Nancy Huston
Actes Sud, 2018
Quand vous vous saisirez de ce livre, préparez-vous à recevoir un choc.
Pourtant, Nancy Huston ne vous prend pas par surprise. Elle vous révèle d’emblée l’étrange attraction qu’exerce sur elle le Cambodge, cet état indéfini dans lequel la plongent la douceur émanant des Khmers et ce sourire inaltérable qu’ils affichent alors même qu’ils connurent le pire des martyrs, dont leurs corps conservent les stigmates bien visibles. Mais ce trouble demeure difficile à appréhender...
Pourtant, Nancy Huston ne vous prend pas par surprise. Elle vous révèle d’emblée l’étrange attraction qu’exerce sur elle le Cambodge, cet état indéfini dans lequel la plongent la douceur émanant des Khmers et ce sourire inaltérable qu’ils affichent alors même qu’ils connurent le pire des martyrs, dont leurs corps conservent les stigmates bien visibles. Mais ce trouble demeure difficile à appréhender...
L’histoire récente de ce pays lui semble faire écho à la sienne. Ce marxisme dogmatique qui conduisit un peuple à sa perte, qui fut l’artisan de sa propre destruction, ne lui est pas étranger. Inlassablement, Nancy Huston sonde cette histoire. Elle cherche quelque chose qui se dérobe à elle, mais qu’elle ne peut ignorer. Jusqu’au frémissement soudain. Terrifiante révélation. Ces lèvres de pierre des bouddhas ancestraux, ces sourires, masques pudiquement jetés sur les blessures et les douleurs, ceux-là mêmes qui lui permirent longtemps de taire ses propres fêlures, ce sont aussi ceux de Pol Pot.
L’auteure déroule alors le fil de l’histoire du tyran. Remontant à ses plus jeunes années, elle dit sa vie constellée d’échecs, peignant les traits d’un personnage maladroit qu’un ardent désir de reconnaissance jamais satisfait rendit pour toujours insensible et froid.
Du côté du lecteur, on résiste. On se refuse à entrer dans l’intime de celui qu’on ne veut qualifier d’homme. On la suit pourtant. La sobriété du texte et les phrases sèches, dénuées d’affectivité, n’invitent certainement pas à l’empathie. Encore moins à justifier ce que l’on sait qui s’ensuivra. Le mépris et la violence qui règnent sur le pays, entre colons français et attaques américaines, ces terribles agressions que subit tout un peuple, en se conjuguant avec les humiliations intimes de celui qui n’est encore que Saloth Sar, donneront naissance à Pol Pot.
Les blessures intimes, les outrages, Dorrit, double littéraire de Nancy Huston, connaît. C’est sa propre histoire qu’elle relate à présent. De l’abandon de sa mère à la légèreté de son père, de ses premières amours à la découverte des diverses formes de domination masculine, elle ne cache rien. Dans les années 70, cette domination est d’autant plus insidieuse et perverse qu’elle s’exerce dans un climat de libération sexuelle qui somme la femme d’être réceptive et consentante. Alors Dorrit se prête à certaines expériences dont elle ne mesure pas immédiatement la violence ni la portée. Et Dorrit sourit. Et Dorrit finit par martyriser son corps. Jusqu’à ce que certaines rencontres et certaines lectures lui permettent de comprendre ce qu’elle a subi et d’y mettre des mots.
Qu’elle évoque son propre cheminement ou celui de Pol Pot, Nancy Huston use de la même distance. Construit selon une parfaite symétrie, avec un déroulé et des phrases se répondant d’une partie à l’autre, ce texte est d’une maîtrise et d’une force incroyables. Alors que l’analogie entre son expérience et celle de Pol Pot pourrait paraître fallacieuse, elle se révèle au contraire des plus convaincantes. En procédant par échos, Nancy Huston n’établit pas à proprement parler de comparaison, mais montre la puissance de déflagration induite par la violence subie de part et d’autre, violence intime et sociale, dont les séquelles sont incommensurables.
Le propos ne manquera sans doute pas de prêter à controverse et appelle la discussion. J’ignore si Nancy Huston avait commencé à écrire ce livre avant l’affaire Weinstein, mais sa publication dans ce contexte lui donne évidemment une résonance particulière.
Quoi que l’on puisse en penser, l’exceptionnelle acuité de ce texte et la lucidité de son auteure sont absolument impressionnantes. En ce qui me concerne, je ne doute pas que ces pages laisseront en moi une empreinte durable.
Pas attirée du tout par cette auteure et ses thèmes. J'en ai un dans ma PAL depuis une éternité et je n'arrive pas à m'y mettre. Par ailleurs, ses prises de position publiques me laissent souvent perplexe ..
RépondreSupprimerC'est une auteure que je découvre, pour ma part. Mais à la lecture de ce roman, il ne me surprend guère qu'elle suscite pour le moins de la perplexité. Elle ne prend pas son lecteur par la douceur. Mais vraiment, elle est percutante et intéressante. Personnellement, j'aime bien qu'il y ait de la rugosité, des aspérités, toutes choses qui nous poussent dans nos retranchements.
Supprimerje ne te lis qu'en diagonale, j'ai prévu de le lire!
RépondreSupprimerRavie de l'apprendre. Ce livre doit être lu !!! :-)
SupprimerJ'avais un peu d'avance mais je vois que tu as parfaitement trouvé les mots pour compléter notre entretien :-) ; je l'ai noté dans les projets.
RépondreSupprimerToujours été plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral :-))
SupprimerJe l'ai acheté, je t'ai lu en diagonale juste pour voir que tu avais été séduite.
RépondreSupprimerPlus que séduite : conquise !
SupprimerToujours pas lu Nancy Huston mais "Le club des miracles relatifs" est dans ma pal et je vais commencer par celui-là pour la découvrir.
RépondreSupprimerUn peu comme moi, donc. Il me reste tous ses autres romans à découvrir...
SupprimerJ'ai eu un de ses livres dans ma pal, j'ai lu quelques morceaux et je n'ai pas adhéré au style du coup je l'ai donné.
RépondreSupprimerC'est un style assez froid, c'est vrai, très cérébral. Je comprends qu'on puisse ne pas accrocher.
SupprimerJe ne suis pas sûre de suivre Nancy Huston dans cette voie-là.
RépondreSupprimerAu premier abord, on n'a pas envie, en effet. Mais elle est très convaincante et son texte est d'une force rare.
SupprimerJ'ai découvert Nancy Huston il y a quelques années et mon préféré à ce jour reste Lignes de faille ( je te le conseille fortement !)
RépondreSupprimerLa relire après ma déconvenue avec Le club des miracles relatifs pourrait me réconcilier avec elle!
Effectivement, j'ai déjà entendu parler de ce titre... Merci de me le rappeler !
Supprimerpas trop tentée, le nom de Pol Pot me donne encore des frissons dans le dos...
RépondreSupprimerIl est clair que le parti pris de l'auteur est très perturbant. Mais ce livre est proprement stupéfiant. Pour moi un des plus grands de cette rentrée... même si je suis loin d'avoir lu les 567 annoncés !
SupprimerJe le garde en mémoire...
SupprimerJ'aime beaucoup cette auteure et ce livre fera peut-être partie de mes lectures de la rentrée.
RépondreSupprimerJe te le souhaite, c'est une lecture hors du commun !
SupprimerLe fait qu'elle parle de Pol Pot n'est pas pour me tenter tellement... de plus, j'avais commencé un de ses romans, Danse noire, qui ne m'a pas emballée (ni par les thèmes, ni par la construction, si je me souviens bien)
RépondreSupprimerJe n'en ai jamais entendu parler... Peut-être n'était-ce pas son meilleur ? Pour ma part, j'ai vraiment envie de mieux découvrir cette auteure.
SupprimerParfois, Nancy Huston a été trop pleine d'émotions pour moi mais il faudrait que je retente... Merci pour ton coup de coeur !
RépondreSupprimerMerci de ce conseil de lecture, Delphine. Malgré un parallèle effectivement surprenant et cette construction du livre en deux parties successives qur laquelle j'étais a priori très dubitative, j'ai été littéralement happée par ce livre. Très belle découverte.
RépondreSupprimerNathalie
Ce message me fait très plaisir, merci !
SupprimerJe suis ravie que vous ayez tenté cette lecture malgré vos préventions, et plus encore qu'elle vous ait happée, tout comme moi.