Ariane Bois
Belfond, 2019
D’Ariane Bois je n’avais lu qu’un seul livre, Le gardien de nos frères. J’en gardais un bon souvenir, celui d’un roman à l’écriture certes très classique, mais aussi reposant sur une intrigue bien construite, fondée sur un épisode de l’Histoire solidement documenté. Et c’est bien ce schéma que j’ai retrouvé ici.
Mais que cache donc ce titre propre à faire sourire n’importe quelle personne de ma génération ? Pas de monstre gentil dans ces pages, mais bien des hommes et des femmes mettant froidement en oeuvre une terrifiante opération d’Etat.
Nous sommes dans les années 60 sur l’île de la Réunion. Deux fillettes de 6 et 3 ans jouent sur les abords d’une route. Soudain, une voiture s’arrête et les happe sans ménagement. Quelques semaines plus tard, en compagnie d’une multitude de gamins ayant connu le même sort, les soeurs atterrissent à Paris, d’où elles sont conduites dans la Creuse où elles seront séparées pour être confiées à des familles d’accueil.
On suit l’aînée, Pauline, dont les nom et prénom seront changés par ses parents adoptifs pour mieux effacer son histoire. Elle finira pas oublier ses origines, s’enfermant dans une forme de déni allant jusqu’à éluder la question de sa différence de couleur avec les autres membres de sa famille. Celle-ci, lui expliquent-ils, ne serait due qu’à un taux de mélatonine plus élevé chez elle... C’est sa propre fille Caroline en quête de ses origines, bien des années plus tard, alors qu’un scandale d’Etat commence à être mis au jour, qui lui révélera sa véritable identité au terme d’une enquête menée avec pugnacité.
Alors, c’est vrai, le roman est parfois un peu cousu de fil blanc, à l'image de la manière dont Caroline s’associe à un journaliste pour obtenir des informations classées confidentielles... Mais je dirais que c’est le défaut de ses qualités : aucun temps mort, le rythme ne souffre aucune baisse de régime. Quant aux personnages, ils se révèlent attachants.
Mais surtout, l’auteure démonte parfaitement la mécanique de cette effroyable entreprise visant à repeupler les régions désertifiées de la métropole, dont j’ignorais pour ma part absolument tout. Elle révèle la manière dont l’Etat français arracha à leurs familles des centaines d’enfants, leur promettant pour eux une éducation et un avenir prétendument inaccessibles sur leur île. Combien de parents signèrent, parfois d’une simple empreinte de doigt, le document qui les séparera à tout jamais de leurs enfants. Car toute velléité de recherche qui pourrait par la suite être tentée sera vouée à l’échec. Combien de familles et d’individus furent brisés par cet acte barbare ! Et combien d'enfants se virent alors ravalés au rang d'esclaves dans des fermes du centre de la France...
Au-delà de l'histoire parfaitement déroulée par l'auteure, cette dernière lève le voile sur un épisode peu glorieux de notre histoire. La forme romanesque se révèle parfois précieuse pour évoquer des sujets graves ou difficiles à regarder en face. L’île aux enfants en est une parfaite illustration.
Un livre à retrouver aussi sur YouTube
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Une bien belle chronique, comme toujours, qui me dévoile un auteur que je ne connaissais pas du tout, et que je lirai grâce à vous.
RépondreSupprimerMerci Nicolas. Nous en reparlerons donc...
SupprimerJ'avais entendu un reportage radio il y a quelques années sur ce sujet, pas trop médiatisé, même encore maintenant. La honte totale. (Aifelle)
RépondreSupprimerOui, cette histoire est effroyable. On peine à croire que notre pays ait pu employer des méthodes aussi barbares. C'est bien que cela soit affiché au grand jour.
SupprimerCousu de fil blanc, c'est le reproche que j'aurais fait à un de ses romans déjà lus.
RépondreSupprimerIci, c'est cette histoire dans la Creuse, j'en ai entendu parler
Oui, un peu. Mais cela ne m'a pas vraiment gênée, car l'auteure mène son récit tambour battant et j'ai apprécié d'être ainsi emportée dans cette histoire aussi incroyable qu'effroyable.
Supprimerj'en ai entendu parler en effet... J'ai aimé "Sans oublier" de l'auteure (une opération masse critique il y a longtemps...
RépondreSupprimerAlors pourquoi ne pas retenter...? ;-)
SupprimerJamais lu Ariane Bois même si j'ai vu passer des billets sur ses livres... Je te lis donc avec d'autant plus d'intérêt que je ne suis pas certaine de lui trouver une place ;-)
RépondreSupprimerEh oui, l'éternel problème : une pal qui n'en finit pas de s'élever !
Supprimer:-))
Je viens de là-bas, on connaît bien cette histoire à la Réunion... Le titre est bien choisi !
RépondreSupprimerVisiblement, elle est en effet connue là-bas. Mais, curieusement, ici on n'en parle pas trop... Aurions-nous honte ?
SupprimerD'elle je n'ai lu que Dernières nouvelles du front sexuel (on ne se refait pas^^) et ça ne m'avait pas franchement incité à la découvrir à nouveau. Une erreur on dirait...
RépondreSupprimerJ'ai apprécié ce roman pour l'histoire qu'il m'a fait découvrir et dont j'ignorais tout, pour son rythme qui jamais ne faiblit. Cette lecture était en outre parfaite pour moi à ce moment-là. Cependant te connaissant, il se pourrait que l'écriture te paraisse un peu lisse... Mais qui sait ;-)
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