Marie Barraud
Robert Laffont, 2017
Un texte magnifique, empreint d'un bel humanisme.
Je voudrais tout d’abord remercier les initiatrices des 68 Premières fois qui m’ont permis de lire ce livre, vers lequel je ne serais probablement jamais allée de mon propre chef. Je serais bien en peine d’expliquer pourquoi, mais la Seconde Guerre mondiale est une période que je n’arrive pas à associer à la littérature. Je serais alors passée à côté d’un texte précieux, d’une immense sensibilité.
La narratrice n’a jamais connu son grand-père paternel. Arrêté en avril 1944 pour faits de résistance, celui-ci fut aussitôt déporté à Neuengamme, d’où il ne reviendra jamais.
Dans la famille Barraud, le grand-père est une figure dont on ne parle guère. Qui était cet homme, qui a donné son nom à une rue de Bordeaux ? Quel souvenir en garde son fils cadet, âgé de huit ans lors de son arrestation ? C’est ce que voudrait savoir la jeune femme, qui sent combien son père est resté prisonnier du traumatisme qu’il a subi et qui de ce fait est incapable de lui en dire le moindre mot. Il a oublié. Et il ne veut surtout pas revenir sur cette douleur incommensurable qu’a provoquée l’absence. Il n’a jamais pardonné à Albert de l’avoir quitté.
D’où viennent ce sentiment d’abandon et la colère qui en résulte ? C’est ce que veut découvrir Marie. Elle décide donc de mener une enquête minutieuse pour restituer le portrait de ce grand-père sur lequel un voile a été posé. Le témoignage de Roger Joly, qui fut son compagnon de captivité, sera déterminant. Grâce à cet homme qui estime avoir été sauvé par Albert Barraud, Marie va enfin voir se dessiner les traits et la personnalité exceptionnelle de son grand-père. Médecin, il avait fait de sa profession plus qu’une mission, un véritable sacerdoce. Aussi, à Neuengamme, lorsqu’il fut affecté à l’infirmerie, il s’employa à soulager ceux que les bourreaux estimaient bons à être soignés afin de continuer à exploiter leur faible force de travail. Mais surtout, il soutenait ses compagnons d’infortune de son optimisme et de son inaltérable foi en l’humanité. Jusqu’au dernier moment, lors de la débâcle des Allemands et alors que ses camarades l’encourageaient à fuir, il choisit de rester avec les plus faibles d’entre eux, se refusant à les abandonner à la mort, tentant au contraire de les ramener vers la lumière et la vie. C’est ainsi qu’il perdit la sienne, dans les toutes dernières heures de cette terrible guerre.
Ne croyez pas que je vous révèle l’essentiel de ce livre. Les atrocités qui furent perpétrées lors de ces années noires sont fort heureusement bien connues - encore qu’il ne faille jamais craindre de les rappeler encore et encore. Ce qui fait la force et la beauté de ce récit ce sont les mots que l’auteure emploie pour révéler les non-dits et mettre au jour les incompréhensions, les tensions et les rancœurs apparues au sein de cette famille qui fut atomisée. C’est la manière dont elle parvient à ramener l’Absent au cœur de sa famille pour lui redonner toute sa place. C’est la façon qu'elle a de renouer par-delà la mort des uns ou des autres les liens qui s’étaient rompus. C’est la force qu’elle instille dans ses mots pour éteindre les maux.
On imagine l'intensité des sentiments qu’elle a dû connaître tout au long de ces mois de recherche, d’écoute et d’écriture. Une émotion qu’elle restitue avec un admirable talent et qu’elle partage avec une belle générosité pour continuer de délivrer le message d’amour et de fraternité légué par son grand-père.
Les 68 Premières fois, sélection de janvier 2017
Elle voulait juste marcher tout droit de Sarah Baruck, Albin Michel
La sonate oubliée de Christiana Moreau, Préludes
La téméraire de Marie Westphal, Stock
Les parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld
Marguerite de Jacky Durand, Carnets Nord
Marx et la poupée de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila
Mon ciel et ma terre de Aure Attika, Fayard
Ne parle pas aux inconnus de Sandra Reinflet, Jean-Claude Lattès
Nous, les passeurs de Marie Barraud, Robert Laffont
Outre-mère de Dominique Costermans, Luce Wilquin
Presque ensemble de Marjorie Philibert, Jean-Claude Lattès
Principe de suspension de Vanessa Bamberger, Liana Levi
C'est un récit plus qu'un roman alors ? C'est donc le thème des secrets de famille sur fond de guerre. Le contexte m'intéresse, je le note.
RépondreSupprimerOui, c'est clairement un récit autobiographique. Il ne s'agit pas exactement d'un secret de famille, mais de la douleur immense d'avoir perdu un être cher qui entraîne la famille dans le silence. Mais évidemment, la troisième génération interroge la seconde.
SupprimerC'est vraiment un très beau texte, en tout cas. Je pense qu'il pourrait t'intéresser et te toucher.
Un premier roman dont je n'avais jamais entendu parler mais qui pourrait tout à fait me combler.
RépondreSupprimerAlors là, je me permets d'en remettre une couche, Jérôme ! Même si ce n'est pas à proprement parler un roman, c'est un texte magnifique ! Je serais vraiment ravie que tu le lises.
SupprimerOh je le note, merci !
RépondreSupprimerTout le plaisir est pour moi !
Supprimer:-)
Moi aussi ce roman m'a touchée bien au-delà de ce que j'aurais pu imaginer et la plume de l'auteur y est pour beaucoup. Les mots sont justes, tout est parfaitement calibré dans ce récit d'une belle sobriété qui permet à l'émotion de jaillir. J'espère qu'il en touchera encore beaucoup d'autres.
RépondreSupprimerGrâce aux 68, on peut espérer qu'il gagne quelques lecteurs...
SupprimerIl a tout pour me plaire celui là...!
RépondreSupprimerJe n'en doute pas, Noukette !
Supprimerce livre ne peut que m'intéresser! merci d'en parler car je n'avais encore rien lu à son sujet!
RépondreSupprimerC'est tout l'intérêt de ces 68 Première fois : parler et faire découvrir des livres qui n'ont pas les honneurs des medias...
SupprimerAh Eva avait raté ma chronique donc ;-)
SupprimerJe lis seulement maintenant, et à dessein, ta critique. Nous avons relevé beaucoup d'éléments semblables. Ce livre m'a vraiment émue, et pareil, je ne l'aurais probablement jamais lu sans ces 68. J'ai eu besoin d'enchainer sur quelque chose de plus léger, pour assurer la transition. Il va me rester en mémoire longtemps.
RépondreSupprimerOui, à moi aussi vraisemblablement.
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