jeudi 24 mars 2022

Vider les lieux

Olivier Rolin

Gallimard, 2022




Plus la peine, je crois, de répéter ici l’admiration et l’attachement que j’éprouve à l’égard d’Olivier Rolin (pour les nouveaux venus ou les visiteurs qui se seraient égarés sur cette page, je renvoie à mes précédents billets). Toutefois, rarement j’ai ressenti à ce point l’envie de me lover dans les pages d’un livre, de retrouver le confort ouaté d’une prose devenue au fil des années familière et apaisante. Oui, la littérature peut aussi être ce refuge où, l’espace de quelques instants, plus rien ne semble pouvoir nous atteindre.


De refuge, d’ailleurs, il est ici question. Ou, du moins, du lieu de l’intime, celui où se sédimentent peu à peu les traces d’une vie. Après 37 ans, Olivier Rolin a été sommé de quitter l’appartement qu’il occupait au 10 de la rue de l’Odéon. Sans doute, croit-on comprendre, y a-t-il eu des tentatives pour essayer de rester. Mais face à un promoteur immobilier, que pèse un écrivain ? Est arrivé le moment où il a fallu « vider les lieux », mettre les milliers de livres dans des cartons, se débarrasser de certains éléments de mobilier qui ne trouveraient pas leur place ailleurs, trier les documents accumulés au cours de plus de trois décennies - la moitié d’une vie.


Des objets auxquels on ne prêtait plus attention redeviennent soudain bavards, des lettres oubliées ressurgissent, de vieilles photos réveillent les souvenirs. Et, quand on s’appelle Olivier Rolin, on rouvre les pages de ses livres et l’on retrouve inscrit sur la première page l’endroit du monde où on les avait lus.


L’écrivain l’affirme, il aime de plus en plus la littérature de digression. Bien malgré lui, ce déménagement lui donne l’occasion de nous en offrir une nouvelle et toujours belle illustration. Les souvenirs affleurent à sa mémoire à mesure que l’appartement se vide, et son esprit vagabonde d’un bout à l’autre d’un monde qu’il a amplement sillonné. Un monde qui lui est désormais fermé, puisque cette invitation à déguerpir intervient au moment du « Grand Enfermement ». C'est alors sa propre rue qui devient lieu de flânerie, qui lui livre ses secrets et son histoire.


Alors que jusqu'à présent ses déambulations romanesques, ses récits de voyages et ses portraits de villes étaient matière à évoquer les écrivains et les textes qu'il associait aux lieux qu'il traversait, il fait ici un chemin inverse : chaque livre ouvert le ramène vers un pays et vers les personnes qu’il y a rencontrées.


Mais il en résulte encore et toujours cet objet unique, cet espace poétique où la littérature, le monde et l'intime se mêlent étroitement, jusqu'à atteindre une forme d'harmonie. 



 

11 commentaires:

  1. C'est sûr que ça change de Bakou ou de Veracruz, c'est un voyage plus intime, mais pourquoi pas ?

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    1. Oui, mais comme je le dis dans mon billet, voyage intime et véritables périples à travers le monde finissent toujours par s'entrelacer avec cet écrivain. C'est bien pour ça que je l'aime !

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  2. Après 37 ans c'est un arrachement de quitter un appartement, surtout lorsque ce n'est pas un choix. Très tentant ce titre là, avec les réflexions qu'il suscite.

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  3. Une expérience qui pourrait sacrément me parler...

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    1. Je n'en doute pas ! Je ne suis pas sûre que tu aies déjà lu ce (formidable) auteur. Ce serait enfin l'occasion ;-)

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  4. Je n'ai jamais lu Olivier Rolin (mea culpa ^^). Ta présentation me donne très envie de le découvrir avec ce titre. En ce moment je me détourne des récits intimistes mais certaines histoires me touchent plus que d'autres.

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    1. Alors j'espère que celle-ci te touchera effectivement. Je ne saurais trop t'encourager à découvrir cet écrivain :-)

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  5. Oui, mais tu es de parti-pris : tu adores l'auteur ;-)

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    1. Ha ha ha ! C'est sûr, quand j'ouvre un de ses livres, je suis déjà conquise ! Mais, franchement, il a un talent fou. Et il ne m'a jamais déçue !

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  6. Un auteur que je me promets de lire à nouveau, après un (deux? titres vraiment excellents.Merci!

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