dimanche 20 novembre 2016

Par la ville, hostile

Bertrand Leclair
Mercure de France, 2016


Bertrand Leclair signe un texte bref et percutant dominé par la violence sociale.

Dans la préface - ou l’avertissement - qu’il a choisi de donner à son livre, Bertrand Leclair explique que celui-ci a été conçu à la suite de la lecture d’un entrefilet paru en mars 2014 dans le journal Le Monde. On y apprenait qu’une famille, qui ne se réduisait plus alors qu’à une femme célibataire - ses deux fils ayant été incarcérés pour trafic de stupéfiants -, venait d’être expulsée de son HLM parisien pour trouble à l’ordre public. Peu lui importait d’en savoir davantage. En revanche, il a voulu imaginer non pas les circonstances qui l’ont amenée là, mais le cheminement psychique qui avait pu la conduire jusqu’à cette situation dramatique.
C’est ainsi qu’il nous livre ce qui aurait pu être un cri de révolte, mais est plutôt une forme de renoncement à être au monde.

Bertrand Leclair part d’une situation hélas devenue banale : une femme, un être humain, se retrouve à la rue, privée du droit le plus élémentaire, celui de disposer d’un toit.
Leclair ne juge pas ; pas plus qu’il ne justifie. Il s’immisce dans la tête de cette femme qui a ignoré les courriers d’huissier, qui a refusé de saisir les propositions de relogement, qui a préféré se murer dans son silence et attendre l’implacable issue. Ecarter de son esprit le moment où l’huissier reviendrait accompagné d’un serrurier pour saisir ses quelques affaires et la jeter dehors.
Leclair défile le cours chaotique de ses pensées et de ses souvenirs, qu’elle ne peut empêcher de refluer. Pourtant, «elle ne veut pas plus de souvenirs que d’avenir, dans sa tête, tous ces mots au venin du devenir». Elle voudrait chasser ces «pointes acides qui perforent». Seule, sans emploi, sans plus aucune fonction sociale, elle est enfermée, enferrée, dans le présent. Plus aucun avenir ne s’offre à elle, et le passé n’est qu’un lointain mensonge, qui lui laissait espérer une vie lumineuse qui s’est dérobée.
Elle a tenté pourtant de lutter, de balayer les obstacles, de surmonter les épreuves, d’être forte. Mais aujourd’hui, il ne lui reste que des «élans de rage qui lui pulsent du ventre» et qu’«elle peine à contenir». Il ne lui reste plus qu’à se figer dans un présent sombre et glaçant, et à se replier sur elle-même avant qu’on ne la jette dans cet espace public, cette ville hostile où elle deviendra définitivement un fantôme parmi les fantômes.

Bertrand Leclair nous propose un texte fulgurant et poignant, servi par une langue saisissante, où domine l’extrême violence de notre société. Une belle page de littérature.

11 commentaires:

  1. Première fois que j'entends parler et de cet auteur, et de ce titre. Cette «belle page de littérature» m'intrigue par son thème et le traitement qui en est fait. Merci pour la découverte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois qu'il écrit des choses très variées. J'avais beaucoup aimé Le Bonhomme Pons, qui était un remake (du nom de la collection chez Belfond) du Cousin Pons de Balzac. C'était un exercice de style dans lequel il s'était brillamment illustré, et que j'avais beaucoup aimé. J'avais d'ailleurs publié un billet sur le blog, si cela t'intéresse.

      Supprimer
    2. Merci pour ces informations. C'est noté.

      Supprimer
  2. J'ai noté plusieurs titres de cete auteur, dont "L’Invraisemblable histoire de Georges Pessant", sans jamais conclure. Le titre que tu présentes aujourd'hui me semble trop social et contemporain pour être dans mes cordes, mais l'auteur reste un désir de lecture.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il a déjà une belle bibliographie, tu devrais y trouver ton bonheur. Les deux livres que j'ai lus de lui étaient très différents l'un de l'autre, mais ont néanmoins un point commun : une très belle écriture.

      Supprimer
  3. Je n'ai jamais abordé cet auteur. Le thème est hélas d'actualité, je le lirai à l'occasion.

    RépondreSupprimer
  4. Un roman qui bouscule on dirait. Tout pour me plaire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et en plus, c'est un format court, comme tu les aimes! ;-)

      Supprimer
  5. Court et percutant ? Ça me parle !

    RépondreSupprimer