L’Arbalète Gallimard, 2023
Un livre orné d’une gravure de Vallotton et surtout d’un exergue signé Jules Vallès ne pouvait qu’attirer mon attention - et surtout ma sympathie. D’autant que Michèle Audin est l’auteure d’un remarquable récit sur la Commune de Paris dont le titre, Comme une rivière bleue, était déjà emprunté à mon écrivain de coeur.
La rue a donné son titre au premier journal fondé par Vallès en 1867. La rue - qui peut être ici un boulevard - est le lieu où tout le monde se croise - sans forcément toutefois se rencontrer - c’est l’espace où se concentre la vie, un espace où résonnent toutes sortes de bruits, un espace où l’on flâne, un espace que l’on traverse pour aller travailler ou se rendre à un rendez-vous amoureux, un espace, bien sûr, où s’exprime collectivement la colère et l’opposition à ceux qui détiennent le pouvoir. Et s’il est à Paris une artère emblématique des luttes sociales et des mouvements de résistance, c’est bien le boulevard Voltaire.
De la place de la République à celle de la Nation, Michèle Audin le remonte en s’arrêtant à quatorze adresse pour nous livrer quatorze récits formant un ensemble vibrant et émouvant, qui restitue rien de moins que l’âme de ce boulevard - et peut-être plus largement celle de l’est parisien.
C’est d’abord l’un des lions de la fontaine implantée en 1870 place du Château-d’Eau qui prend la parole. Faisant face au boulevard Voltaire, le fier et attendrissant félin évoque ses souvenirs : la liesse des premiers jours de la Commune qui laissa rapidement place à une sanglante répression à laquelle il assista impuissant et affligé. Au début des années 1880, la République, troisième du nom, choisira de remplacer la fontaine par une sculpture allégorique pour célébrer son triomphe, rebaptisant au passage la place du nom qu’elle porte encore aujourd’hui. Les vénérables lions, quant à eux, se sont déplacés place Félix-Eboué, où ils coulent désormais des jours peut-être un peu trop paisibles à leur goût…
Place de la Nation, c’est devant le Dalou, autrefois appelé Café Moderne, que la narratrice revoit la manifestation du 14 juillet 1953 qui se solda par la mort de six Algériens et d'un militant syndical français. Un massacre dont on a oublié l’existence, en raison certainement de l’effroyable ampleur de celui qui interviendra non loin de là, à Charonne, en octobre 1961.
Entre les deux, Michèle Audin redonne vie à ce jeune juif qui avait osé distribué des tracts contre l’occupant allemand en 1941 et qui échappa de peu à l’arrestation grâce à une intrépide passante ; elle ressuscite une couturière avide de connaître l’histoire de sa grand-mère venue s’installer faubourg Saint-Antoine quelques années avant la Révolution ; elle fait encore résonner les slogans de ces militantes féministes réclamant « avortement, contraception, libres et gratuits » ce 20 novembre 1971…
Dire que ce livre m’a touchée serait un euphémisme. En diversifiant les angles et les formes narratives, Michèle Audin fait resurgir quelque chose de profondément ancré dans l’histoire. Quelque chose dont les traces ne cessent de s’amenuiser, en raison notamment des phénomènes de gentrification. Quelque chose qui est pourtant là, qui reste encore, plus ou moins diffus, présent dans nos esprits - il n’est qu’à voir le parcours privilégié des manifestations syndicales. Le boulevard Voltaire est dépositaire d’une histoire qu’il importe de rappeler. Je sais gré à Michèle Audin de s’atteler, et avec quel talent, à cette tâche. Ce que n’aurait assurément pas renié Vallès.
Je n'ai pas encore réussi à lire "comme une rivière bleue", mais je ne le perds pas de vue et j'ajoute celui-ci.
RépondreSupprimerA lire dans la foulée ;-)
SupprimerJe ne connais pas cette rue, peu importe, j'aime beaucoup ce genre de livres.
RépondreSupprimerC'est une artère très importante de l'est parisien, comme tu l'auras compris, et ce que ce livre rappelle très bien.
SupprimerJ'adore l'idée. Ces derniers temps je suis particulièrement sensible à ces livres dont la profondeur de champ permet de donner à percevoir de quoi nous sommes constitués, tous ces micro morceaux d'histoire qui mènent jusqu'à nous... (bon et puis tout ça a été mon quartier pendant longtemps)
RépondreSupprimerCela a été le mien aussi (et même maintenant, je ne suis pas si loin et y passe donc très souvent). Mon lycée était place de la Nation !
SupprimerJ'ai longtemps habité rue Oberkampf, études au Lycée Hélène Boucher jusqu'au bac, mon frère était au lycée Voltaire :-)
SupprimerNous étions donc voisines ! Je me souviens que mon lycée (Arago), au moment des manifestations contre la loi Devaquet, avait essayé d'aller faire débrayer les élèves d'Hélène Boucher ... dont l'administration était beaucoup moins permissive que la nôtre :-D
SupprimerAujourd'hui, mon fils cadet est à Maurice Ravel, qui jouxte Hélène Boucher. Je ne sors pas de ce quartier...
La prochaine fois que j'y passerai, je le regarderai différemment.
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