lundi 31 décembre 2018

Je lis donc je suis 2018


Une nouvelle année vient de s'écouler, une nouvelle année faite de lectures. Quel portrait de moi celles-ci dessinent-elles ?
La réponse rituelle en 16 titres


Décris-toi…

Comment te sens-tu ?

Décris où tu vis actuellement…

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ? 

Ton moyen de transport préféré ?

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est…

Toi et tes amis vous êtes…

Comment est le temps ?

Quel est ton moment préféré de la journée ?

Qu’est la vie pour toi ?

Ta peur ?

Quel est le conseil que tu as à donner ?

La pensée du jour…

Comment aimerais-tu mourir ?

Les conditions actuelles de ton âme ?

Ton rêve ?


Et de votre côté, à quoi avez-vous ressemblé en 2018 ?

mercredi 19 décembre 2018

Magma Tunis & Le sillon


Le sillon

Valérie Manteau

Le Tripode, 2018


Magma Tunis

Aymen Gharbi

Asphalte, 2018




Il faut croire que j’ai ces temps-ci des envies d’ailleurs : je viens de lire coup sur coup deux romans prenant le pouls d’une ville et s’attachant à en dessiner le visage. De Tunis à Istambul, j’ai donc effectué un voyage qui m’a emmenée de l’autre côté des rives de la Méditerranée.

Tunis est pour moi une ville chargée de souvenirs. Flous, lointains, ils ont la saveur particulière de ce qui se rattache à l’enfance et à cette période de la vie faite d’insouciance et pourtant constitutive de ce que nous sommes.
De Tunis, je ne garde réellement que l’image des souks, comme si elle ne se réduisait pour moi qu’à ce vaste marché. La description parfois précise des rues, des commerces, des habitants qu’en fait Aymen Gharbi est donc restée chez moi sans écho. D’autant que la ville a évidemment profondément changé depuis mon dernier séjour, dans les années 1980...
J’ai néanmoins aimé les passages où l’auteur en restitue les couleurs et l’atmosphère avec, m’a-t-il semblé, une certaine pertinence, s’attachant à en faire connaître des quartiers ou des bâtiments précis, comme le fort de l’îlot de Chikli. 
J’ai en revanche été moins convaincue par l’intrigue et par les personnages, auxquels je ne me suis pas vraiment attachée. Mais les romans mettant en scène cette ville sont suffisamment rares pour que le lecteur qui a envie de la découvrir par ce moyen puisse se laisser tenter.

Quant à Istambul, je n’y suis jamais allée. Mais, bien entendu, cette ville mythique par sa situation géographique, son histoire et, d’après ce que j’en sais, sa beauté, en fait un espace littéraire privilégié. Pour autant, je crois que Le sillon m’a offert ma première occasion de faire connaissance avec elle. 
Le lecteur est invité à accompagner la narratrice dans ses déambulations. Venue rejoindre son amant, elle occupe son temps entre cours de yoga, écriture et moments partagés avec des amis. Rien de vraiment consistant, laissant place aux errances mentales, aux questionnements qui la gagnent à mesure que le climat politique s’alourdit entre attentats et procès d’opposants politiques.
Ce récit restitue lui aussi parfaitement l’atmosphère, délétère, que connaît le pays, le poids  d’un régime qui prive de plus en plus ouvertement son peuple de liberté. De ce point de vue, le livre de Valérie Manteau est assez réussi, d’autant qu’elle nous dévoile l’histoire de Hrant Dink, un journaliste ayant oeuvré pour la reconnaissance du génocide arménien qui a payé cet engagement de sa vie et qui est ici tout à fait méconnu.
Mais là encore, je suis hélas restée un peu à distance du texte, peut-être en raison du caractère un peu évanescent de l’héroïne ?

Peut-être aussi ma difficulté à entrer dans ces univers et dans ces lieux tient-elle au fait que mon imaginaire serait plutôt enclin à m’entraîner vers d’autres horizons, davantage du côté de l’Amérique latine ou de l’Inde...
Quoi qu’il en soit, pour qui voudrait s’approcher de ces deux cités, ces livres, encore une fois, ne manquent pas d’intérêt.
Et j’aimerais aussi souligner la qualité de ces ouvrages, auxquels leurs éditeurs, Le Tripode et Asphalte, ont apporté un soin particulier, avec de très belles couvertures, une élégante mise en page et, pour le second, des ajouts iconographiques bienvenus. Et vous le savez aussi bien que moi, l’objet que nous tenons entre nos mains n’est pas pour rien dans le plaisir de la lecture...

samedi 8 décembre 2018

Sélection Noël 2018


Vous n'avez pas encore rempli votre hotte ?
Comme moi, votre cadeau préféré (tant à offrir qu'à recevoir) reste le livre ?
Voici quelques suggestions de romans qui ont fait mon bonheur au cours de ces derniers mois.





Les exilés meurent aussi d'amour Abnousse Shalmani, Grasset
Si vous n'avez pas encore compris en quelle estime je tiens cette talentueuse jeune femme et combien ses livres me semblent lumineux, enthousiasmants et riches, je ne peux plus rien pour vous :-D


Tenir jusqu'à l'aube Carole Fives, L'arbalète Gallimard
Une femme élève seule son petit garçon de 2 ans et se heurte à de contradictoires exigences l'enjoignant à être une professionnelle performante, une mère attentive et une femme accomplie. Ce texte servi par une écriture percutante pose un regard d'une grande acuité sur notre société.

Par les écrans du monde Fanny Taillandier, Le Seuil
Les images, leur pouvoir, ce qu’elles disent, ce qu’on leur fait dire, la manière dont elles nous construisent, individuellement autant que collectivement, l’interprétation qui en est faite, leur interaction avec le réel, dont elles sont bien plus, voire bien autre chose que le reflet... ce roman offre une réflexion passionnante et pertinente sur notre perception du monde et notre rapport à l'information.

Lèvres de pierre Nancy Huston, Actes Sud
En écho à l'histoire intime d'un tyran qui extermina son peuple, Nancy Huston évoque sa propre histoire et la construction de son identité. 
Un livre surprenant, d'une force et d'une maîtrise narrative absolument incroyables, qui n'hésite pas à bousculer son lecteur.

Le discours Fabrice Caro, Sygne Gallimard
Parce que rire un bon coup fait du bien et que c'est très rare en littérature, ce roman est le livre à côté duquel il ne faut pas passer !



... Et si vous voulez offrir un livre à un enfant, je ne saurais trop vous recommander Les contes du Réveil Matin. Ecrit par Michel Bussi, il est illustré par Eric Puybaret. Du premier, je ne connaissais pas la plume que j'ai découverte à cette occasion. Le second, par la poésie et la grâce de ses dessins, a enchanté les moments de lecture partagés quotidiennement avec chacun de mes fils lorsqu'ils étaient petits. Un livre a lire comme un grand ou a partager avec ses parents, comme nous l'avons fait avec mon petit Sombrero...



Et pour d'autres idées, mes précédentes sélections ne connaissent évidemment aucune date de péremption !


Je vous souhaite à tous de très belles fêtes... 
et de bonnes lectures 




jeudi 6 décembre 2018

Le dernier bain


Gwenaële Robert

Robert Laffont, 2018




Eh bien ! Ça ne m’arrive pas souvent, mais je ne sais que penser du livre que je viens de terminer.  Si tout se passe bien, j’y verrai plus clair au terme de ce billet...

A travers le célèbre tableau qu’en a peint David, Gwenaële Robert s’attaque à l’une des figures de la Révolution française, Marat. Comme tout le monde, je sais qu’il était appelé l’Ami du peuple, qu’il réclamait inlassablement des têtes, qu’il était atteint d’une maladie de peau très aiguë et qu’il fut assassiné dans son bain par une certaine Charlotte Corday... Pas grand chose, en somme. La lecture d’un roman ne pouvait que m’aider à mieux connaître ce personnage définitivement associé à la Terreur.

Disons tout d’abord que ce texte est extrêmement bien écrit. Le style est vif, précis, l’auteure restitue avec une très belle force d’évocation le Paris révolutionnaire, quand la défiance le disputait à l’espérance, tandis que la délation régnait en maître.
Quant aux principaux protagonistes, ils sont parfaitement campés. Tant Marat que David, Marie-Antoinette que Charlotte Corday et les personnages fictifs qui les entourent, tous prennent vie avec une incroyable efficacité.

Par ailleurs, l’objet de cette (excellente) collection qu’est «Les passe-murailles» est de nous faire entrer, à travers la fiction, dans une oeuvre littéraire ou picturale, dans l’univers d’un artiste. Or Gwenaële Aubry excelle à mettre en lumière l’intention qui a guidé David rendant un hommage à son ami Marat. Elle démontre parfaitement la nature hagiographique du tableau. Elle en décrypte le moindre détail pour nous permettre d’en comprendre la portée et le sens. Et c’est tout à fait passionnant.

Alors, me direz-vous, d'où vient la frilosité que j'ai manifestée en préambule de cette chronique ?

C’est que, tout au long de ma lecture, j'ai buté sur la façon d'appréhender le sujet. Marat et plus encore la reine y sont vus comme des individus ordinaires. On les prend dans les dernières heures de leur existence, avant qu'ils soient assassiné pour l'un et exécutée pour l'autre. Nous sommes projetés dans ce Paris révolutionnaire et nous sommes pris à témoin de la brutalité, de la sauvagerie qui avait gagné la population. On ne peut qu'être ému du sort réservé au Dauphin séparé de sa mère éplorée. On ne peut qu'être révolté par l'intransigeance de Marat qui envoyait les gens à la guillotine à tour de bras, et ce sur la foi des simples dénonciations qui lui parvenaient sans discontinuer.
Loin de moi l'idée de justifier les excès, les crimes, la barbarie. Mais je crois que l'Histoire - et plus particulièrement la Révolution française, sur laquelle se fondent les valeurs de notre république - ne peut s'appréhender ainsi. On ne peut donner vie à un acteur ou rendre compte d'un moment historique sans les inscrire dans le champ plus large dont ils ressortent pour jouer uniquement sur  le registre de l'émotion.
Alors on me rétorquera qu’il s’agit de fiction. Certes. Mais une fiction qui donne lieu à une lecture particulière des événements.

Bon, finalement - et ça aussi c'est très rare - je ne suis pas beaucoup plus avancée à la fin de ma chronique...
Ce livre reste une illustration de la manière dont l'Histoire peut devenir matière littéraire, ce qui est une question que je trouve passionnante et que posent de nombreux écrivains, de Laurent Binet à Eric Vuillard, en passant par Olivier Guez ou Javier Cercas, et à laquelle ils apportent des réponses extrêmement diverses et riches. De quoi alimenter le débat !
Et vous, qu’en pensez-vous ?

dimanche 25 novembre 2018

Le monarque des ombres


Javier Cercas

Actes Sud, 2018


Traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon



Ecrire ou ne pas écrire l’histoire de son grand-oncle maternel Manuel Mena, phalangiste convaincu, mort en 1938 sur le front de la guerre civile alors qu’il s’était enrôlé pour défendre des valeurs d’ordre et de grandeur nationale. C’est la question que se pose Javier Cercas dès les premières lignes de son livre. Naturellement, au vu de l’ouvrage que le lecteur tient entre ses mains, il ne laisse guère place au suspense. Mais la véritable question, en rien surprenante lorsqu’on connaît l’auteur, n’est pas tant de savoir s’il faut l’écrire, mais comment l’écrire ? De quel point de vue se placer ? Faut-il faire oeuvre de fiction ou d’historien ?
Ces interrogations étaient déjà au coeur des précédents ouvrages de l’auteur, qui poursuit  ainsi un travail entamé de longue date, une réflexion sur l’écriture et les rapports qu’entretiennent fiction et réalité. Dans L’imposteur, la matière même de son livre se confondait avec ces préoccupations, puisque le héros en était un homme qui avait lui-même fondé sa vie et son parcours sur une fiction. 

Cette fois, l’auteur fait face à une difficulté singulière, puisqu’il a décidé de relater l’existence d’un membre de sa propre famille, d’enquêter sur ses racines, sur tout un village, sur un homme et une communauté qui constituent une figure paradigmatique de l’histoire récente du peuple espagnol, et d’assumer un héritage qui, de son propre aveu, le fait rougir de honte. Plus difficile encore est de faire la part entre la légende familiale et la vérité historique, l’obligeant à mener un véritable travail de journaliste, recueillant les témoignages et analysant les documents officiels.
A cette fin, il opère un dédoublement de personnalité et ne se prive pas de citer les paroles ou les articles de Javier Cercas comme s’il s’agissait d’une tierce personne, allant  jusqu’à mentionner, de manière assez ironique, son penchant pour le romanesque, sa «prédilection incurable de littérateur pour la légende approximative face à l’histoire certaine». 

L’auteur interroge les témoins encore vivants, mais leur mémoire est-elle fiable ? Et les documents administratifs, dans cette période plus que trouble de la guerre civile, ne sont pas eux-mêmes exempts d’erreurs. C’est alors que le romancier peut intervenir, pour «colmater avec la fiction» les trous laissés par la réalité historique...
Mais Cercas s’en défend. Celui qui cherche à comprendre comment la population a pu se scinder en deux partis opposés au point de s’affronter armes à la main - et il donne dans ce livre des éclairages tout à fait instructifs pour le néophyte - voudrait avoir accès aux motivations de ce grand-oncle engagé à l’âge de 19 ans. Il voudrait savoir ce qu’il a ressenti lorsqu’il était sur le front. D’autant que les témoignages qu’il reçoit lui donnent toutes les raisons de croire que Manuel Mena avait fini par penser qu’il avait fait erreur et qu’il donnait sa vie pour des intérêts qui n’étaient pas les siens, alimentant ainsi la propre vision que l’auteur a des événements.
Cercas ne pouvant rien affirmer, il use à l’envi d’une figure de style lui permettant de raconter ce qu'il lui est interdit d’imaginer et de le présenter comme vrai, ou du moins comme plausible, en expliquant en quoi il n’est pas habilité à le faire.  

Tout en interrogeant sa position et son statut d’écrivain, et en apparaissant comme un protagoniste de son propre roman - puisque ce livre est présenté comme tel - Javier Cercas offre une illustration de sa conception de la littérature. C’est elle qui donne une véritable existence aux hommes et aux histoires, qui n’existent que dès lors que quelqu’un décide de les raconter et de les écrire, opérant ainsi une forme de synthèse  entre «l’âpre vérité des faits» et celle qui se transmet de génération en génération, qu’elle dépasse pour donner une «vérité plus complète que les deux autres prises séparément».
Dès lors, Cercas ne pouvait se contenter de raconter une histoire ; il devait raconter aussi l’histoire de l'histoire, expliquer comment il en était venu à produire le texte que nous avons sous les yeux. Un exercice de haute voltige, mené avec intelligence, qui permet  à la fois d’envisager les conditions de la création littéraire et de mieux comprendre un épisode récent de l’histoire de l’Espagne. Un texte en tout point passionnant




dimanche 18 novembre 2018

Un autre regard sur l’exil



Je m’étais promis de réitérer cette formule qui permet de reparler de livres que j’ai aimés  dans un format différent, de les placer dans une autre perspective, un peu plus large.

Aujourd’hui, je vous propose quelques romans en lien avec la question de l’exil, préoccupation actuelle majeure. La littérature est toujours pour moi le moyen privilégié et premier d’envisager, de scruter et de comprendre le monde qui m’entoure. Sur cette question particulière de l’exil, il me semble que la littérature apporte un regard humain et une profondeur de champ qui manquent bien trop souvent lorsqu’on l’évoque.
Ce billet ne vise évidemment pas l’exhaustivité : il s’agit d’une sélection toute personnelle, un choix de textes qui m’ont particulièrement touchée et que j’espère vous donner envie de lire... si ce n’est déjà fait!




Gaëlle Josse
Notabilia, 2014 (Disponible chez J'ai Lu)


Quel meilleur symbole qu’Elis Island pour ouvrir cette chronique ? Ce petit bout de terre fut le passage obligé de tant d’hommes et de femmes de tous âges, de toutes origines qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, affluèrent massivement vers la terre promise que constituaient les Etats-Unis.
A travers le témoignage fictif du dernier gardien d’Ellis Island, Gaëlle Josse rappelle avec une élégante sobriété combien douloureux peut être le parcours de ces déracinés et que c’est bien souvent le désespoir et la douleur qui conduisent les individus à quitter leur monde pour aller vers l’inconnu.




Yasmine Ghata
Robert Laffont, 2016

C’est souvent la guerre qui pousse des hommes, des femmes, des enfants à fuir leur pays dans des conditions totalement précaires, à braver de terribles dangers pour tenter de trouver refuge dans un pays dont ils ne connaissent souvent absolument rien.
Le jeune héros de ce roman, Arsène, est orphelin. C’est sa grand-mère, trop vieille pour espérer supporter les conditions d’un voyage à l’issue incertaine, qui le pousse, avec pour seul viatique une valise, à quitter le Rwanda, ravagé par la guerre civile.
En France, Arsène est adopté par un couple qui l’élève comme son fils. Malgré les soins, l’attention et la tendresse qu’il reçoit, les souvenirs et les cicatrices sont bien là. Pour mettre des mots sur la douleur et surmonter les traumatismes, il faudra éviter la confrontation brutale et user de patience... 
Un récit d’une grande délicatesse. 



Les échoués
Pascal Manoukian
Don Quichotte, 2015 (Disponible en Points Seuil)

Les migrants. Difficile d’échapper à ce mot tant il est au coeur de notre actualité. Pascal Manoukian a choisi d’appeler ces personnes des échoués afin de mieux traduire la réalité de ce qu’ils sont et de ce qu’ils endurent. 
Ancien grand reporter, il a côtoyé ces situations dramatiques qui poussent tant d’individus à s’arracher à leur pays. Il leur a consacré un récit déchirant mettant en scène trois hommes, un Bengladais, un Somalien et un Moldave, dont on suit le parcours depuis leur décision de tout quitter à leur arrivée en région parisienne. 
Au-delà des terribles situations personnelles qu’il dépeint, Manoukian pointe l’exploitation qui est faite de la misère, y compris par ceux qui prétendent dénoncer la présence de ces migrants.
C’est un roman certes très noir et sans concession, mais empreint d’une humanité qui permet néanmoins d’apercevoir une lueur d’espoir.

A découvrir également, mon entretien avec l'auteur




Laura Alcoba
Gallimard, 2013 (Disponible en Folio)

Ce roman est le deuxième volume d’une trilogie dont les composantes peuvent néanmoins se lire indépendamment les unes des autres.
Dans le premier, Manèges, Laura Alcoba relatait à travers les yeux d’une fillette la vie de clandestinité de ses parents opposants à la dictature argentine. Le bleu des abeilles évoque l’arrivée en France de l’enfant avec sa mère, tandis que son père est resté emprisonné dans une geôle de leur pays. Laura Alcoba raconte ce qu’est l’arrivée dans un nouveau pays, dont il faut tout apprendre, au premier chef la langue.
L’auteure nous propose un récit tendre et sincère, jamais pesant, parfois drôle, qui rend parfaitement compte de ce que peuvent représenter l’appropriation d’une nouvelle culture et l’apprentissage de nouvelles références et de nouvelles habitudes dans tous les domaines de la vie.

A découvrir également, mon entretien avec l'auteure





Maryam Madjidi
Le Nouvel Attila, 2017 (Disponible chez J'ai Lu)

Premier roman d’une jeune femme française d’origine iranienne, Marx et la poupée est un texte plein de verve, à la fois tendre et incisif qui, par une juxtaposition de souvenirs, d’anecdotes et de témoignages, offre un éclairage subtil sur le rapport ambivalent qu’un individu contraint de quitter son pays entretient avec ses racines et sa culture d’accueil, l’écartèlement entre un monde resté derrière lui et celui au sein duquel il essaie de se faire une place. 


Abnousse Shalmani
Grasset, 2018

A travers le regard d’une fillette de 8 ans, Abnousse Shalmani évoque l’arrivée en France d’une famille iranienne ayant fuit son pays après la révolution islamique. 
Dans un récit à son image, débordant d’une belle énergie et empreint d’une réjouissante liberté de ton, elle réinvente la forme romanesque en la métissant avec celle du conte oriental, tandis que ses personnages hauts en couleur redéfinissent la figure de l’exilé, façonnée par une multitude de fragments auxquels il faut donner une cohérence pour trouver un équilibre.
Un roman flamboyant !

A découvrir également, mon entretien avec l'auteure


Et pour rencontrer Abnousse Shalmani, rendez-vous mercredi 28 novembre à la librairie Le Divan, où j'aurai la joie de la recevoir 









samedi 10 novembre 2018

Falco


Arturo Perez-Reverte

Le Seuil, 2018


Traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli


Perez-Reverte est un de mes auteurs de prédilection. D’abord parce qu’il a écrit naguère un roman que j’avais adoré, Le tableau du maître flamand, ensuite parce que c’est un amoureux de Dumas, qui lui avait d’ailleurs inspiré un livre que j’avais également apprécié, enfin parce qu’il est espagnol, et peut-être surtout parce que ça commence à faire un bail que je le lis et qu’il m’accompagne !
Pourtant, tel un vieil ami, je l’ai parfois perdu de vue. Il faut dire qu’il lui est arrivé de sérieusement m’agacer avec certains livres que j’ai trouvés complètement ratés. Mais il n’empêche, comme une vieille amie, je finis toujours par revenir vers lui...

Cette fois, les retrouvailles ont été un peu poussives. Peut-être parce qu’il s’agissait d’un roman de genre. Un peu l’ambiance série B, avec un héros ténébreux, insaisissable, totalement dénué de scrupules, le type de macho qui met une femme dans son lit comme il s’envoie un verre au comptoir... vous voyez ? Pas exactement ma tasse de thé. Mais enfin il suffit de jeter un oeil sur la couverture pour s’apercevoir que l’éditeur ne m’avait  pas prise en traître !
D’un autre côté, on était dans le cadre de la guerre d’Espagne, et là, j’étais nettement plus dans mon élément, tant cette période m’intéresse!

Alors, je ne dirais pas que j’ai appris beaucoup de choses en lisant ce roman, mais il est vrai que Perez-Reverte montre parfaitement combien les militaires étaient loin de former un front uni - pas plus que les Républicains, d’ailleurs, mais ce ne sont pas eux qui sont au coeur de ce roman - les différentes factions voulant évidemment avoir le dessus afin de prendre la tête du pouvoir le moment venu.
Et puis, il faut le reconnaître, l’écrivain a du métier et certaines scènes font  plus que frémir. Non pas tant par ce qu’elles décrivent, d’ailleurs, que par la dimension psychologique que Perez-Reverte n’hésite pas au contraire à creuser. Bref, j’ai finalement fini par y entrer, et même par bien y entrer dans ce roman, et il n’est pas dit que je ne lirai pas la suite lorsqu’elle paraîtra, puisqu’il s’agit du premier volume d’une série au héros récurrent... 
A bientôt, l’ami !

dimanche 4 novembre 2018

Le bûcher


György Dragoman

Gallimard, 2018


Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly


Nous ne savons pas ce qu’est un régime autoritaire. Je veux dire, nous n’avons jamais connu le règne de l’arbitraire le plus pur, de la peur omniprésente, de la défiance de tous, y compris de ses proches. Nous ignorons ce que c’est que de craindre jusqu’à nos propres pensées. Qui ne l’a pas vécu ignore à quel point un individu peut abdiquer sa raison lorsque l’irrationnel domine.  
Pourtant, lorsqu’une autre réalité se met en place, lorsque les vérités scientifiques n’ont plus cours, lorsqu’on vous demande de ne pas croire ce dont vous avez été témoin, la vie devient aussi insaisissable et mouvante qu’une poignée de sable qui s’écoulerait entre vos doigts.

György Dragoman, auteur hongrois né en Transylvanie, en a fait l’expérience. Pour entrer dans son livre, vous devrez renoncer à vos repères, accepter de pousser la porte d’un monde qui vous échappe. Vous aurez envie de refermer ces pages, tant vous vous sentirez désorienté. Vous ressentirez sans doute une impression d’isolement, d’incommunicabilité, vous serez frappé parfois par l’absurdité de certaines situations et chercherez comme l'héroïne le sens de certaines scènes. 
Cependant, quelque chose vous poussera peut-être à rester auprès d’Emma, cette toute jeune fille que sa grand-mère est venue chercher à l’orphelinat après la mort du tyran qui tenait le pays d’une main de fer. Dragoman ne nous précise pas vraiment où se situe son récit. Sans doute en Roumanie après la mort de Ceaucescu, mais ce pourrait être dans n’importe quel pays ayant connu un semblable joug. 
Par la nature même de son texte, Dragoman nous fait toucher du doigt ce qui est impalpable et ce dont aucun essai historique ne saurait rendre compte : ce sentiment terrifiant, infiniment angoissant de perte de tout repère et de désespérante solitude. Il nous communique littéralement cette peur de s’exprimer, cette incapacité à comprendre et appréhender le monde qui nous entoure. 

Il nous révèle aussi combien les conséquences d’un tel régime perdurent au-delà de sa fin : les rancoeurs, les dénonciations, les revanches, la justice expéditive, l’impossible oubli, la difficulté à reconstruire quelque chose sur les décombres d'une société qui a été anéantie... 

Alors c’est vrai, je me suis un peu accrochée pour entrer dans ce roman. Pourtant, quelque chose me fascinait et me retenait de le reposer. Ce livre m’a ramenée vers de précédentes lectures, en particulier Le musée des rêves, de Miguel A. Seman. Celui-ci se situe en Argentine, mais toutes les dictatures se ressemblent, et l’auteur y plonge son lecteur dans le même abîme de perplexité pour mieux lui faire ressentir ce sentiment d’impuissance et de profonde angoisse qui s’empare alors des individus, ce moment où le réel n’a plus de sens, où les frontières avec le rêve, la magie, se brouillent et où l’irrationnel prend le dessus.
D'autres romanciers se sont essayés à retranscrire ce qui s'apparente à une véritable annihilation de ce qui fait l'essence d'un être social. Parvenir à cela est un véritable tour de force que seule, peut-être, la littérature est capable d’accomplir. Et c'est bien ça, aussi, qui la rend passionnante.  


Une lecture faite en commun avec ma chère Nicole 



samedi 27 octobre 2018

Leurs enfants après eux


Nicolas Mathieu

Actes Sud, 2018

Prix Goncourt 2018


Voici un livre qui suscite un certain engouement et qui se retrouve dans les sélections de quelques prix littéraires, parmi lesquels le plus prestigieux d’entre eux, le Goncourt. Roman à coloration sociale, dont l’action se situe dans la France des années 90, il possédait d’évidents atouts pour m’intéresser.
Intéressée, je l’ai été. Séduite, je n’irais peut-être pas jusque-là. 

Découpé en trois parties correspondant à trois périodes de la décennie, d’août 1992 à la coupe du Monde de football de 1998, le roman relate la vie d’adolescents dans l’est du pays, là où les hauts-fourneaux ont cessé toute activité, où les zones pavillonnaires côtoient les citées bétonnées, où les perspectives d’avenir se réduisent comme peau de chagrin.

Lorsque s’ouvre le roman, les héros ont de 14 à 16 ans. C’est l’été, les jeunes gens traînent leur désoeuvrement des bords d’un lac aux soirées organisées ça et là. On fume des pétards, on boit des bières, on s’observe... On commence à ressentir du désir, on se sent maladroit, on se pose d’innombrables questions... Pas encore sur son avenir, mais plutôt sur la manière d’embrasser, sur ce qu’on va faire le lendemain ou encore sur le moyen d’échapper aux remontrances des parents. Des préoccupations classiques d’ado, en somme. Ce pourrait être léger et pourtant ça ne l’est pas. On sent d’emblée un poids, une chape, une ambiance un peu poisseuse qu’accentue la canicule qui s’abat alors sur la région... 

Nicolas Mathieu a choisi d’opérer des ellipses temporelles au sein de son récit. Lorsqu’on retrouve les protagonistes, deux années se sont écoulées, que l’on devine à la fois exemptes d’événements saillants, mais pourtant lourdes d’une inertie qui entraîne malgré soi vers une morne existence. Déjà, ces ados se fanent, se voient ressembler bientôt à leurs parents, sans véritable issue pour y échapper.

Deux ans plus tard encore, malgré l’exaltation que suscitent les victoires des Bleus, l’horizon s’est définitivement refermé. Tout est joué, plié. Ils n’ont pas 20 ans et sont pris dans les même rets que leurs aînés. Ils ont à leur tour un crédit, un maigre salaire... et des enfants qui reproduiront sans doute la même histoire.

Nicolas Mathieu offre une vision assez crue de cette jeunesse sans perspectives qui a succédé aux générations des Trente Glorieuses, une vision réaliste et sans excès de dramatisation, ce qui en fait toute la valeur. Pourtant, de là viennent peut-être mes réserves. Jamais je n’ai ressenti d’empathie, ou ne serait-ce qu’un peu d’attachement pour les personnages. Je suis pour ma part restée à distance de ce texte d’un bout à l’autre de ma lecture. Mais était-il possible d’en être autrement avec un tel sujet, aussi peu épique que possible ? Pour avoir lu d’autres récits de la même veine, il me semble que oui...

Il n’en reste pas moins que ce roman digne d’intérêt me paraît être un excellent candidat pour le Goncourt : un sujet bien ancré dans nos préoccupations actuelles, un style tout à fait honnête sans être révolutionnaire, une pagination généreuse mais pas au point d’en devenir effrayante... Rappelons tout de même que l’éditeur a déjà raflé la mise l’an dernier, ce qui pourrait jouer en sa défaveur. Réponse dans quelques jours !


dimanche 21 octobre 2018

Le discours

Fabrice Caro

Gallimard, collection Sygne, 2018



17h56. Sonia vient enfin de lire le SMS qu'Adrien lui a envoyé 32 minutes plus tôt.

Coucou Sonia, j’espère que tu vas bien, bisous !

Tandis que sa mère et sa sœur Sophie s’affairent dans la cuisine à la préparation d’un dîner familial, Adrien, tout juste 40 ans, scrute fébrilement son téléphone dans l’attente d’une réponse. Après plusieurs semaines, il a craqué : il a rompu le silence qu'il s'était imposé après que Sonia lui avait déclaré avoir besoin d'une pause. 

Mais pourquoi ne lui répond-elle pas ? Et puis, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Est-ce qu’on quitte la table en plein milieu d’un repas sous le prétexte d’avoir besoin d’une pause ? Qu’a-t-il bien pu faire de particulièrement pausifère ?
Les questions se bousculent. D’autant que c’est précisément le moment que Ludo, le compagnon de Sophie, choisit pour lui demander de prononcer un discours pour leur mariage. Un discours ? Il ne manquait plus que ça ! Il ne voit vraiment pas ce qu’il pourrait dire de cette sœur qui lui offre inlassablement chaque année à Noël une encyclopédie... 

Vous l’aurez compris, s’il part d’une situation plutôt dramatique, ce livre prend clairement le parti de l’humour. Et à en juger par le nombre de fois où j’ai éclaté de rire à sa lecture, Fabrice Claro le manie avec un talent certain !

Derrière cette posture se cache pourtant un malaise plus profond qu’il y paraît. L’envoi d’un simple message va cristalliser les doutes, les questionnements et les angoisses d’Adrien, en devenant le point de tension où viennent s’échouer ses échecs, ses frustrations et ses désirs.  

Adrien exprime sa difficulté à être au monde, à se délester du poids des conventions et des artifices que nous impose la vie en société pour être soi. Il sonde le vide existentiel que revêt parfois la vie et qu’il mesure à l’aune d’une échelle de Richter de l’absurdité.

Le texte est vif, alerte, parfaitement construit. Entre le début et la fin de ce roman, il ne s’écoule guère plus de trois ou quatre heures. D’un court chapitre à l’autre, les observations d’Adrien et les paroles échangées par les personnages se répondent et ressurgissent pour produire des effets de décalage hilarants, nous rendant le principal protagoniste toujours plus attachant.

J’étais curieuse de découvrir cette nouvelle collection, Sygne, qui nous promet d’apporter des «voix neuves» et «une façon inédite et captivante de voir le monde». Lancement réussi avec ce singulier récit de Fabrice Caro !