samedi 30 août 2014


La Capitana

Elsa Osorio

Métailié, 2012


Traduit de l'espagnol (Argentine) par François Gaudry



Le portrait fort documenté d'une femme à la personnalité hors du commun, engagée dans la guerre d'Espagne. 

J’attendais beaucoup de ce livre écrit par un auteur dont j’avais littéralement adoré Un précédent roman, Luz où le temps sauvage. A nouveau, il s’agissait d’un livre fortement ancré dans un contexte historique dur, où des individus s’élèvent et se battent au péril de leur vie contre l’arbitraire et de la violence d’état. Dans un premier cas, Elsa Osorio nous parlait de la dictature argentine, dans le second, elle évoque le combat des républicains dans la guerre d’Espagne.
Un auteur et un sujet, donc, qui avaient toute ma faveur.

Pourtant, force est de constater que j’ai été un peu déçue. Peut-être parce que l’attente était très élevée... Le sujet ne manque pas d’intérêt : Elsa Osorio nous parle d’une femme injustement méconnue issue d’une famille d’émigrés russes installés en Argentine, qui s’est rendue en Espagne par conviction, qui a lutté les armes à la main, et qui, des années 30 à mai 68, a été de tous les mouvements contestataires européens. Une personnalité hors du commun qui mérite amplement d’être révélée au public.
Mais j’avoue qu’il m’est arrivé d’être un peu perdue par le mode de narration choisi par l’auteur, qui passe de la première à la seconde personne du singulier sans que l’on ne sache plus toujours très bien qui parle. Beaucoup d’allers et retours dans le temps brouillent parfois un peu le fil de la narration.
C’est dommage, car le récit est très riche et Elsa Osorio sait nous rendre la personnalité  de Micaela Etchebéhère, dite Mika, attachante. De plus, il est évident qu’elle s’est énormément documentée pour écrire ce livre et nous livrer le portrait de cette infatigable militante qui sut s’imposer dans un milieu d’hommes.

J’imagine que le moment était peut-être tout simplement mal choisi de ma part pour lire ce livre, qui n’a rien d’un roman, alors que je me trouvais en vacances et que j’attendais un texte qui ait davantage des allures de fiction. Car en ce qui concerne l’aspect documentaire, ce récit est incontestablement d’une grande richesse et d’un réel intérêt.

jeudi 21 août 2014

Peine perdue

Olivier Adam

Flammarion, 2014



Un très beau récit, dans lequel Olivier Adam excelle à restituer une image de notre société.

Olivier Adam. Un écrivain dont j’avais tellement aimé le dernier livre, Les lisières, que je me réjouissais de retrouver son style singulier, à la fois noir et pourtant empreint d’humour, témoignant d’une immense tendresse pour ses personnages malmenés par la vie.
C’est bien cela que j’ai eu la joie de retrouver, dans un roman cependant fort différent du précédent.
Avec Peine perdue, Olivier Adam prend le contrepied de ce qu’il avait entrepris dans Les lisières. Au lieu de se concentrer sur un personnage central dont il explorait tous les arcanes de la personnalité et du psychisme, il a écrit un livre choral - comme on parle de film choral - un livre dans lequel 22 personnages se succèdent pour apporter leur propre point de vue sur les événements qui se déroulent dans une petite station balnéaire de la Côte d’Azur : une tempête et l’agression de la star de la petite équipe de foot locale. On fait ainsi une courte incursion dans leur existence, dont les contours se dessinent également au travers des liens qu’ils entretiennent avec les autres personnages du roman. Ainsi se construit le tableau cohérent et riche, fourmillant de détails, de cette communauté.
On y croise aussi bien des jeunes femmes cumulant les jobs pour essayer de se constituer un revenu complet, des types paumés réalisant à l’occasion quelque méfait, des couples séparés, des nouveaux riches arrogants (enfin, celui-là il n’y en a qu’un, car on sent bien que ce n’est pas ce genre de personnage qui intéresse l’auteur...), des parents démunis face à leurs enfants devenus adultes qu’ils ne comprennent plus, de jeunes hommes endossant tant bien que mal leur nouveau rôle de père, un écrivain (une écrivaine !) venu se mettre à l’écart de la tourmente parisienne (tiens, tiens...), des personnes âgées atteintes de maladies incurables, des copains d’enfance...

Olivier Adam compose ainsi un groupe qui est comme un microcosme de la société française. Se faisant, il n’échappe pas à quelques clichés, qui me semblent inévitables dès lors qu’on se propose d’étudier son sujet avec une loupe. Mais si certains personnages apparaissent un peu caricaturaux, il n’en reste pas moins qu’Olivier Adam excelle à leur donner chair, à déceler les fêlures et à faire surgir la tendresse et l’humanité derrière l’apparente dureté dont certains se sont fait une carapace pour ne pas se sentir broyés. Il sait mettre les mots les plus justes sur ce qui constitue leur quotidien et touche ainsi directement au coeur du lecteur. Car, bien entendu, les situations heureuses ou malheureuses auxquelles sont confrontés les personnages sont celles que tout un chacun connaît à un moment ou à un autre de sa propre existence : difficultés professionnelles, séparation, naissance d’un enfant, difficultés à vivre en couple, arrivée à la retraite, sentiment amoureux, maladie...

C’est rien moins que cela - la vie - qui nous est offert dans ce merveilleux roman. Et même si j’ai trouvé le dernier chapitre un petit peu faible (sans doute était-il difficile de clore un tel livre car la vie continue, et il est donc par définition impossible de conclure), cela n’a en rien affecté la beauté de ce récit.
Olivier Adam possède un tel talent pour dépeindre des situations parfois très noires, sans se départir d’un humour pertinent qui permet de montrer les choses en demi-teinte, conformément à ce qu’est souvent la « vraie vie ». Il sait parfaitement mêler à l’émotion, voire à la tragédie, la légèreté et le sourire, sans que cela paraisse ni forcé ni artificiel. ses formules, dont il a le secret, touchent toujours juste.
Ainsi, lorsque le flic, la quarantaine en berne, qui ne s’est jamais remis de la séparation d’avec sa femme nous apparaît totalement lessivé, avec ses cernes «qui lui mangent la moitié des joues», son extrême fatigue et sa petite vie étriquée, on serait prêt à déprimer en sa compagnie. Sauf qu’Olivier Adam nous rattrape en une seule formule, nous montre en un instant cette situation sous un jour différent : ce gars au bord de la dépression a «l’air d’un raton laveur sous Tranxène». Alors, évidemment, on éclate de rire et Adam en profite pour remettre le type en selle, le raccrocher à sa vie et lui permettre de continuer. Je ne vous révèlerai rien de la scène où l’un des personnages, à l’hôpital, répond tant bien que mal aux questions de l’interne qui cherche à vérifier l’état de son patient : là encore l’humour corrosif d’Olivier Adam fait de cette scène un moment d’anthologie !
Par son style dense et fluide, l’auteur fait jaillir les images et les sensations à chaque page, nous offrant ainsi bien des moments de grâce.

Si vous aimez les romans à veine sociale, les récits qui ont pour ambition de donner une lecture de notre monde, alors, allez-y : vous allez vous régaler !


Retrouvez des citations de l'auteur

Ecoutez ici une interview de l'auteur dans l'émission Les bonnes feuilles sur France Culture


dimanche 17 août 2014


La madone de Notre-Dame

Alexis Ragougneau

Viviane Hamy, 2014


☁ 


Un polar sans intérêt.

Je ne vais pas m’étendre sur ce polar de série Z, qui ne mérite guère plus de quelques lignes.
Je me suis laissé abuser par la belle couverture des éditions Viviane Hamy - qui publient par ailleurs de très bons textes - ainsi que par le cadre dans lequel l’auteur situe son roman. Je pensais avoir affaire à un récit palpitant qui mettrait les pierres de Notre-Dame au coeur d’un mystère...
Mais l’intrigue est bâclée, les personnages, tous autant qu’ils sont, manquent singulièrement de crédibilité et le tout est bourré de clichés. L’auteur imite maladroitement les codes du polar... Bref, il n’y a rien à sauver.

mardi 12 août 2014


Le Cricket Club des talibans

Timeri N. Murari

Mercure de France, 2014


Traduit de l'anglais (Inde) par Josette Chicheportiche

☀ ☀

Un roman haut en couleur, qui évoque la vie quotidienne de la population afghane sous le régime des talibans.

Voici un livre sur écran panoramique et son THX !
En dépit du sujet et du cadre pour le moins austères qu’il a choisis, Murari nous raconte une histoire que l’on prend grand plaisir à suivre du début à la fin. Sur la base d’un fait aussi réel qu’inattendu, l’auteur imagine un véritable conte de fées qui nous place dans la même position que si nous étions en train de regarder un film made in Hollywood.

L’action se situe à Kaboul, alors que les talibans ont pris le pouvoir. Comme on le sait, tout est devenu interdit : écouter de la musique, rire, danser, parler, regarder son interlocuteur dans les yeux... Les femmes sont tenues de porter la burqa et ne sont autorisées à sortir de chez elles que si elles sont accompagnées d’un membre masculin de leur famille. 
Ce que l’on sait moins, c’est que les talibans décidèrent de faire une sorte d’opération de communication, afin de montrer qu’ils étaient un peuple sportif. Ils optèrent alors pour le cricket, sport dont la tenue respectait leurs diktats. Bien entendu, seuls les hommes seraient autorisés à le pratiquer. En 2000, ils firent donc une demande officielle d’affiliation à l’International Cricket Council et organisèrent un tournoi dont les vainqueurs se rendraient au Pakistan pour être entraînés par des professionnels : pour les jeunes Afghans, une porte ouverte sur un horizon...

Si, sur ce thème, Murari imagine une histoire totalement cousue de fil blanc, on se laisse volontiers aller à le suivre, exactement comme, petits, nous écoutions nos parents nous lire un conte dont nous espérions la fin heureuse.

Mais ce qui rend le livre intéressant c’est que, derrière cette fiction légère, il nous livre une évocation précise et sans concessions de la vie quotidienne du peuple afghan : les femmes emmurées vivantes sous leur burqa (« la place des femmes est dans la maison ou dans la tombe »), avec les difficultés que cela implique en termes de déplacement et de visibilité (ainsi une femme meurt-elle renversée par une voiture qu’elle n’avait pas vu arriver) ; les hommes désoeuvrés, périssant d’ennui, et craignant les «faux-pas» des femmes de leur famille, dont ils seraient tenus pour responsables et qui encourraient alors la prison ou la mort ; la méfiance omniprésente que l’on éprouve jusque pour ses propres parents ; le droit de vie et de mort que s’octroient les talibans, l’état de délabrement dans lequel a sombré le pays, la présence de mines antipersonnel, les prisons où règne la torture et le viol est monnaie courante... tout nous est montré avec justesse, sous une forme qui nous rend supportable la lecture d’une réalité intolérable.

En cette période estivale, c’est selon moi un livre parfait à emporter sur la plage : une lecture facile et agréable, qui nous parle de l’un des aspects de notre monde contemporain. Une réussite !

lundi 11 août 2014

Le collier rouge

Jean-Christophe Rufin

Gallimard, 2014



Un court roman qui nous ramène un siècle en arrière.

Dans un format très court, Rufin nous raconte une histoire très simple. Celle d’un homme revenu de la guerre, qui a connu l’horreur et qui en est revenu profondément marqué.
Nous sommes en 1919, et l’homme qui a a été récompensé pour son attitude héroïque est emprisonné, sans que l’on sache précisément pourquoi. On ne le découvrira qu’au terme du livre.
Tout ce que l’on sait, c’est qu’il a pour compagnon un chien qui lui est d’une indéfectible fidélité, et que le méfait qu’il a commis est en rapport avec cet animal.
Tandis qu’il déroule le fil de son récit, Rufin dévoile la personnalité de son héros. Morlac est un homme simple, à qui l’amour d’une femme a permis de découvrir les auteurs engagés du XIXe siècle, tels Victor Hugo et Jules Vallès, ainsi que les théories socialistes auxquelles il a adhéré.
Les valeurs d’humanisme qu’il défendait se sont violemment heurtées à celles des militaires. Il devait faire preuve d’une obéissance servile et se montrer impitoyable quand il aurait voulu fraterniser avec ses compagnons d’infortune.

Tant par la thématique que par la forme narrative, j’ai eu l’impression de lire une oeuvre de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe. Cet anachronisme n’était pas forcément pour me déplaire, puisque j’ai une affection toute particulière pour cette période. J’ai été sensible à cette évocation des classes populaires animées par la volonté de réformer la société, même si, finalement, j’aime autant lire directement les auteurs de cette époque !
En résumé, une lecture facile, rapide et agréable, mais pas inoubliable.


dimanche 10 août 2014

Journal d’une accoucheuse

Priyamvada N. Purushotham

Actes sud, 2014


Traduit de l'anglais (Inde) par Eric Auzoux




Les femmes indiennes vues par l'une d'entre elles.

La condition des femmes en Inde : un sujet certes maintes fois abordé, mais dont on n’a malheureusement pas fini de parler. Il est ici traité de manière particulièrement intéressante, d’abord parce que l’auteur est elle-même une femme indienne, ayant vécu, je crois, aux Etats-Unis, et que sa narratrice exerce une profession qui la place au cœur des problématiques féminines les plus intimes, puisqu’elle est gynécologue.
Cette jeune femme nous permet de suivre le destin et les interrogations de plusieurs femmes aux profils très différents, couvrant ainsi plusieurs aspects de cette réalité indienne protéiforme, à un moment crucial de leur existence, c’est-à-dire au moment où elles deviennent mères.

On voit ainsi défiler dans son cabinet une femme musulmane en burqa, une citadine travaillant dans une agence de communication, une femme issue d’un couple mixte franco-indien... Entre celles qui ne parviennent pas à avoir d’enfant en dépit de toutes leurs tentatives, celle qui désespère d’avoir un garçon, alors qu’elle a déjà trois filles, et celle qui, n’ayant que des fils, rêve d’avoir enfin une petite fille, toutes finissent par se confier librement à leur médecin, nous donnant ainsi à voir les multiples visages de ce sous-continent où s’entrechoquent les cultures, les différentes traditions et l’influence occidentale.

Un livre intéressant, que j’ai lu d’une traite, même s’il m’a semblé manquer un peu d’ampleur. Pour ma part, je ne me suis guère attachée aux différents personnages. Sans doute est-ce dû au mode de narration choisi par l’auteur : le fait de tout voir à travers les yeux d’une narratrice unique nous prive des réflexions et des sentiments des différentes héroïnes, qui ne sont que suggérés. Dommage, le récit aurait gagné en intensité.