Stéphanie Dupays
L’Olivier, 2023
Les secrets de famille offrent décidément une matière romanesque inépuisable. Il faut dire qu’en termes d’histoires insolites ou singulières la fiction hésite parfois à se hisser jusqu’aux sommets que la réalité sait atteindre.
Imagine-t-on qu’une femme ait pu être internée pendant près de quatre décennies sans que sa propre fille en ait eu connaissance ? Que pendant toutes ces années ses descendants l’aient crû morte et se soient transmis une légende sur les conditions de son décès ? Que cette histoire ait pu perdurer même après que l’administration se fut mise en quête de la famille pour recouvrer le montant des frais d’hospitalisation ?
Dans la famille de Stéphanie Dupays, on n’est guère causant. Elevée à la campagne, dans un milieu paysan, elle n’a jamais vraiment pu obtenir de réponse lorsque, petite fille, elle interrogeait sa grand-mère sur son enfance. Ses deux frères avaient disparu lorsqu’ils étaient très jeunes et son père les avait suivi de peu. A la suite de quoi sa mère était morte de chagrin. Elle-même fut alors envoyée dans un orphelinat. On comprend aisément le peu d’ardeur à raviver de si douloureux souvenirs…
A la faveur de recherches généalogiques entreprises par sa propre mère, l’auteure découvre un jour que son arrière-grand-mère est décédée bien plus tard que ce que tous croyaient et elle amorce alors une véritable enquête, qu’elle nous invite à suivre dans tous ses développements.
Si elle parvient à rendre cette histoire captivante, ce n’est pas seulement parce que les détails en sont stupéfiants. C’est surtout parce qu’elle a su trouver la juste distance pour l’évoquer. Elle livre en effet chaque révélation avec une émotion contenue tout en délivrant un tableau de l’institution psychiatrique et de la manière dont celle-ci a évolué.
Le texte procède par brefs chapitres, comme si l’auteure voulait se garder de toute dérive émotionnelle, s’en tenir à des éléments factuels, assortis de commentaires à caractère sociologique ou économique soulignant ici le cynisme d’une gestion comptable, là le caractère barbare de certaines méthodes thérapeutiques. L’expression de la blessure intime se fraye pourtant un chemin furtif : quelques vers viennent parfois interrompre le fil du récit pour dire d'une poignée de mots délicats et précis la violence de ce qui se joue.
Exempt de toute forme de pathos, ce récit trace la figure d’une femme qui fut privée de liberté, de parole et d’amour, et lui restitue ainsi une petite part de ce qui lui fut volé. Au passage, Stéphanie Dupays nous offre un texte sensible et d'une grande force.
C'est difficile à croire, mais des histoires comme celle-ci, on en connaît toutes plus ou moins autour de nous. Ça m'intéresse, je note.
RépondreSupprimerEffectivement, les familles renferment souvent des histoires plus ou moins surprenantes ou douloureuses. Parfois elles sont assez ouvertement révélées. Mais lorsque ce n'est pas le cas, cela provoque un séisme lorsqu'elles éclatent au grand jour.
SupprimerJ'aime beaucoup ce genre d'enquête familiale, un peu dans le genre de "La carte postale".
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu "La carte postale", mais oui, bien qu'on ne soit pas du tout dans le même contexte. Mais la littérature regorge de ce genre d'histoires de "secret de famille". Après, il faut le talent de l'auteur pour que cela puisse intéresser d'autres personnes que le cercle familial. C'est le cas ici.
SupprimerLes auteurs qui écrivent ce genre de roman doivent souvent s'entendre dire "Attendez, j'ai une histoire de secret dans ma famille, ça devrait vous intéresser..." mais ça ne fonctionne pas comme ça ! ;-)
RépondreSupprimerEh non !
SupprimerAh tiens je ne t'aurais pas attendue sur ce type de texte... mais tant mieux s'il t'a plu autant qu'à moi ;-)
RépondreSupprimerEuh, si... Les textes qui font part d'une expérience intime, c'est assez mon truc. Encore faut-il qu'il y ait de la profondeur, que l'auteur arrive à sortir de son expérience purement personnelle pour dire quelque chose de plus universel ou qu'il y ait une dimension sociale. Et que l'écriture soit travaillée, que sa forme traduise quelque chose. Autant d'éléments que l'on a ici !
SupprimerEt comme ce roman vient d'arriver à la bibli... Noté!
RépondreSupprimerIl a tout pour me plaire, alors pourquoi pas.
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