectivement, c'est la situation actuelle poussée à l'extrême. Pourquoi pas, s'il montre des personnages qui tiennent encore debout comme tu le dis. (avec ce que tu décris l'extrême droite est en fait partout ...)

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    1. C'est un récit à la fois très noir dans ce qu'il décrit, mais plein d'espoir dans la mesure où les personnages réinvestissent le terrain politique au sens large, c'est-à-dire en s'efforçant de trouver les moyens d'être acteurs de la société. Ce n'est pas du tout un récit plombant et c'est ce qui en fait sa qualité.

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  2. Je l'ai lu à sa sortie et je l'ai aimé, ce roman original et percutant. J'aurais dû le chroniquer tout de suite mais j'ai traîné ... et ce n'est toujours pas fait :( . En attendant, ton billet en parle fort bien.

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    1. Oh Brize, tu devrais ! Ce livre fait partie de ceux qui sont noyés dans la masse de la rentrée littéraire. Et c'est bien dommage, car il mérite vraiment qu'on en parle !

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  3. J'avais repéré la couverture sans le retourner... un roman d'anticipation réaliste, ça m'intéresse, et surtout s'il n'est pas totalement dénué d'espoir. Je note !

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    1. Cette couv avait vraiment attiré mon attention... et c'est une bonne chose!

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  4. Le projet de ce livre, tel que tu en parles, est loin d'être classique et de nos jours surtout, ça peut être intéressant de se plonger dans une société future. Au moins si je croise sa route à la bibliothèque, je m'arrêterais pour regarder de plus près :)

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  5. Ton billet me donne envie de lui donner sa chance :)

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    1. J'en suis ravie, Stéphie ! J'espère que tu y trouveras autant d'intérêt que moi.

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  6. Je fais un rattrapage de chronique du coup... Et je retrouve dans la tienne ce qui avait aussi retenu mon attention lors de ma lecture. Intéressant de voir comment il fait à présent écho à la situation que nous vivons.

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