Eve de Castro
L’Iconoclaste, 2022
Le Grand siècle, je dois bien reconnaître que je ne m’y suis jamais vraiment intéressée. Et toute étudiante en lettres que j’eusse été, je n’en connais pas vraiment la littérature. Tout juste est-il pour moi dominé par la sainte trinité Corneille-Racine-Molière - dont les deux premiers ne m’ont pas laissé le plus doux des souvenirs.…
Cependant, les intrigues de cour et les fastes de Versailles ont un charme auquel je ne suis pas insensible. Je m’étais régalée naguère de L’allée du roi, de Françoise Chandernagor, et, plus récemment encore, Moi, Louis, roi d’Eve de Castro m’avait fait forte impression. Aussi, lorsque j’ai découvert en librairie que cette dernière publiait un nouveau livre, je me suis bien volontiers laissé tenter. Et puis, en cette année de célébration du quatre-centième anniversaire de notre gloire nationale, redécouvrir Molière par le biais d’un bon texte me semblait tout à fait à-propos.
Mais quelle n’a pas pas été ma surprise ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne m’attendais pas du tout à ce que j’allais découvrir dans ce livre ! Molière, c’est un peu comme la tour Eiffel, une institution que chacun d’entre nous connaît - et même si on ne les fréquente pas assidument, quelques idées et quelques repères demeurent solidement ancrés en nous. Alors évidemment, quand on remet tout ça en cause, ça secoue !
Lorsque s’ouvre le récit, Molière vient de s’éteindre, ce qui ne l’empêche toutefois pas d’en être l’un des narrateurs. Les autres sont son épouse Armande Béjart, sa première compagne Madeleine, ou encore son confrère en écriture Pierre Corneille dont il a monté et joué de nombreuses pièces.
Dès le départ, la relation qui unit les deux auteurs dramatiques semble empreinte d’une mystérieuse connivence matinée de rivalité. Si cela semble se jouer autour de la figure d’Armande, dont les deux hommes se disputent l’amour, on comprend rapidement que l’enjeu est ailleurs. Dans l’écriture. Dans la paternité des comédies signées de Molière.
Tout le texte d’Eve de Castro tend en effet à démontrer que si Molière est bien le scénariste de ses pièces, c’est Corneille qui en aurait secrètement assuré la versification. Pour quelqu’un qui découvrit Molière avec le fabuleux film d’Ariane Mnouchkine, si magistralement incarné par Philippe Caubère, le choc est immense. Quoi, cet homme qui avait réussi à imposer son talent en osant braver l’Eglise et dénoncer les travers de son époque ne serait qu’une illusion ? La plus grande mystification littéraire de tous les temps ? Je crois que je n’aurais pas été plus éberluée si on m’avait révélé que la Comédie humaine avait été pour une grande partie écrite par Hugo.
J’ai d’abord cru à un manque de discernement de ma part - sans doute fallait-il que je reprenne le texte dès le début car j’avais dû mal le comprendre et mal l’interpréter ; puis j’ai pensé à un genre de canular littéraire - mais le ton et le style, par ailleurs excellent, contredisaient de toute évidence cette hypothèse. Au moins le dénouement allait-il offrir un retournement ou une autre perspective qui allait tout remettre en ordre…
Inutile de vous préciser que j’ai lu ce texte iconoclaste d’une traite. Il est admirablement écrit, restitue la saveur de la langue du XVIIe et nous plonge dans l’atmosphère et le quotidien de ce siècle aussi bien que Mnouchkine les avait elle-même restitués dans son film. Il apporte en outre un précieux éclairage historique sur la notion et le statut d'auteur - si âprement défendu de nos jours. Nul doute que ce texte fera les gorges chaudes des gardiens du temple moliéresque et qu’il donnera un peu de piquant à l'année de festivités qui vient de s'ouvrir…
Il me semble avoir déjà entendu parler de cette histoire de corneille qui aurait, etc.
RépondreSupprimerVisiblement, elle est apparue vers la fin du XIXe. En tout cas, quand on écoute l'auteure parler, elle a des arguments plutôt convaincants... Mais c'est le genre d'hypothèse qu'il est difficile de faire entendre. Il y a eu la semaine dernière une double-page sur les ouvrages consacrés à Molière dans le supplément littéraire du Monde, et il n'est fait aucune mention à ce livre...
SupprimerJe ne connais pas tant Molière que ça... ma référence, c'est le Molière d'Ariane Mnouchkine, mais ça commence à dater. Je note d'autant plus volontiers que ça pourrait être un achat à suggérer pour la bibliothèque de mon village.
RépondreSupprimerEt voilà, nous avons les mêmes références ! (Il faut dire que ce film est un chef-d'oeuvre.) Cette lecture est aussi plaisante qu'intéressante.
SupprimerCe n'est pas bien je sais, mais je ne m'intéresse pas vraiment à Molière. Ceci dit, ça pourrait être un commencement ..
RépondreSupprimerComme on le voit dans l'article, je ne suis pas vraiment une spécialiste non plus ;-) Mais c'est bien pour ça que ce livre est intéressant. En tout cas, je ne regrette pas ma lecture !
SupprimerDu coup, une rencontre avec l'autrice serait sans aucun doute passionnante...
RépondreSupprimerClairement !
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