samedi 30 novembre 2024

L’épaisseur du trait

Renaud Czarnes
Héliopoles, 2024


Ah, le monde du travail…  Que de pages ont été produites et continuent de l’être sur le sujet ! Son organisation, son langage, la pression qu’il exerce, la violence qu’il engendre… Beaucoup d’essais et de documents, un peu de fiction - mais rarement sous un angle humoristique. En lisant L’épaisseur du trait, on rit souvent… jaune. Il faut dire que l’auteur, qui a exercé pas mal de fonctions à hautes responsabilités, dans pas mal d’univers différents, en connaît sans doute un rayon sur la question. La novlangue managériale et la gouvernance actionnariale n’ont aucun secret pour lui…


A 44 ans, Marceau, ancien journaliste devenu cadre sup dans une grosse agence de comm d’envergure internationale, est arrivé à l’heure du bilan : quel sens donner à son travail ? Quelle valeur accorder à ce qu’il produit lorsqu’il ne s’agit que de flatter l’égo d’un client pour justifier une facture outrageusement gonflée ? Et comment avoir une quelconque estime pour une hiérarchie dont le cynisme n’a d’égal que l’indécence de sa rémunération ? Peut-être serait-il temps de prendre la vie autrement et d’opérer un virage à 180 degrés - surtout si un « plan de départs volontaires » se faisait jour…  


L’auteur épingle les multinationales et leurs méthodes managériales avec une gourmandise que l’on devine nourrie par des années de couleuvres avalées. Ceux qui travaillent dans ce type d’environnement trouveront peut-être le reflet du miroir tendu par cette satire presque trop cru. Mais elle a le mérite de mettre les points sur les i et, franchement, ça ne peut pas faire de mal !


samedi 23 novembre 2024

L’étoffe du temps

Lars Mytting
Actes Sud, 2022

Traduit du norvégien par Françoise Heide



L’Etoffe du temps est le deuxième volume d’une trilogie qui nous entraîne au coeur de la Norvège en nous contant une histoire à la croisée de la saga romanesque et des légendes ancestrales. A la fin des Cloches jumelles, nous avions quitté le pasteur Kai Schweigaard à l’orée des années 1880,  éploré par le décès d’Astrid, la femme qu’il aimait. Celle-ci était la lointaine descendante de soeurs siamoises dont la destinée restait intimement liée aux cloches de l’église qui avaient veillé sur la paroisse de Butangen jusqu’à leur récent démantèlement, l’une ayant été déplacée à Dresde, l’autre gisant au fond du fleuve bordant le village. 


Jehans, Le fils d’Astrid, a à présent grandi et n’a qu’un but : retrouver la cloche ensevelie afin de l’unir à nouveau avec sa jumelle. Mais il se dit que seuls deux frères qu’aucune soeur née entre eux ne séparait pourraient y parvenir…


Lars Mytting nous invite à poursuivre le voyage au coeur de la Norvège rurale qu’il avait initié dans son premier volume. Si l’on continue ainsi de découvrir l’histoire et les traditions de ce pays, on le voit à présent aborder son tournant vers la modernité : à la veille de la Première Guerre mondiale, le village se dote de l’électricité, tandis que Jehans et sa femme bâtissent une florissante exploitation fromagère. Entre conflits d’intérêts et rancoeurs familiales, attachement à l’héritage du passé et promesses de l’avenir, ce récit offre au lecteur une fascinante échappée vers les espaces majestueux du grand nord. 


Quant à savoir ce qu’il adviendra des cloches, il faudra attendre la publication du troisième volume pour le savoir !





lundi 11 novembre 2024

Hollywood s’en va en guerre

Olivier Barde-Capuçon
Gallimard Série noire, 2023


Ce n’est un secret pour personne, l’industrie hollywoodienne est la machine de guerre du soft power américain. Olivier Barde-Capuçon, connu pour ses intrigues policières se déroulant à la cour de Louis XV, nous entraîne cette fois aux Etats-Unis au début des années 40. Le président Roosevelt est convaincu que son pays doit entrer en guerre, mais se heurte à un fort mouvement de résistance : pour America First (eh oui, le slogan ne date pas d’hier) les Américains n’ont pas à aller perdre la vie dans un conflit qui ne les concerne pas. L’idée naît alors au plus haut sommet de l’Etat de favoriser la production d’un film propre à faire basculer l’opinion publique.


Et pour cela, il faut des stars. Errol Flynn tiendra le haut de l’affiche avec l’une des actrices les plus bankable du moment, la superbe Lala. Bien sûr, du côté de l’opposition, tout va être mis en oeuvre pour en empêcher la réalisation. Aussi, lorsque Lala est victime d’une tentative de chantage, la détective Vicky Mallone est-elle appelée à la rescousse. Mais les ennuis ne vont pas s'arrêter là…


Avec ce roman se déroulant à ce que l'on considère aussi bien en littérature qu’au cinéma comme l’âge d’or du polar, l’auteur se plaît à s’approprier les codes du genre et à nous plonger dans l’atmosphère de l’époque. S’il se met toutefois au goût du jour en attribuant le rôle de détective privé à une femme, celle-ci fume comme un sapeur, boit comme un cosaque et multiplie les conquêtes… féminines. Il est assez plaisant de voir jouer de ces stéréotypes, et les seconds rôles sont tout à fait amusants. Le vibrionnant Errol Flynn, notamment, est particulièrement bien campé. Le contexte et les enjeux de ce moment historique sont quant à eux très bien mis en lumière. Mais je dois dire que l’intrigue en elle-même m’a semblé à la fois trop diluée et pécher par un trop-plein de rebondissements et d’interventions providentielles manquant singulièrement de finesse.


En relisant le commentaire que j’avais d’ailleurs écrit sur un précédent roman de l’auteur, je m’aperçois que j’avais déjà émis le même type de réserves : un réel talent pour restituer le climat et les enjeux d’une époque, mais une intrigue modérément convaincante. Peut-être pourrait-il s'affranchir du genre policier et s'essayer à la littérature dite « blanche »... 







samedi 2 novembre 2024

Poupées roumaines

Marie Khazrai
Les Avrils, 2024


Une mère roumaine et un père iranien : voilà un bon départ pour un roman, de quoi entraîner le lecteur vers des horizons quelque peu dépaysants. D’ailleurs, Marie Khazrai ne s’en prive guère et ne perd pas son temps : à peine le lecteur a-t-il ouvert le roman qu’un voyage lui est promis.


Car la jeune femme qui livre son histoire entend retourner sur la terre qui a vu naître sa mère, et que celle-ci avait fuie pour la France afin d’offrir à sa fille une vie meilleure. Ainsi se retrouve-t-elle six jours durant aux côtés de sa grand mère, de sa tante et de sa mère - qui l’accompagne -dans un univers rural semblant dater d’un autre temps… Mais retourner là-bas, c’est faire remonter les douloureux souvenirs du communisme, faire face à une condition particulièrement violente à l’égard des femmes, et se confronter aux secrets soigneusement enfouis de cette lignée. 


C’est dans un surprenant univers que nous plonge Marie Khazrai, manière de gynécée qui s’était constitué autant pour se tenir à l’abri des hommes que des sévices du communisme. La narratrice force les portes et tente d’arracher les mots des bouches qui ne veulent pas s’ouvrir pour percer le mystère de ses origines. 


Mêlant contes et légendes des Carpates et saisissants instantanés de vie, l’auteure déploie une langue vive et heurtée pour dire l’amour qui, derrière leur apparente âpreté, unit ces femmes blessées. Si le propos n’a rien d’original (ce qui n’ôte rien à son intérêt), le style est quant à lui assez singulier. Avec ses chapitres courts, l’auteure va très vite, ne laissant guère à son lecteur le temps de reprendre son souffle. Elle parvient ainsi à restituer le sentiment d’urgence et la confusion dans lesquels évolue l’héroïne. Certes, on se sent parfois un peu désorienté. Mais n’est-ce pas aussi ce que l’on cherche lorsqu’on part pour d’autres cieux ? Ainsi l’immersion aura-t-elle été totale, et le voyage assez fascinant.