mardi 26 décembre 2017

Il n’y a pas Internet au paradis

Gaëlle Pingault
Editions du Jasmin, 2017


Combien sont douloureux certains sujets... La violence au travail en est un particulièrement sensible, et la souffrance qu’elle génère est à la fois au plus intime d’un individu et un mal si largement répandu qu’il en devient un sujet de société. Ce qui le rend probablement d’autant plus difficile à approcher et à traiter sous une forme romanesque.

Dans Il n’y a pas Internet au paradis, Gaëlle Pingault évoque le suicide d’un quadra victime de harcèlement moral à travers le regard de sa compagne. Surmontant sa douleur, Aliénor essaie de comprendre ce qui a pu conduire Alex à ce geste. Grâce aux témoignes de quelques collègues, à ses souvenirs des paroles d’Alex, mais aussi grâce à ce qu’elle découvre, comme tout un chacun, dans la presse et les médias sur certaines méthodes de management, elle parvient à saisir ce qu’a pu endurer son compagnon. Elle envisage alors de contraindre le supérieur hiérarchique de ce dernier à lâcher une somme d’argent suffisamment significative pour pouvoir être interprétée comme une reconnaissance implicite de sa responsabilité dans le drame.

La violence au travail, le harcèlement moral sont des sujets qui, pour différentes raisons, me touchent particulièrement. Aussi suis-je assez encline à lire des romans qui s’y frottent. Mais j’en attends beaucoup. J’attends une tentative d’expliquer les mécanismes à l’oeuvre dans la relation qui se joue dans cette tentative de destruction. J’attends un texte dont la puissance soit à la mesure du mal qu’il tente de cerner. J’attends une certaine hauteur de vue qui permette d’appréhender les choses d’un point de vue social. Ou bien quelque chose au contraire de très intime qui permette de traduire l’extrême violence et les ravages que produisent de tels actes sur un individu.

Je ne vais pas dire que Gaëlle Pingault passe à côté de son sujet. Les scènes qu’elle restitue sont tout à fait crédibles et son texte se lit très aisément, on ne s’y ennuie guère. Mais j’ai trouvé ce livre d'une grande platitude, tant sur le fond, fait de propos assez convenus mêlant les gros titres de la presse avec les commentaires que tout un chacun peut formuler dans sa cuisine, que sur la forme, qui emprunte au style oral le plus banal.  
On pourra me trouver un peu sévère, mais il est vrai que j’ai en tête des textes comme Les heures souterraines, de Delphine de Vigan ou Alice ou le choix des armes de Stéphanie Chaillou qui m’ont estomaquée par leur justesse et leur finesse d’analyse sur la relation qui se noue entre ce type de bourreau et sa victime, leur capacité à révéler le caractère insidieux des agissements qui détruisent un être et l'incapacité à activer des mécanismes de défense dans laquelle s'installe progressivement la victime... Bref, pour moi, et comme pourrait le dire Aliénor, il n’y a pas photo : si le sujet vous intéresse, je vous engage vivement à lire les romans que je viens de citer.


Une fois n'est pas coutume, Nicole ne partage pas mon même avis sur ce livre, qu'elle a beaucoup aimé, tout comme Joëlle





Ces rêves qu’on piétine, Sébastien Spitzer, L’Observatoire
Et soudain, la liberté, Evelyne Pisier & Caroline Laurent, Les Escales
Faux départ, Marion Messina, Le Dilletante
Il n’y a pas Internet au paradis, Gaëlle Pingault, ediditions du Jasmin
Imago, Cyril Dion, Actes Sud
La fille du van, Ludovic Ninet, Serge Safran
Catherine Baldisseri, Intervalles
Le courage qu’il faut aux rivières, Emmanuelle Favier, Albin Michel
Les liens du sang, Errol Henrot, Le Dilettante
Ma reine, Jean-Baptiste Andrea, L’Iconoclaste
Mademoiselle, à la folie, Pascale Lécosse, La Martinière
Neverland, Timothée de Fombelle, L’Iconoclaste
Ostwald, Thomas Flahaut, L’Olivier
Parmi les miens, Charlotte Pons, Flammarion
Redites-moi des choses tendres, Soluto,Le Rocher
Sauver les meubles, Céline Zufferay, Gallimard
Son absence, Emmanuelle Grangé, Arléa
Une fille, au bois dormant, Anne-Sophie Monglon, Mercure de France




14 commentaires:

  1. Sur le sujet, tu peux lire aussi celui-ci, très juste : http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2010/10/19/19365002.html Je ne sais pas si tu cherches absolument de la fiction, mais les seules lecture qui m'a fait comprendre les ressorts à l'œuvre, ce sont celles de Marie-France Hirigoyen ou de Christophe Dejours.

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    1. Effectivement, j'ai entendu parler du roman de Beinstingel et j'avais eu envie de le lire. C'est vrai que, comme souvent, je suis très attachée au traitement romanesque, littéraire des sujets qui m'intéressent.
      En l'occurrence, c'est un sujet auquel je suis particulièrement sensible, notamment pour avoir accompagné des personnes qui étaient en souffrance professionnelle. Alors, disons que je ne cherche pas à tout prix à lire sur le sujet, mais quand un roman se présente, j'ai plutôt envie de le lire. Mais j'ai besoin qu'il m'apporte autre chose qu'un constat sur le mode conversation de bistro...

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  2. En fait, comme je le dis dans ma chronique, pour moi le thème principal n'est pas celui de la violence au travail. Certes, c'est la toile de fond sur laquelle se construit l'intrigue mais je l'ai plus ressenti comme un roman sur le deuil, rendu encore plus difficile par le contexte qui a provoqué le suicide... Effectivement, on n'entre pas du tout ou très peu dans la mécanique qui a conduit Alex à passer à l'acte, on est plutôt dans la peau d'Alienor qui se retrouve seule face au vide laissé par des questions sans réponses.

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    1. Oui, mais enfin il ne s'agit pas de n'importe quel deuil, et la question de la violence au travail est très présente. Et puis Aliénor cherche tout de même à faire payer, à tous les sens du terme, celui qu'elle croit responsable de la mort de son mari.
      En outre, il me semble que l'auteure tente de faire un roman social, compte tenu de toutes les incises de phrases entendues dans les médias. Or, j'ai personnellement trouvé cela très banal. Le personnage a les réactions que nous avons tous à l'écoute de certaines nouvelles. Le tout dans une langue qui ne m'a pas semblé très travaillée. C'est naturellement ma perception des choses, mais je n'ai pas trouvé ce livre particulièrement intéressant d'un point de vue littéraire...

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  3. Je rebondis sur les mots de Nicole ce roman nous met dans la peau de celle qui est à côté de celui qui subit cette violence, je l'ai vécu d'abord en tant qu'epouse avec mon mari puis de mère avec mon fils et j'ai trouvé le traitement qu'en fait l'auteur très juste...

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    1. Je pense que la réception d'un livre dépend grandement de l'expérience et du vécu d'un lecteur. Et c'est sans doute ce qui fait la richesse de la littérature, que de n'être pas univoque.
      Cependant, la quatrième de couv invite clairement à lire le roman sous l'angle de la violence de l'entreprise et le fait est que le sujet est très présent dans le livre. Pour avoir été moi-même confrontée à de telles situations, que ce soit directement ou indirectement, je suis sans doute particulièrement sensible à ce sujet...

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  4. en lisant les commentaires de Nicole et Joëlle, on a le sentiment que vous n'avez pas lu le même livre, elles sur le deuil, toi sur la violence au travail ... c'est intéressant. Ce n'est pas un sujet qui me touche mais j'ai parfois eu le même sentiment avec certains romans qui parlent de choses qui me touchent (comme le sort des tribus indiennes en Amérique).

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    1. Je ne l'ai pas perçu que comme un roman sur le deuil. C'est la place de celle qui est à côté de celui qui souffre de violence au travail qui m'a paru très justement décrite et qui m'a touchée

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    2. Oui, c'est vrai Joëlle que cette place-là est très difficile à cerner, tant la personne en souffrance se trouve souvent dans une forme de déni et/ou peut parfois dans un dernier réflexe de préservation de ses proches éviter de partager ce qu'elle endure (et qui est d'ailleurs très difficile à faire comprendre à l'extérieur tant les agissements sont insidieux).

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    3. Oui Joëlle je suis d'accord, c'est certainement ce pan là qui suscite réellement l'empathie envers le personnage d'Aliénor. Et effectivement, Delphine, en fonction de son vécu chacun va recevoir le livre avec plus ou moins de proximité. Personnellement j'ai été sensible à la détresse d'Aliénor face à la situation. Je n'ai pas lu la 4ème de couv (lu en numérique) donc je n'ai pas été influencée par ce thème de la violence au travail.

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  5. J'aime ces différences de ressentis et de point de vue sur un même livre, c'est tout ce qui fait la richesse de la lecture (et des lectrices pour le coup^^).

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  6. C'est un sujet qui est malheureusement d'actualité. Et peut-être, finalement, vendeur....
    Bonne année !

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    1. Vendeur, je ne suis pas sûre... Je ne pense pas en tout cas que Gaëlle Pingault ait voulu ici faire un coup. Mais c'est malheureusement un sujet de société, un mal très répandu et, à ce titre, il n'est pas surprenant que des écrivains s'en emparent...

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