dimanche 14 octobre 2018

En guerre



François Bégaudeau

Verticales, 2018



Curieusement, je n’avais encore jamais lu Bégaudeau. De ces auteurs se frottant à la société afin de mettre en lumière ses mécanismes sous-jacents, il ne pouvait pourtant que susciter mon intérêt. Après l’avoir (trop) brièvement entendu au récent salon Fnac livre et dans la perspective de son prochain passage dans l’une de mes librairies préférées, il n’était que temps de le découvrir...

Louisa et Romain habitent la même ville. Peu de chances, cependant, qu’ils se rencontrent, et moins encore qu’ils se fréquentent. D’entrepôts Amazon en centres d’appels, de chaînes de fastfood en chaînes de montage, Louisa, fille de femme de ménage - d’agent d’entretien, dirait-on plus volontiers aujourd’hui - enchaîne CDD et missions d’Intérim, tandis que l’homme qui partage sa vie se retrouve sur le carreau après la fermeture de l’usine qui l’employait. 
Romain, ancien élève de lettres sup, travaille quant à lui sur un projet de «décloisonnement» de la culture au sein d’une collectivité territoriale. Deux mondes, donc, deux personnages aux formes de sociabilité, aux pratiques culturelles et jusqu’au langage diamétralement opposés. A la faveur d’un accident de parcours, Bégaudeau va pourtant les mettre en contact.

Vous vous en doutez, on ne vas pas assister à une romance sur le motif de l’amour triomphant de tous les obstacles et de toutes les vicissitudes : Begaudeau n’a pas cédé à la mode des feel good books ! Il observe au contraire avec acuité tout ce qui, dans la relation intime de ses deux personnages, se dresse constamment entre eux, depuis leurs systèmes de valeurs respectifs jusqu’aux plus petits détails de la vie quotidienne, ceux-ci n’étant que le reflet de ceux-là. Le cadre social dans lequel ils évoluent n’est pas un arrière-plan servant de décor. C’est au contraire ce qui détermine leurs choix, leurs actes, leur psychologie. Et Bégaudeau ne se prive pas d’appuyer là où ça fait mal.

Le trait pourrait d’ailleurs paraître un peu forcé, n’était l’humour - certes acide - que recèle ce texte. Tous les personnages, y compris secondaires, sont enfermés dans des schémas qu’ils s’attachent soigneusement à légitimer et à perpétuer à travers des discours dont l’absurdité donne parfois le vertige. Ainsi de cette DRH en charge de la liquidation d’une usine - et donc de ses salariés - qui «n’impose jamais (mais) obtient le consentement», conformément aux préceptes fondateurs du «management motivationnel», «l’art (étant) d’amener le collaborateur à comprendre ce qu’il ignore qu’il veut», entendez : quitter l’entreprise (comme) sa baisse de rendement le crie... 
Cet habillage linguistique dont on revêt aujourd’hui tout ce qui nous semble trop trivial et qui donne aux plus grandes violences faites aux individus les apparences de la bienveillance est admirablement mis en évidence, et c’est sans doute l’un des aspects les plus convaincants de ce roman, que j’ai trouvé vraiment intéressant et que j’ai vraiment apprécié de lire, notamment pour le côté incisif de son écriture. Est-ce sa fin quelque peu surprenante, ce livre me laisse néanmoins un sentiment étrange que je ne parviens pas encore à définir. J’attends donc avec la plus vive impatience d’entendre l’auteur, à l’occasion d’une rencontre qui s’annonce tout à fait passionnante !




8 commentaires:

  1. Pourquoi pas, pour le thème du roman, et le "sentiment étrange" mais pas mitigé qu'il t'a laissé.

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    1. En tout cas, c'est vraiment un roman qui amène à poser un autre regard sur ce qui nous environne, ou à nous y attarder. C'est aussi, compte tenu du parti pris de l'auteur, un livre qui invite à l'échange et je ne doute pas qu'il y aura des avis très divergents, voire très tranchés dessus. D'où l'intérêt de la rencontre...

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  2. Je n'ai toujours pas lu l'auteur moi non plus. Un livre que je pourrai emprunter à la bibliothèque si je le vois, même si je me méfie un peu du thème, souvent traité de manière caricaturale.

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    1. C'était un peu ma crainte aussi. Et je ne dis pas que Bégaudeau n'épaissit jamais le trait. Mais il n'en reste pas moins que sur le fond tout cela me semble assez juste. Et, surtout, il y a une forme d'humour qui m'a permis de ne jamais être irritée. Il vaut en tout cas le coup d'être lu.

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  3. Thématique intéressante mais comme évoqués dans les commentaires précédents, je crains un peu les gros clichés et peut-être aussi le côté trop "français" pour une lectrice suisse. Pas sûre de saisir toutes les nuances. A voir donc.

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    1. Evidemment, on est dans le contexte d'une ville et de la société françaises. Mais je crois qu'il y a des choses - sur les méthodes de management, le fonctionnement de l'économie de marché, etc - qui excèdent largement le cadre de notre Hexagone...

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  4. Tiens, tu l'as lu finalement ? Je ne suis pas trop tentée. Ceci dit, la discussion du forum fnac n'a pas été très éclairante non plus donc je n'en suis pas partie avec plus d'envie.

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    1. Voyant que Begaudeau allait passer à l'Arbre à Lettres, je l'ai intercalé dans mes lectures. Le problème avec le format des rencontres du forum Fnac, c'est que c'est beaucoup trop court : 25-30 minutes avec deux auteurs, c'est hyper frustrant. Bégaudeau a dit des choses que j'ai trouvées intéressantes - même si je n'étais pas d'accord avec tout - et qui méritaient vraiment d'aller plus loin...

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