Salman Rushdie
Gallimard, 2024
Traduit de l’anglais par Gérard Meudal
On se souvient tous de l’attaque dont à été victime Salman Rushdie en août 2022. Il avait alors échappé de peu à la mort et nous en avions été saisis d’effroi et de colère. Pour l’écrivain, les mois qui suivirent furent ceux d’un long protocole de soins où, ayant perdu notamment l’usage d’un oeil et d’une main, il dut subir de lourds traitements et réapprendre les gestes les plus simples.
Rushdie nous révèle tout ce par quoi il est alors passé : son parcours médical, la douleur qui le taraude, son corps qui ne lui répond plus, les angoisses qui l’habitent, et ses réflexions bien légitimes sur son assaillant. Si les conséquences physiques de l’agression qu’il a subie sont considérables, celles qui pèsent sur son psychisme le sont peut-être plus encore. Comment retrouver le chemin de la vie et de l’écriture ? Ces questions, il y avait déjà été confronté après la fatwa lancée contre lui lors de la publication des Versets sataniques, trente ans auparavant. Bien sûr il y eut la protection permanente sous laquelle il fut alors contraint de vivre ; mais il fallut aussi compter avec le nouveau regard qui était posé sur lui : la moindre de ses paroles et le moindre de ses écrits étaient évalués à l’aune de la condamnation qu’il avait reçue et qui le déterminait à présent aux yeux du monde, qu’il soit considéré comme une victime ou comme un coupable. Après un long cheminement de plusieurs années, nous explique-t-il ici, il avait décidé de vivre comme si la menace n’existait pas, de rester au contact du monde, d’écrire comme tout écrivain le faisait, et de ne surtout pas se considérer comme une victime.
Alors qu’il avait fini par pouvoir penser que la menace s’était éloignée, le scénario qu’il avait maintes fois imaginé d’un homme se jetant sur lui pour l’assassiner est finalement advenu ce 12 août 2022, remettant toutes ces questions en jeu. Ainsi les formule-t-il dans cet ouvrage plus clairement peut-être qu’il ne l’avait jamais fait jusque-là. Un peu à la manière d’un journal, mais qu’il aurait écrit a posteriori, Rushdie mêle avec une extrême sincérité la description exhaustive de son quotidien, l’expression de ses craintes et la manière dont il s’efforce de les surmonter, la réaffirmation de ses valeurs et son positionnement en matière d’écriture.
De cet ensemble naît parfois le malaise, car Rushdie nous livre son intimité sans omettre le moindre détail, ni sur les aspects physiques des pathologies qu’ont occasionnées son agression ni sur sa vie affective. Mais tout ce qui relève de son rapport à l’écriture - et notamment la manière dont les Versets sataniques ont profondément modifié la manière dont il est lu - et de ses positions face à la religiosité est extrêmement intéressant. On ne peut que rendre hommage au courage de Rushdie qui revient sur ce terrain pour rappeler des principes à ses yeux - comme aux miens - imprescriptibles. Pour ma part, j’aurais aimé que l’accent soit mis davantage sur ces réflexions-là. Mais, ainsi qu’il l’affirme lui-même, sans doute lui fallait-il passer par cet exercice d’écriture pour pouvoir tourner définitivement la page de cet événement et, précisément, dépasser le traumatisme. Pour retrouver ainsi le chemin de la littérature.
J'ai mis des années avant de lire Le lambeau, et je n'ai pas regretté d'avoir attendu car cette lecture a impacté ma vision du monde. Je ne sais pas si je lirai Le couteau un jour mais j'imagine que ça peut avoir le même effet.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup pensé à ce livre pendant ma lecture. Ils présentent beaucoup de points communs et se font indéniablement écho. Et pourtant, comme je le dis dans ce billet, j'ai ressenti un certain malaise que je n'avais pas connu avec Le Lambeau. Je ne m'explique pas (encore) pourquoi. Car ce qui l'a fait naître était aussi présent chez Philippe Lançon qui s'attardait également sur ses pathologies, les soins et son rapport au corps. Je m'interroge beaucoup à ce sujet. Toutefois, le livre de Rushdie a toute sa raison d'être et il reste un témoignage essentiel.
SupprimerJ'avais essayé de lire Les enfants de minuit, mais je n'avais pas aimé son style.
RépondreSupprimerEn fait, ce livre est complètement à part. Et son intérêt va au-delà de la seule dimension littéraire...
SupprimerComme Alex, si l'homme et son parcours m'intéressent évidemment, ses livres m'attirent moins.
RépondreSupprimerPareil pour moi ! D'ailleurs, c'est la première fois que je le lisais ! Pour des raisons étrangères à la littérature, d'ailleurs, quoique Rushdie lui-même puisse regretter qu'on ne le lise comme on lirait n'importe quel autre écrivain...
SupprimerUne lecture prévue prochainement : Le Couteau est en cours d'équipement à la Médiathèque. J'espère qu'il sera lu par un grand nombre de lecteurs.
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