vendredi 12 mai 2023

Eroica

Pierre Ducrozet
Grasset, 2015 ; Babel, 2018



Eroica, c’est le titre d’une série d'oeuvres de Jean-Michel Basquiat. Le mot renvoie bien sûr à la notion d’héroïsme, celle-là même que l’artiste chercha à définir, à explorer, à s’approprier. Celle aussi qui permet de cerner la personnalité du peintre sous la plume de Pierre Ducrozet. 


En à peine plus de deux cents pages, l’écrivain restitue la fulgurante trajectoire de cet homme, mort à l’âge de vingt-sept ans après avoir connu un succès phénoménal. Il y a tout dans ce récit : sa connaissance intime de la peinture, sa détermination à devenir célèbre, son mépris pour le milieu de l’art - mais sa soif de reconnaissance par ses pairs, Warhol en tête, et l’admiration pour ses prédécesseurs -, l'omniprésence de la musique, l’afflux soudain et massif d’argent, la fête, les amitiés, les liaisons successives, l’addiction à la drogue, la désintégration des cadres de tous ordres, l’errance puis la flambe dans le New York des années 80. Et la frénésie de création. Le jaillissement du geste. L’enchevêtrement permanent des pinceaux, des châssis, des toiles, des portes ou de tout support ramassé ici ou là et sur lequel Basquiat pouvait peindre. 


Pour faire le portrait de cet artiste hors norme, il fallait trouver les mots et le rythme qui en saisissent l’essence. On n’évoque pas la figure d’un homme qui créa un langage pictural fait de rage et d’une incandescente énergie avec des phrases sages et policées. Ducrozet est parvenu à traduire quelque chose de cette fougue dans son texte. Il n'emprunte aucun détour, saisit son personnage à bras-le-corps. Il nous pousse d’emblée devant le jeune homme en train de dessiner. S’ensuit une succession de chapitres brefs, sans souci de chronologie, revenant sur des événements de son enfance, anticipant sur d’autres. Certaines phrases restent en suspens, à l’instar de Basquiat qui pouvait lui-même interrompre son geste sur la toile. Le texte évolue à fond de train, mimant l'urgence qui présidait à la vie de l'artiste. Un rythme qui fait écho aux excès frénétiques de la jet-set et aux désordres de l'underground entre lesquels il naviguait.


En entrant dans ce roman, je ne connaissais pas Basquiat. Ou si peu. La légende de l’artiste maudit, les montants record atteints par la vente de ses œuvres, les trucs habituels… En le refermant, j’éprouve une véritable empathie à son égard, presque une forme de tendresse. Et puis une furieuse envie de découvrir ses oeuvres. Et ça tombe bien, puisque je me rends très prochainement à la fondation Vuitton pour voir l’expo dont il partage l'affiche avec Warhol !  




Eroica, 1988


9 commentaires:

  1. J'avoue ne m'être jamais vraiment intéressée à Basquiat et à son oeuvre. Je verrai s'il croise ma route.

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    1. Indépendamment de l'intérêt ou de la curiosité que l'on peut éprouver pour l'oeuvre de Basquiat, ce texte est d'une force, d'une intensité et d'une qualité littéraire qui méritent la lecture...

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  2. Un artiste dont le talent commence seulement à être reconnu.

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    1. Alors non, justement. Il a été reconnu de son vivant et a même connu un succès phénoménal. Comme une vague immense qui l'a emporté.

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  3. Je n'ai jamais rien lu de Pierre Ducrozet, qui semble toucher à des domaines très variés...

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    1. Effectivement. Ce qui le rend d'autant plus intéressant.

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  4. Je n'ai pas lu celui-ci (manque d'intérêt artistique je pense malgré tout le bien que j'en ai entendu) mais je goûte la plume de Ducrozet (qui fait partie du jury du Prix de la vocation depuis 2 ans ce qui me motive sérieusement ;-) )

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    1. J'avais lu "Le grand vertige", que j'avais assez apprécié. Mais je trouve que celui-ci est une réussite magistrale.

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  5. Très très très tentée :)) J'aime beaucoup l'artiste mais je ne connais pas cet auteur.

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