Julien Freu
Actes Sud, 2023
Quel surprenant polar que celui-ci ! A lire
la quatrième, je ne me serais pas jetée dessus : entre disparition d’enfants et
incursion dans le fantastique, ce n’était pas vraiment ma tasse de thé… J’ai
pourtant dévoré ses quelque 350 pages en deux jours (dimanche non compris) !
Peut-être parce que le troisième ingrédient de ce récit lorgnait du côté du
roman d’apprentissage, que j’affectionne en revanche particulièrement…
Julien Freu nous ramène au début des années
1990 aux abords d’une vaste forêt, dans une bourgade que l’on imagine se situer
dans le coeur ou l’est de la France. Un jeune collégien a disparu, seuls ses
vêtements ont été retrouvés, soigneusement pliés sur un chemin de terre.
Bientôt, un second garçon connaîtra le même sort.
Le capitaine Ernevin est mandaté sur place
pour mener l’enquête. Si l’auteur crée d’emblée un certain malaise, en campant
un décor de zone pavillonnaire gangrénée par l’angoisse qu’ont générée les
enlèvements, ce policier n’est lui-même pas dénué d’étrangeté. Avec son regard
bleu acier et son peu d’aptitude à s’attirer la sympathie, il inspire
généralement un sentiment d’embarras.
Mais le malaise naît avant tout de ce qui se passe dans l’enceinte du collège où étaient scolarisés les gamins disparus. On sait combien ces quatre années peuvent être cruciales dans l’existence d’un enfant, les uns testant leur capacité à dominer tandis que les plus introvertis se sentent désormais livrés à eux-mêmes, conscients que toute tentative de chercher refuge auprès d’un adulte ne ferait que les livrer plus sûrement à leurs tortionnaires.
La violence de ces rapports est particulièrement bien saisie par l’auteur. Ainsi une bande de quatre élèves de troisième fait-elle régner la terreur parmi les plus jeunes, au premier rang desquels se tient Jérémie. Avec un père distant, une mère dépressive qui l’embrasse devant la grille de l’établissement, sa coupe au bol et ses vêtements démodés, il est la proie idéale. Alors qu’il était sur le point de subir sévices et humiliations dans les toilettes du collège surgit une jeune fille armée d’un incroyable aplomb et d’un poing américain, laquelle administre une sévère correction au chef de bande ainsi mis en déroute. Il faut dire qu’Aurore a de qui tenir : la fille du capitaine Ernevin a appris à se défendre… De cette rencontre pour le moins singulière naît entre les deux enfants une complicité qui ne cessera de se renforcer au fil du temps, et ces deux-là formeront avec Guilhem et Dario un quatuor inséparable.
A partir de cette trame, l’auteur déroule un
récit d’une redoutable efficacité, mêlant enquête criminelle, amitiés et
rivalités juvéniles, y ajoutant une pointe de surnaturel qui
vient en accentuer le caractère inquiétant. Certes, pour un esprit cartésien
comme le mien, cela peut sembler déconcertant. Il faut donc ne pas opposer de
résistance : l’auteur est un orfèvre qui
sait distiller les éléments avec finesse pour monter peu à peu en puissance.
D’autant que les surprenants événements qui surviennent cadrent parfaitement
avec l’univers de l’enfance, où le réel se pare encore de légendes et de
croyances magiques. On suit ainsi Jérémie, Aurore, Dario et Guilhem de leur
première à leur dernière année de collège, lorsqu’ils se dépouilleront des
derniers vestiges de l’enfance pour prendre peu à peu leur envol.
Ils seront passés par de nombreuses épreuves, auront gagné en maturité
affective et pourront alors se préparer à entrer dans la vie d’adulte. C’est précisément là
que se situe toute la force de ce roman, dans ces portraits de
pré-adolescents, saisis dans ce moment si délicat, plein de mouvements contraires,
d’intenses émotions, d’espoirs immenses, de craintes et de doutes vertigineux,
que l’auteur a su admirablement restituer.
Ajoutez à cela un rythme trépidant imprimé
par l’enchaînement de chapitres brefs et un sens de la formule qui frappe
juste, et vous obtenez un polar original et furieusement captivant !
A priori, je ne serais pas allée vers ce genre de livre, mais ton billet est suffisamment intrigant que j'ai envie d'y jeter un oeil (et peut-être les deux !)
RépondreSupprimerAh, chouette alors !
SupprimerA priori je n'y serais pas allée non plus... C'est génial de se faire surprendre et embarquer de la sorte :-)
RépondreSupprimerMais oui ! C'est tout ce que j'adore ! Nous nous comprenons :-))
SupprimerTu donnes très envie de découvrir cet auteur, c'est intrigant.
RépondreSupprimerTant mieux, c'était tout à fait l'effet recherché ;-) J'espère bien que d'autres lecteurs feront avec ce livre une aussi heureuse découverte que moi.
SupprimerIl a tout pour me plaire. Je note ce titre.
RépondreSupprimerTu me diras :-)
SupprimerTu sembles vraiment conquise ! Hélas pour moi, ma bibli ne le connaît pas du tout, cet auteur !
RépondreSupprimerCe n'est pas très surprenant : il vient juste de sortir, et l'auteur n'a écrit que deux livres avant ça - mais il y a longtemps et un à quatre mains, me semble-t-il. Mais tu devrais lui suggérer cette acquisition ;-)
Supprimer