mercredi 2 juin 2021

Nos corps étrangers

Carine Joaquim
La Manufacture de livres, 2021




Combien de couples, aujourd’hui, décident de tout quitter, leur emploi, leur région, pour « prendre un nouveau départ »? Elisabeth et Stéphane sont à un moment critique. Leur couple ne s’est jamais vraiment remis de la liaison que Stéphane a entretenue avec une autre femme. Une blessure profonde pour Elisabeth dont le corps porte les traces : perte de poids et aménorrhée sont les conséquences de l’anorexie qui s’en est suivie.

Pour se retrouver, quoi de mieux que de quitter l’agitation parisienne afin de s’installer dans une vaste maison en grande banlieue ? Elisabeth pourra y aménager son atelier et se consacrer enfin à la peinture, comme elle l’a toujours désiré.


Mais Maëva, quinze ans au compteur, ne l’entend pas de cette oreille. Quitter ses amis pour se retrouver entourée de bouseux n’a rien pour la séduire. Les relations se tendent alors avec ses parents, qui n’avaient pas besoin de cela pour s’apercevoir que changer de cadre n’allait pas suffire à leur permettre de renouer les fils d’une relation distendue…


Mais les enfants ont une capacité d’adaptation bien supérieure à celle des adultes, et la présence au sein de la classe de Maëva d’un enfant atteint du syndrome de Gilles de La Tourette lui offre bientôt l’occasion de trouver une cohésion avec d’autres élèves contre celui qui apparaît bien vite comme une tête de turc. Et puis elle tombe amoureuse. Dès lors, c’est elle qui occupe le centre de la narration. Le jeune Ritchie ne manque pas de charisme. Bien qu’étant dans la même classe que Maëva, il est beaucoup plus grand et baraqué que tous les autres élèves, et que certains adultes. Ce qui ne l’empêche pas d’être tendre et prévenant. Mais Ritchie est aussi un migrant africain, seul rescapé de sa famille à être parvenu jusqu’en France. 


Accepter la relation amoureuse de leur fille adolescente - passage obligé de tout parent - se double alors pour Elisabeth et Stéphane d’une prise de position à l’égard de l’identité du garçon qui a fait naître ce sentiment, suscitant un nouveau point de fracture au sein de la famille. Ce qui offre ainsi au roman l’occasion d’un nouveau tournant, et un retour sur le couple parental pour un final tout à fait inattendu…


Etrange roman que celui de Carine Joaquim, qui mêle différentes problématiques - crise du couple, passage de l’adolescence, premiers émois amoureux, gestion personnelle et sociale de la maladie, accueil des migrants, ainsi qu’un dernier thème que je ne révèlerai pas ici afin de ne rien divulgacher- à travers le prisme du corps, ce qu’il cache ou révèle, ce qu’il travestit parfois ou encore ce qu’il trahit. Malgré une ambition assez démesurée à vouloir traiter de sujets aussi complexes, il faut avouer que Carine Joaquim parvient à proposer un texte qui se tient assez bien, se lit d’une traite et s’offre même le luxe de souligner le caractère audacieux et parfois improbable de son histoire ! Mais le sentiment que l’auteur a voulu embrasser trop de choses domine néanmoins. Dommage, car la maîtrise narrative est assez remarquable pour un premier roman. Suffisamment en tout cas pour que je puisse m’intéresser à son prochain… si elle n’a pas épuisé tout ce qu'elle avait à dire !



Un livre sélectionné par les 68 Premières fois


Premiers romans :

  • Avant elleJohanna Krawczik (Héloïse d’Ormesson)
  • Avant le jour, Madeline Roth (La Fosse aux ours) 
  • Bénie soit Sixtine, Maylis Adhémar (Julliard)
  • Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres)
  • Danse avec la foudreJeremy Bracone (L’Iconoclaste)
  • Grand Platinum, Anthony Van den Bossche (Le Seuil)
  • Il est juste que les forts soient frappés, Thibault Bérard (L’Observatoire) 
  • Indice des feux, Antoine Desjardins  (La Peuplade)
  • L’enfant céleste, Maud Simonnot (L’Observatoire) 
  • Le doorman, Madeleine Assas (Actes Sud)
  • Le Mal-Epris, Bénédicte Soymier (Calmann-Levy)
  • Les après-midis d’hiver, Anna Zerbib (Gallimard)
  • Les cœurs inquiets, Lucie Paye (Gallimard) 
  • Les grandes occasions, Alexandra Matine (Les Avrils)
  • Les Monstres, Charles Roux (Rivages)
  • Les orageuses, Marcia Brunier (Cambourakis) 
  • Nos corps étrangers, Carine Joaquim  (La Manufacture de livres)
  • Sept gingembres, Christophe Perruchas (Le Rouergue)

Deuxièmes romans :

  • Le sanctuaire, Laurine Roux (Le Sonneur) 
  • Les nuits d’étéThomas Flahaut (L’Olivier) 
  • Over the Rainbow, Constance Joly (Flammarion)
  • Tant qu’il reste des îles, Martin Dumont (Les Avrils)

6 commentaires:

  1. J'avoue que j'étais assez curieuse de ton retour sur ce livre... qui finalement résume assez bien ce que je vois arriver dans ma boîte mail des 68.

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    1. Et toi, du coup, qu'est-ce que tu en penses ? Es-tu aussi sur cette même longueur d'ondes ?

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    2. Je suis assez d'accord. Cette lecture a provoqué beaucoup de discussions au moment de l'élaboration de la sélection, car on voyait plein de défauts et pourtant il y avait quelque chose de fort, une empreinte bien marquée.

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  2. A tenter, par curiosité, si je le vois arriver à la bibliothèque.

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    1. Oui, voilà, s'il se présente, ça vaut le coup d'essayer ;-)

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  3. C'est un peu le risque que court l'auteure : avoir dès son premier roman épuisé ce qu'elle a à dire.

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