mercredi 5 février 2025

L’affaire de la rue Transnonain


Jérôme Chantreau
La Tribu, 2025


Avez-vous déjà entendu parler de cette fameuse affaire ? Peut-être faut-il avoir un intérêt très vif pour le XIXe siècle pour que ce soit le cas. Et encore, je dois bien reconnaître que, pour ma part, si le nom de cette affaire m’était familier, j’en ignorais ou en avais oublié et le fond et les détails…


Retour, donc, en 1834, plus précisément en avril. Nous sommes sous la monarchie de Juillet, Adolphe Thiers, qui s’illustrera plus tard dans la sanglante répression de la Commune, est ministre de l’Intérieur, après que les Trois Glorieuses, les journées des 27 au 29 juillet 1830, ont chassé Charles X du pouvoir pour porter sur le trône Louis-Philippe, désormais roi des Français - et non plus de la France. La bourgeoisie règne en maître (le suffrage censitaire (masculin, faut-il le rappeler), permet d’éloigner les impécunieux), et le peuple des ouvriers est à la peine. Des opposants se font entendre ? Louis-Philippe muselle la presse et limite la liberté d’expression. Les ouvriers ont faim ? Ils élèvent à nouveau des barricades pour exiger un salaire minimum, à Lyon, puis partout en France ? La répression s’abat impitoyablement sur eux, faisant des centaines de victimes. 


C’est dans ce contexte que l’immeuble sis au 12 de la rue Transnonain à Paris - à l’emplacement de l’actuelle rue Beaubourg - fut le théâtre d’un véritable massacre. Alors qu’une barricade avait été dressée au coin de la rue, un régiment de militaires enfonce la porte du bâtiment, monte dans les étages et tue douze de ses habitants  - qu’ils fûssent homme, femme, enfant ou vieillard - à coups de feu et de baïonnette. Cette tuerie est si violente, si injustifiable, que l’affaire fait grand bruit.
Daumier en tire une illustration qui décupla l’effroi suscité. Les opposants au pouvoir en place  réclament des comptes. Un rapport est commandité et un procès que nous qualifierions aujourd’hui de médiatique, qui se tiendra l’année suivante, doit permettre de faire passer les émeutiers pour de dangereux séditieux et de rétablir l’ordre. On trouva un bouc émissaire, et l’affaire de la rue Transnonain se dilua dans un contexte plus général qui permit d’éviter d’établir les véritables faits.


Pourquoi Jérôme Chantreau s’intéresse-t-il aujourd’hui à cette affaire ? A la lecture de son livre, je m’en suis bien fait une petite idée, mais il faudrait évidemment pouvoir le lui demander. Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’éléments qu’il relate ne manquent pas de faire écho à des choses vues ou entendues plus près de nous.


Dans ce roman, au cours duquel il fait un remarquable rappel des faits, l'auteur imagine l’enquête confiée à un inspecteur de la brigade des moeurs. Il appartient alors à ce dernier de créer de toutes pièces les preuves de la culpabilité d’un pauvre hère qui se trouvait là en compagnie de sa maîtresse et fut abattu sans autre forme de procès. Chantreau revient ainsi sur une affaire d’Etat pour révéler la manière dont on tenta de manipuler l’opinion. Le texte, qui semble extrêmement documenté, rentre dans les moindres détails des événements sans toutefois faire l’économie du romanesque. Le récit est mené tambour battant, on suit les destinées des protagonistes avec avidité et l'on se voit projeté dans les méandres d’un Paris préhaussmannien qui n’a pas grand chose à envier à celui des mystères d’un certain Eugène Sue !  


Vous l’aurez compris, j’ai pris un immense plaisir à lire ce texte passionnant, servi par un style vif et imagé. Un seul regret : il se dévore bien trop vite ! 



 

9 commentaires:

  1. C'est une affaire qui ne m'évoque rien du tout et qui a l'air assez addictive à lire. Je note.

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    1. Je l'ai dévoré en deux ou trois jours. L'histoire, l'époque, le style : j'ai tout aimé !

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  2. Je ne connaissais pas du tout cette affaire, et suis assez intriguée autant par son contenu que par son traitement par Jérôme Chantreau.

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  3. Bélhazar m'était tombé des mains. J'hésite à lire celui-ci.

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    1. J'avais pour ma part beaucoup aimé Belhazar. Ceci dit, celui-ci est très différent. On n'y retrouve pas, notamment, cette dimension onirique, mystérieuse, qui est peut-être ce qui t'avait rebutée ?

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  4. On sent que tu as pris beaucoup de plaisir dans cette lecture !

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    1. Tant mieux si ça se sent ! Par contre, j'ai l'impression que j'ai échoué à communiquer mon enthousiasme pour cette lecture... Tu ne sembles pas tenté ?

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  5. quel enthousiasme ! Je ne connais ni l'affaire ni cet auteur, mais je note !

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