lundi 19 février 2024

Les monuments de Paris

Violaine Huisman
Gallimard, 2024



Lire le premier livre de Violaine Huisman, Fugitive parce que reine, m’avait fait l’effet d’un séisme. Moins de deux ans plus tard, elle m’infligeait une réplique avec Rose désert. D’une prose impétueuse elle avait d’abord fait le portrait d’une mère fantasque et flamboyante avant de revenir sur sa propre trajectoire et sa tumultueuse adolescence. Sa mère et elle-même occupaient tout l’espace romanesque. Quelques femmes, néanmoins gravitaient autour d’elles : grand-mère, soeur, les hommes étaient quant à eux relégués à l’arrière-plan. On entrevoyait toutefois la figure paternelle, non moins anticonformiste que le reste de la famille. C’est elle que Violaine Huisman s’attache aujourd’hui à dépeindre dans son troisième opus.


Denis Huisman avait quelque chose d’un ogre : sa stature, d’abord, en imposait. Mais c’est surtout sa démesure qui le caractérisait avant toute chose. S’il allait à la boulangerie, il n’en ressortait pas sans des dizaines de viennoiseries et un large assortiment de pâtisseries, quand bien même ils n’allaient être que deux ou trois à les déguster. Pour ranger ses livres, il avait fait l’acquisition d’un trois-pièces voisin de son propre appartement dont tous les murs, y compris ceux de la salle de bains et des toilettes, étaient couverts du sol au plafond de rayonnages.  


Cultivé, il était l’auteur de quelques ouvrages de vulgarisation philosophique. L’homme d’affaires qu’il était avant tout avait pris soin d’imaginer un format qui assurerait à ses livres le succès commercial. Denis Huisman, c’était un étonnant mélange de savoir et de flambe, de largesse et de narcissisme. Peut-être est-ce pourquoi la narratrice n’a pu s’en approcher qu’au crépuscule de sa vie, alors qu’il était cloué dans un fauteuil médicalisé, impuissant désormais à imprimer le tempo de sa vie et de celle de ses proches ?


Mais en s’attelant à ce nouveau portrait, c’est celui d’un autre homme qui se dessine également, celui de Georges Huisman, le grand-père de Violaine, qui fut un parfait exemple de la méritocratie à la française : de très modeste extraction, il devint un haut fonctionnaire, ministre des Beaux-Arts dans les années 30 et co-fondateur du festival de Cannes. Une carrière à laquelle la guerre mit un coup d’arrêt brutal. Juif, il fut révoqué. Il dut fuir et se cacher, jusqu’à son arrestation, en 1942. Après la Libération, il sera nommé conseiller d’Etat. Lui qui ne s’était jamais senti juif avant la guerre se mobilise alors pour la fondation de l’Etat d’Israël et s’engage dans la création de lieux de mémoire pour la Shoah.


Ainsi, en évoquant l’histoire de sa famille, ce sont aussi les années les plus sombres de celle de la France qu’en vient à retracer Violaine Huisman. Or, c’est précisément là que le texte m’a semblé achopper. Composé de trois parties, il s’attarde d’abord sur la figure de Denis, dont Violaine détaille le parcours, rendant compte de la nature de la relation qu’elle entretenait avec lui et de l’amour qu’ils se portaient mutuellement. On y retrouve ce style volcanique, à fleur de peau, qui fait la marque de cette auteure et dans lequel elle excelle. Mais lorsqu’elle en vient à la figure de son grand-père, qu’elle n’a pas connu, elle n’a d’autre matériau à sa disposition que des souvenirs qui lui ont été relatés, des documents administratifs, des articles et une thèse qu’une étudiante lui a consacrée. Il y a moins de chair, Violaine disparaît presque complètement, et le style s’assagit virant presque à la notice historique. Si le fond ne manque évidemment pas d’intérêt, j’avoue m’être un peu ennuyée à la lecture de cette deuxième partie. Dommage que la troisième et dernière soit si courte, car j’ai eu le plaisir d’y retrouver  Violaine - la narratrice, et l'auteure que j’apprécie tant ! J'espère bien la retrouver dans son prochain livre...



 






 



4 commentaires:

  1. Je vais essayer de lire Fugitive parce que reine, ma BM l'a dans ses rayons, tu m'as donné bien envie !

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  2. Je n'ai pas lu cette autrice. Il ne faut visiblement pas commencer par celui-ci.

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    1. Non, en effet. Et puisque c'est quand même une trilogie, autant commencer par le premier, Fugitive parce que reine.

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