Pascal Manoukian
Don Quichotte, 2015
Voici un livre dont il n’est pas facile de parler. Non parce qu’il ne serait pas bon, bien au contraire. Non plus parce que son système de narration serait complexe : celui-ci est d’une facture on ne peut plus classique... mais néanmoins efficace.
Non, s’il m’est difficile d’en parler, c’est parce qu’il traite d’un sujet extrêmement douloureux et d’une brûlante actualité. Ce sont en effet trois migrants qui sont les héros de ce roman, et son auteur ne nous cache rien des vicissitudes de leur vie.
Nous découvrons chacun des trois personnages - Virgil le Moldave, Assan le Somalien et Chanchal le Bangladais - au moment où ils quittent leurs pays respectifs et suivons leurs parcours jusqu’à leur arrivée en France, à Villeneuve-le-Roi, dans le Val-de-Marne.
Bien sûr, je ne m’attendais pas exactement à un conte de fées avec happy end à la clé. Mais j’avoue que je n’étais pas prête à faire face à tant d’horreur. Qu’il s’agisse de ce que ces hommes quittent dans leur pays d’origine ou de ce à quoi ils sont confrontés en arrivant sur leur terre d’asile, tout n’est que sang, larmes et humiliation.
L’auteur immerge d’emblée son lecteur dans l’univers de ces clandestins pour ne lui laisser ensuite aucun répit. Alors qu’on croit très vite avoir atteint le summum de l’abjection humaine, chaque nouvelle phrase égrène des atrocités pires que la précédente.
A la lecture de ce roman, on ne peut s’empêcher de s’interroger : est-il possible que les hommes puissent perdre à ce point toute once d’humanité ?
Peut-on vraiment massacrer un individu à coups de botte et le souiller de son urine avant de l’enterrer vivant, tout en se délectant de sa souffrance ?
Peut-on vraiment rester impassible aux hurlements d’un enfant que l’on est en train de découper au scalpel pour prélever un de ses organes afin de le vendre ?
On a envie de penser que non, que l’auteur en rajoute. Mais l’Histoire nous prouve le contraire, et la littérature est pleine de ces témoignages mettant en scène des hommes capables de commettre l’impensable.
Je m’en voudrais de vous détourner de ce livre en vous le présentant seulement sous ce jour aussi noir.
Tout d’abord parce que Manoukian ne commet pas l’erreur d’écrire un livre manichéen. La cruauté et le cynisme sont malheureusement également partagés en tous les points de la planète, et les exactions commises dans les pays d’origine des migrants ne valent pas mieux que l’exploitation qui attend ces derniers à leur arrivée en Europe.
Et puis, il ne nous cache rien des systèmes d’organisation communautaire qui perpétuent les inégalités et les systèmes de domination. Même la misère obéit à des règles.
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce récit, c’est la dénonciation cinglante de toute une forme d’organisation du travail. Qui ne s’indignerait pas devant ce qui nous est dépeint ici ? Et pourtant, quel donneur d’ordre peut imaginer que les devis qui lui sont proposés ne cachent pas du travail non déclaré ? D’un côté, on dénonce les flots de clandestins, de l’autre on exploite cette main-d’oeuvre corvéable à merci...
Mais au-delà de ce qui est dénoncé, de ce livre noir jaillit une lueur, celle de la solidarité et des amitiés qui se nouent dans l’épreuve et dont les liens puissants demeurent indéfectibles.
Ce livre est en tout cas un précieux témoignage de ce qu’est la condition de clandestin. Il dit combien toutes les embûches qu’ils trouvent au long de leur voyage et en arrivant restent à leurs yeux toujours mille fois plus enviables que les situations qu’ils vivaient dans leur pays. Leur décision de le quitter n’est jamais un choix. Si ce livre pouvait contribuer à faire évoluer le regard porté sur ces personnes, ce serait déjà une victoire. Les murs que l’on élève ne seront jamais assez hauts pour les empêcher de venir. S’ils avaient vraiment le choix, ils resteraient dans leur pays. Encore faut-il que les conditions - économiques ou politiques - soient réunies.
Pascal Manoukian a eu la gentillesse de me recevoir chez lui pour répondre à quelques questions. Retrouvez cet entretien ici.
ton billet m'a fait frémir! il illustre bien mon ambivalence vis à vis de ce roman, le thème m'intéresse beaucoup mais me fait aussi très peur
RépondreSupprimerIl est certain qu'il met en scène des événements extrêmement durs et qu'on n'a pas forcément envie d'y être confronté... Mais il me semble que la littérature c'est aussi cela : montrer la réalité des choses, prendre le temps de les approfondir, de les mettre en perspective... donner à réfléchir.
SupprimerMais il n'est pas un document. C'est un vrai roman, bien construit et bien écrit. C'est ce qui permet de le lire et c'est ce qui permet d'affirmer que c'est un bon livre qui vaut vraiment la peine d'être lu.
Heureusement qu'il y a les écrivains pour raconter ce que les JT bâclent en trois minutes et quelques chiffres .. J'ai prévu de le lire dès qu'il sera à la bibli.
RépondreSupprimerExactement !
SupprimerBien dit!
SupprimerJ'ai aimé ce coté à la fois très documenté et très romanesque. Et comme tu dis, c'est tout sauf manichéen. Une vraie réussite, surtout pour un premier roman.
RépondreSupprimerOui, au-delà de l'aspect documentaire - l'auteur est journaliste et on sent qu'il sait bien de quoi il parle, c'est un vrai roman.
SupprimerIl fait partie de ceux du projet 68 premières fois qu'il me reste à découvrir!
RépondreSupprimerJe lirai donc ton commentaire avec intérêt !
SupprimerUn très beau billet, qui rend justice à ce grand roman. Une lecture éprouvante et oh combien nécessaire.
RépondreSupprimerMerci Marie-Claude. C'est en effet un roman qui mérite d'être largement lu.
SupprimerJe ne m'attendais pas à des scènes aussi terribles, c'est bien d'être prévenue. Un livre nécessaire, c'est certain, comme tu le soulignes. Je le lirai, je pense.
RépondreSupprimerL'auteur ne s'étend pas, mais il y a une accumulation qui finit par être difficile, et on ne peut pas se cacher derrière son petit doigt en se disant que c'est de la fiction, car cela renvoie bel et bien à une certaine réalité. Le tout, effectivement, c'est d'être prévenu...
SupprimerCelui-ci je l'ai un peu trop vu tourner sur le web, même si je suis convaincue que c'est un sujet nécessaire, je vais attendre un peu avant de le lire.
RépondreSupprimerTu trouves ? C'est vrai qu'on commence à le voir un petit peu, mais d'après moi ce livre, sur un tel sujet, mériterait d'être davantage mis en avant, en tout cas dans les medias traditionnels.
SupprimerQuoi qu'il en soit, même si c'est un sujet "chaud", il peut, comme tout bon livre, attendre patiemment que son tour vienne.
Ton billet dit l'essentiel de ce roman... C'est dur, c'est beau, c'est une lecture nécessaire et un témoignage précieux... J'espère qu'il fera une jolie route ce premier roman...!
RépondreSupprimerJ'espère également. En tout cas, il faut le faire connaître.
SupprimerRho dis donc c'est un témoignage ?
RépondreSupprimerJe croyais que c'était un roman.
Je dois reconnaître qu'une blogueuse avait fait des captures sur IG, et le style m'avait quand même rebutée terriblement. Je ne pensais pas que c'était aussi noir que cela, c'est très poignant, et tu as raison de souligner qu'à travers tout cela, il y a cette catégorie d'hommes qui a perdu son sens humain, et cette autre, condamnée à fuir. c'est boulervsant. Je crois que Jérôme l'a intégré dans les matchs PM.
Si, si, c'est bien un roman ! Mais un roman réaliste, si tu veux.
SupprimerQuant au style, il ne m'a pas paru mauvais ! Il est classique, en fait. Ce n'est pas un roman novateur dans sa forme. L'intérêt naît de sa façon d'aborder le sujet, avec une parfaite maîtrise du récit.
Un des seuls romans de cette rentrée littéraire qui me tente! Forcément pour le sujet, et puis je suis curieuse de découvrir l'écriture et la façon dont l'auteur parle de ce thème brûlant.
RépondreSupprimerIl faut s'accrocher, mais ça en vaut la peine. Un roman très réussi.
SupprimerUn texte très fort qui ne laisse pas indifférent.
RépondreSupprimerUn texte qui n'est pas suffisamment médiatisé à mon goût.
Entièrement d'accord avec toi !
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