Pour moi, Zola est un auteur à part. Un auteur qui a joué un rôle unique. Il est en effet avec Dumas celui qui m’a ouvert toutes grandes les portes de la littérature. Il m’a permis de découvrir à quel point un roman pouvait être une clé de compréhension du monde tout en touchant le lecteur au plus intime de son être. C’est très certainement lui qui a été à l’origine de mon choix de faire des études littéraires pour me plonger à corps perdu dans les oeuvres du XIXe siècle et vivre à l’heure des mouvements sociaux et révolutionnaires qui l’ont ponctué. C’est dire si la lecture du nouveau livre de Delfino s’imposait à moi.
Zola, c’est évidemment l’écrivain génial qui a fait entrer les plus humbles dans la littérature sans chercher à les idéaliser, mettant au contraire en scène leur vie dans ses aspects les plus triviaux pour jeter la lumière sur les mécanismes sociaux qui la sous-tendaient. C’est aussi, bien sûr, la figure emblématique de l’intellectuel engagé, celui qui décida un jour de sacrifier une position chèrement acquise pour défendre une cause qu’il croyait juste.
Aurait-il payé ce choix de sa vie ? Bien qu’elle n’ait jamais été vraiment prouvée, j’ai toujours eu en tête cette hypothèse plus que plausible au vu du déchaînement de haine dont l’écrivain fut l’objet.
Jean-Paul Delfino s’est quant à lui intéressé de près à la question, au point de se forger une conviction. Il s’appuie sur une étude approfondie des circonstances de l’événement pour nous proposer un convaincant roman dans lequel Zola lui-même, au seuil de la mort, déroule le fil de son existence, dénombrant les personnes qui auraient pu vouloir intenter à sa vie. Mais Delfino nous fait aussi entendre la voix de tous les boursouflés de haine pour les juifs, les Drumont, les Barrès, mais aussi les anonymes, à l’image de ce Buronfosse qui se targua d’être monté sur le toit de l’immeuble de la rue de Bruxelles pour obstruer la cheminée de l’écrivain, bref de tous les tenants d’une France libérée de la «juiverie» et des «enjuivés» qui prétendument la salissaient.
En alternant les chapitres, il nous montre parfaitement comment les antidreyfusards les plus virulents conspirèrent à éliminer le plus ardent défenseur du capitaine déchu et mirent tout en place pour cadrer l’enquête de police afin que celle-ci aboutisse à la conclusion d’une mort accidentuelle.
Mais surtout, il nous révèle combien cette haine des juifs se conjuguait à une autre, qui avait marqué Zola au fer rouge de l’humiliation depuis sa plus tendre enfance : la haine de l’étranger, du vilain Italianasse, selon les mots de l’un des Goncourt. Ce mépris répondait encore à la trahison que l’écrivain aurait lui-même commise envers la littérature en la salissant des détails sordides que sa doctrine naturaliste lui imposait de ne pas voiler, se fermant ainsi irrémédiablement les portes de l’Académie au sein de laquelle il avait pourtant maintes et maintes fois tenté de se faire admettre.
A l’heure de mourir, sous la plume de Delfino, alors que les braises de l’affaire Dreyfus ne sont pas encore éteintes et que l’antisémitisme est plus brûlant que jamais, Zola est amer à l’idée de passer à la postérité pour avoir été le défenseur d’Alfred Dreyfus plus que pour avoir légué une oeuvre immense et novatrice.
Si, comme à la fin de cet excellent roman, son âme plane encore au-dessus de nous, il doit à présent être rassuré. S’il est reconnu comme l’un de nos plus grands écrivains, c’est autant pour la puissance de son oeuvre que parce qu’il a sans doute fondé cette figure d’intellectuel dont on sait le destin qu’elle connaîtra au siècle suivant. Et c'est bien ce qui le rend absolument unique.
Pour avoir une idée de la violence des attaques dont Zola fut l'objet, découvrez quelques images sur YouTube...
Pour avoir une idée de la violence des attaques dont Zola fut l'objet, découvrez quelques images sur YouTube...
Bonjour
RépondreSupprimerZola a nourrit des générations de jeunes lecteurs dont je suis avant de connaître ses engagements en faveur de Dreyfus,son témoignage de la vie ouvrière, de la petite bourgeoisie, de la diversité du petit peuple est et restera le leg social et culturel de Zola mais ne pas oublier l'engagement de cet intellectuel est aussi ce qui fait la totalité de l'Oeuvre du Grand Zola.
Voilà, c'est exactement ça.
SupprimerUn thème qui m'intéresse ; je crois que l'on n'aura jamais la vérité sur cet assassinat éventuel. Je crois avoir déjà lu quelque chose là-dessus il y a longtemps, mais je ne sais plus si c'était un livre ou un article.
RépondreSupprimerNon, on ne saura jamais, en effet. Mais dans mon esprit, je ne sais pas pourquoi ni comment, il n'y a jamais eu beaucoup de place au doute...
SupprimerCe livre me tente car j'aime bien Zola l'écrivain et le journaliste courageux... On ne saura sans doute jamais vraiment ce qui s'est passé mais la démarche de Delfino est intéressante :-)
RépondreSupprimerEt il est très convaincant !
SupprimerC'est toujours très impressionnant de se replonger dans les détails de l'engagement intellectuel de ces écrivains, Zola ou Hugo... Démarche intéressante, je n'en doute pas un instant.
RépondreSupprimer...mais tu ne sembles pas prête à l'ajouter dans ta pal... qui déborde, peut-être ? :-D
SupprimerZola est un auteur à part pour moi aussi... Cela fait plus de dix ans que je lis ses romans et qu'il m'accompagne... Au-delà de l'auteur en lui-même, c'est aussi l'homme qui est intéressant et c'est vrai que sa mort mystérieuse en 1902 m'a toujours questionnée...
RépondreSupprimerJ'ai remarqué ce roman depuis quelques semaines, il va vraiment falloir que je le lise, il me tente beaucoup... ;)
Oui, au vu de ce que vous dites, il devrait vous intéresser.
SupprimerJ'ai un peu de retard dans ma réponse (!), peut-être l'avez-vous eu depuis ?
J'aime beaucoup Zola (et je n'oublie pas que j'ai passé mon oral du bac sur La curée^^) donc c'est un livre qui m'intéresse énormément.
RépondreSupprimerWaouh ! J'aurais adoré tomber sur Zola au Zola au bac ;-)
SupprimerJ'espère avoir le plaisir de lire ton avis sur ce roman en 2020 :-)