Emmanuel Carrère
POL, 2022
On reproche souvent à Emmanuel Carrère de n’être préoccupé que de lui, de n’écrire, pour le dire de manière triviale, que depuis son nombril. Pour ma part, je crois fermement qu’en parlant de lui il parle d’abord d’une expérience humaine certes singulière, mais qui par son caractère existentiel renvoie chacun de ses lecteurs à ses propres questionnements et à ses propres choix. A travers l’intime, il atteint ainsi l’universel.
Ce dualisme est plus prégnant encore dans ce livre, qui est un recueil des chroniques qu’il a écrites chaque semaine pour L’Obs tout au long des neuf mois qu’a duré le procès des attentats du 13 novembre 2015. Des articles qu’il a toutefois ici remaniés, augmentés, n’étant plus contraint par le calibrage serré du magazine. Jour après jour, de septembre 2021 à juin 2022, Carrère s’est donc rendu au Palais de justice de Paris pour assister à ce procès hors norme.
Qu’allait-il donc y chercher, lui qui n’avait aucune obligation professionnelle ni personnelle de s’infliger cela ? La première raison, qu’il donne au début du livre, était d’entendre le récit de ces personnes ayant connu l’effroi, ayant frôlé la mort ou ayant survécu à celle d’un être cher, un récit à la fois individuel et collectif qui allait faire bouger quelque chose en lui comme en tous ceux qui allaient l’entendre. Et en tous ceux peut-être qui liraient ensuite la relation qu'il en ferait.
C’est aussi, je crois, la volonté de voir la justice à l’oeuvre. Et jamais sans doute, ou en tout cas depuis bien longtemps, n’avions-nous eu tous, collectivement, le besoin de la voir marquer nos vies de son empreinte pour retrouver une forme de quiétude. Les derniers mots du réquisitoire de l’une des avocates générales cités par Carrère me semblent à cet égard très justes :
L’effroi, c’est la disparition du rideau derrière lequel se cache le néant, qui permet normalement de vivre tranquille. Le terrorisme, c’est la tranquillité impossible. Votre verdict ne permettra pas de réparer le rideau déchiré. Il ne guérira pas les blessures, visibles et invisibles. Il ne ramènera pas les morts à la vie. Mais il pourra au moins assurer aux vivants que c’est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot.
Ce livre, c’est à la fois le récit de la justice qui passe, mais aussi un regard aigu qui interroge constamment son fonctionnement, ses limites et sa nécessité. C’est un livre évidemment dur, qui arrache des larmes et inspire un profond sentiment de révolte, mais c’est un livre, pour en reprendre les tout derniers mots, qui aide tous ceux qui n’ont pas pu ou voulu suivre le procès, à remettre le monde à l’endroit.
J'ai bien l'intention de le lire!
RépondreSupprimerLourde tâche que celle de remettre le monde à l'endroit... On sent que cette lecture t'a émue.
RépondreSupprimerLa première partie surtout est très dure. C'est celle qui est consacrée au témoignage des victime (puis la deuxième, la plus importante en termes de pagination concerne les accusés, la troisième à la cour). Il est évidemment très difficile de rester de marbre à l'évocation de ce carnage et de toute cette douleur qui nous a tous atteints, plus ou moins directement.
SupprimerCe fut très intéressant de l'écouter pendant quasiment 1h30 lors de la soirée d'ouverture de Faites lire ! au Mans ; j'ai lu ses chroniques chaque semaine, c'était même ce par quoi je commençais à chaque arrivée de L'Obs dans ma boîte, j'en ai parfois pleuré. Je pense lire le livre mais dans quelque temps...
RépondreSupprimerJ'en ai lu certaines, pour ma part, mais pas toutes. Je me doutais bien de toute façon qu'il en sortirait un recueil. Ceci dit, ce sont deux temps et deux rythmes de lecture qui peuvent parfaitement se compléter, je pense.
SupprimerJe ne le lirai pas, je ne m'en sens pas capable.
RépondreSupprimerLe livre doit être très intéressant, sur ce sujet lourd. Je pense que je le lirai mais j'attends le moment où je me sentirais prête. Je ne suis pas certaine que j'aurais été attirée si cela avait été un autre auteur. Mais Emmanuel Carrère c'est un gage de qualité.
RépondreSupprimerC'était moi le commentaire (pas habituée à cette identification préliminaire)
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