« Né pour combattre le crime, non pour le gouverner, il lève les mains jointes au ciel, il en appelle au Dieu suprême qui l’a abandonné. Mais tandis que l’affreux cortège s’éloigne de lui, incapable de vivre sans morale ni tradition, la nation se dévore elle-même et, à la Maison Duplay, portes et fenêtres resteront bouclées toute la journée.»
Mon sommeil sera paisible page 178
«Il est vrai que, aujourd’hui, c’est lui qui va «officier» comme il a célébré l’Eucharistie de la Terreur (...).
Une formidable ferveur monte vers lui. Le jardin des Tuileries frémit de piété collective, la cérémonie commence. Comme Marie, qu’il imagine là quelque part suivant ses faits et gestes, de nombreux artistes fébriles d’impatience sont présents aux premiers rangs avec leurs carnets de croquis. Et si le grand délire de sang dans lequel la France perd la tête s’achevait ici ? Et si le sacrifice final n’était pas écrit? Et si la vertu triomphait en même temps que lui? S’avançant dans un corps d’une légèreté immatérielle, il précède de trente pas les députés de la Convention. Porté par le rêve fulgurant de la réconciliation nationale, il se présente, solennel, face au Monstre de l’athéisme au poitrail monumental et dont la structure de bois et de carton-pâte dépasse en taille les bouquets d’arbres environnants. Il vibre de ferveur et de pure émotion: Dieu crée le monde et Maximilien Robespierre le décrète tel qu’il est.»
Mon sommeil sera paisible page 189-190
Olivier ADAM
« Allez viens te coucher. Il répondait Ok et la suivait jusqu’à la chambre. Il se couchait et l’écoutait s’endormir à côté de lui. Respirer profondément. Il regardait son corps endormi, la masse sombre que ça formait près de lui dans la pénombre. Et c’était pire que tout. Etre près d’elle comme ça en prenant conscience qu’elle ne lui faisait plus rien. Qu’il l’aimait bien mais que l’amour le vrai, le vibrant l’électrique il ne le ressentait plus depuis des années. Ça l’empêchait vraiment de trouver le sommeil. Ça l’obsédait. Ce n’était pas une vraie douleur. Non. On ne peut pas dire qu’il en souffrait. Ni même que ça l’incommodait. Pour un peu il s’y serait presque résolu. C’est ce que font la plupart des gens, d’ailleurs. Regarder l’amour s’amenuiser et ne plus être qu’un vague souvenir. Et continuer malgré tout parce que ça va. Parce qu’on est de bons partenaires. Des colocataires agréables. De bons amis. De bons parents. Une bonne équipe. Mais au final peut-être qu’il n’arrive pas à s’y résoudre. Même si c’est un peu immature. Et qu’il découvre l’eau tiède. »
Peine perdue pages 174-175
« De toute façon Alex ne comprend jamais rien aux blagues. Il a autant d’humour qu’une huître. C’est ce que Sarah lui dit tout le temps. Ça lui rappelle sa mère qui lui sortait toujours le même truc quand il ramenait ses notes à la maison : Mais c’est pas possible ce gamin. T’as un QI de bulot ma parole. Putain qu’est-ce qu’elles ont toutes avec les fruits de mer ? »
Peine perdue page 192
Laura ALCOBA
"Les e muets me fascinent depuis le début. Je les ai aimés dès les premiers cours de Noémie, à La Plata, dès que mon professeur de français m'a fait découvrir le premier d'entre eux, celui qu'elle cachait au bout de son prénom. Une voyelle muette ! Quand on ne connaît que l'espagnol, on ne peut pas imaginer que de telles choses existent - une voyelle qui est là mais qui se tait, ça alors ! J'étais plus que surprise - littéralement abasourdie. Et comme exaltée, soudain : je voulais tout savoir à propos de la langue qui était capable de faire des choses pareilles !"
Le bleu des abeilles page 72-73
"- Quelle distance nous sépare de la montagne, c'est bien ça, ce que tu veux savoir ?
Oui, c'était bien ce que je lui avais demandé, mais Valérie avait besoin d'une confirmation. Alors j'ai repris ma phrase en l'accompagnant d'un geste.
Ce que je me demandais aussi, c'était quelle distance me séparait encore d'un français qui serait pleinement à moi. Est-ce que j'y arriverai un jour, alors que ça fait si longtemps que je me suis mise en route?"
Le bleu des abeilles page 96
"De nuit, Berlin Est paraissait lugubre face à la splendeur éblouissante des bâtiments et des publicités lumineuses de l'Ouest. (...) La différence de développement entre l'Est et l'Ouest se révélait si évidente qu'elle plongea ma sensibilité communiste dans la consternation. Marx ne prévoyait-il pas, sous le socialisme, non seulement le développement total des forces productives, mais le dépassement de celles du capitalisme, ce qui finalement conduirait l'homme au règne de l'abondance et de l'égalité sociale ?
Pourtant, je refusai de me laisser écraser par cette première impression, que je tendis à qualifier de superficielle, et me dis que la supériorité du socialisme se nichait à l'intérieur de l'être humain, dans l'homme nouveau qui émergeait en même temps qu'une société nouvelle, dans le vie culturelle intense, la sécurité sociale, l'éducation gratuite, les rapports solidaires qui s'établissaient au sein du pays, stimulés par la propriété sociale des moyens de production. Ce fus, je crois, la première fois que je me vis obligé de chercher avec désespoir des explications pour sauvegarder la cohérence de mon idéologie."
Quand nous étions révolutionnaires pages 44-45
"Si j'avais fui le Chili des mois plus tôt pour ne pas vivre sous le régime militaire, pourquoi ne pas renoncer au socialisme afin de résider à l'Ouest ?
Mais mon âme non seulement se nourrissait de l'amour de Margarita, mais aussi de la foi communiste, foi dont j'"avais besoin pour donner un sens à ma vie. Cuba pourrait m'aider dans cette quête. L'Allemagne de l'Est n'était pas une démocratie, et elle ne représentait pas un système légitime pour son peuple, qui supportait le socialisme, intimidé par la présence d'un demi-million de soldats russes sur son territoire et par ce Mur infranchissable qui rendait tout exode impossible. A Cuba, c'était forcément différent."
Quand nous étions révolutionnaires pages 74-75
"A cette époque, la politique en Amérique latine, dont une grande partie vivait sous des dictatures de droite appuyées par les Etats-Unis, ne se réduisait pas une lutte pour contrôler des sièges au Parlement, mais mettait souvent en jeu la vie de ceux qui essayaient de rétablir la démocratie et d'instaurer le socialisme."
Quand nous étions révolutionnaires page 120
Saphia AZZEDDINE
«Un expert en droit islamique avait répertorié une vingtaine d’infractions au code de bonne conduite. C’était son moment de gloire. Il déclamait, plein de fatuité, tous les délits qu’il avait relevés chez moi : du maquillage, des chaussures à talons, de la lingerie féminine dont un bustier en dentelle, un portait d’homme, des journaux, un recueil de poésie persane, du gingembre, une bougie parfumée, des cassettes de chansons, unepeluche, des collants, un parfum, une pince à épiler et une ribambelle d’autres choses inappropriées. Je savais que tout ce qui pouvait tenter les hommes était proscrit, donc je ne m’offusquais pas de la longueur de la liste. Je savais aussi que s’épiler les sourcils était interdit puisque ça altérait la création de Dieu. Il ne fallait rien dénaturer et revenir à Lui comme Il nous avait créés. Bien entendu, cette règle ne s’appliquait pas aux femmes dont les visages, après la lapidation, parvenaient en lambeaux à Sa porte. Elles, on avait le droit de les défigurer à souhait, pourvu que l’on ne redessine pas la courbe de nos sourcils.»
Bilqiss pages 18-19
"- L'Angleterre et le pays de Galles sont en retard sur le reste de l'Europe, loin s'en faut. Dans l'écrasante majorité des autres nations européennes, les enfants de moins de quatorze ans ne peuvent même pas comparaître devant un tribunal correctionnel ou une cour d'assises. (Daniel plaqua ses paumes sur la table). Ils bénéficient d'un système spécifique, non pénal, et du huis clos. Je sais bien que lorsqu'ils ont commis des actes de violence, l'issue peut être similaire. Ils se retrouvent incarcérés dans des unités de détention pour mineurs. Mais c'est dans un souci de les protéger, et non de les punir par l'enfermement.
- Oui, nous en sommes restés au Moyen Age, si l'on nous compare au reste de l'Europe."
Un visage d'ange page 155
Un visage d'ange page 155
Un roman français page 113
Un roman français page 119
Un roman français pages 197-198
«Je n’avais aucun projet pour le week-end suivant - mais je n’imaginais pas une seconde rentrer chez mes parents. Je n’avais pas envie de leur sollicitude distante. De leur inquiétude qui ne ferait que me renvoyer à mon inadaptabilité. De leur commisération. De la commisération, j’en recevais déjà ma dose, tous les jours, en allant en cours. Mais je ne devais pas me plaindre. Cela n’avait rien de comparable avec l’année précédente. On me saluait souvent. On allait même parfois jusqu’à me sourire, voire même à échanger avec moi quelques phrases banales sur la masse de travail à effectuer ou sur les dissertations à venir.»
Un hiver à Paris page 38
«Il est devenu clair lors des cours suivants que les enseignants avaient reçu une consigne - ne pas piper mot de toute cette histoire (...) Qu’est-ce qui justifiait ce silence ? L’idée qu’il nous protégeait ? C’était ridicule, surtout de la part de professeurs qui nous poussaient à analyser des textes, à extraire l’implicite, à ausculter les blancs de la phrase. L’idée saugrenue que nous pourrions imiter Mathieu Lestaing ? Qu’il risquait d’être le déclencheur d’une vague de suicides ? La réputation de l’établissement ? Trop tard. Le geste de Mathieu avait déjà fait le tour des classes préparatoires des lycées parisiens et, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, il redorait le blason de D. : beaucoup semblaient penser qu’un suicide était un signe de bonne santé des prépas. Il signifiait que la pression était trop forte pour les plus faibles, qui s’éliminaient d’eux-mêmes. Cela impliquait donc que le rythme des devoirs et la teneur des leçon étaient adaptés aux exigences des concours. Il ne serait pas étonnant que D., déjà bien côté sur le plan national, gagne encore quelques places lors du prochain classement des classes préparatoires.»
Un hiver à Paris pages 96-97
"Si tantôt il susurre pour vérifier la qualité du silence, c'est pour mieux rugir aussitôt, faire crépiter les mots suivants, déployer cette énergie dans laquelle chaque auditeur vient puiser un élan. La voix est l'organe dont il est le plus fier, celui sur lequel il bâtit son oeuvre impalpable. Proposer de faire du royaume une république quand on ignore tout de ce nouveau régime, demander la déchéance de l'Autrichienne et du Gros Capet, poser les jalons du suffrage universel : des mots. Ils resteraient sans vie s'il ne les inséminait dans les esprits de sa voix rauque, tapie dans les graves. Il en fait des idées-forces, de ces leviers qui basculent un monde pour en dresser un nouveau."
"C'est qu'il lui en a fallu, de la vitalité, pour gonfler ses mots de sang, rajeunir les formes, percuter les oxymores, bousculer la syntaxe, inséminer la langue, faire entrer en littérature les poulpes, les nains et les bossus. C'est qu'il lui en a fallu, de l'énergie, pour devenir immortel."
Trois grands fauves page105
Leopoldo BRIZUELA
"On dit - comme, par exemple, les avocats des génocidaires dans les Juicios por la verdad, et c'est le principal argument qu'ils avancent pour demander l'absolution des bourreaux - que l'on ne peut juger une époque selon les critères d'une autre. Que l'on ne peut interpréter la guerre avec la terminologie de la paix.
Mais il est des débordements, des excès que même la guerre ne saurait admettre, comme celui que le jeune garçon que j'étais à l'époque avait pu apercevoir, bien que sans le comprendre - impossibilité qui l'a forcé à ensevelir ce souvenir au plus profond de lui-même pendant plus de trente ans."
La nuit recommencée page 134
Emmanuel CARRERE
« Maintenant, ce qui fait la réussite d’un film, ce n’est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain-là, Luc est sans rival: l’auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu’on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par un ange, viennent en procession s’attendrir sur l’enfant... Les rois mages viennent de Matthieu, le boeuf et l’âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l’a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect. »
Le royaume p.569
Victor DEL ARBOL
«Personne ne peut imaginer à quel point l’être humain peut être tordu quand on l’investit du rôle de bourreau, le degré de sadisme et de plaisir qu’il trouve à martyriser ses victimes. L’ivresse du pouvoir et son cri sauvage. J’ai découvert chaque particule de cette maladie qui transforme les hommes en monstres. Mais je n’ai pas été pendu. J’en suis ressorti vivant, si tant est qu’être vivant c’est respirer... Et toi tu m’as retrouvé pour me juger et m’infliger la compassion hypocrite du vainqueur. C’est bien cela ?
Elias détourna le regard, incapable de soutenir celui du rouquin anglais. Il ignorait en effet ce qu’il avait enduré, il ne pouvait ni ne voulait l’imaginer. Martin n’avait plus rien à avoir avec le jeune homme qu’il avait connu. Cet homme qui le regardait, plongé dans ses obsessions étranges pendant qu’il boutonnait une chemise propre qu’Elias lui avait achetée, était un inconnu.»
Toutes les vagues de l'océan page 482
Selden EDWARDS
"Voici, grossièrement résumée, la synthèse que [Freud] en fit. L’enfant, un Autrichien maltraité par son père et en situation d’échec scolaire, devient, une fois adulte, dans les années 1930, le chancelier charismatique d’une Allemagne unifiée. Ce pays, qui vient de perdre une guerre contre la France, l’Angleterre et l’Amérique, a lui-même connu l’agression et l’humiliation. Le vieil empire austro-hongrois s’est désintégré. Par l’usage de la peur, de la propagande et de la violence, cet homme d’état maléfique rallie le peuple à sa cause, relance l’activité industrielle et militaire et rend à l’Allemagne son statut de puissance internationale. Une fois bien installé au pouvoir, il lance une campagne de conquête planétaire et, en parallèle, d’extermination du bouc émissaire le plus évident qui soit : les Juifs."
L'incroyable histoire de Wheeler Burden page 522
Miguel Angel HERNANDEZ
«Je regardai Helena, qui semblait fascinée par la situation, je regardai Montes, qui continuait sa représentation, je regardai la boîte, j’imaginai à l’intérieur le corps d’Omar, et je me dis qu’il n’avait peut-être rien compris. J’en fus écoeuré. Pour la première fois, je regrettai d’être là. J’avais beaucoup lu sur ce genre d’oeuvres. J’avais défendu la théorie qui les légitimait, j’y avais cru, les mots m’avaient convaincu. Mais maintenant que je devais me confronter à la réalité, que je devais faire face, à présent que la pratique prenait forme, je ne trouvais plus aucun sens. La réalité me submergea et me provoqua des nausées. Je fus pris d’une intense douleur à l’estomac et un goût aigre me monta à la bouche. Mais je résistai sans rien changer à mon attitude, demeurant les lèvres closes, debout, face à la scène, dévisageant Helena et Montes avec un regard qui, en y pensant aujourd’hui, ne devait pas être moins glacé et vide que le leur.»
Tentative d’évasion page 224
Khaled HOSSEINI
"Devant la tendresse et la légère panique perceptibles dans ses paroles, j'ai compris que mon père était quelqu'un de blessé, que son amour était aussi vrai, aussi vaste immuable que le ciel, et aussi que cela pèserait toujours sur moi. C'était le genre d'amour qui tôt ou tard vous obligeait à faire un choix : soit on s'arrachait à lui pour être libre, soit on restait et on supportait sa dureté alors même qu'il cherchait à vous faire entrer de force dans une case trop petite pour vous."
Ainsi résonne l'écho infini des montagnes page 443
"En fait, bien que j'aspire à être libre, j'ai peur de le devenir. J'ai peur de ce qu'il adviendra de moi, de ce que je ferai une fois que Baba sera parti. Toute ma vie, j'ai vécu comme un poisson d'aquarium, à l'abri d'une bulle de verre, derrière une barrière aussi impénétrable que transparente. Je pouvais observer à ma guise le monde chatoyant de l'autre côté, je pouvais m'imaginer dedans si je le voulais. Mais mon existence a toujours été endiguée, contenue à l'intérieur des limites dures et inflexibles que Baba a érigées pour moi, d'abord consciemment, lorsque j'étais jeune, puis innocemment, maintenant qu'il s'étiole de jour en jour. Je crois que je me suis accoutumée à cette chape de verre et que je suis terrifiée à l'iodée que, lorsqu'elle se brisera, lorsque je me retrouverai seule, je m'échouerai dans un vaste monde inconnu et me tordrai là), impuissante, perdue, sans plus pouvoir respirer."
Ainsi résonne l'écho infini des montagnes page 467
Fabrice HUMBERT
"Deux milliards de dollars. Comment pouvait-on gagner autant d'argent? Avait-il pêché des millions de poissons? Avait-il confectionné des vêtements, en une pile qui allait jusqu'à la lune? Avait-il bâti des immeubles, en travaillant nuit et jour pendant des milliers d'années, brique après brique?"
"Lui aussi pouvait prendre possession d'un restaurant, à la fin du repas, s'il estimait qu'un plat lui avait plu. Lui aussi pouvait réaliser tous ses désirs, en un claquement de doigts, par le miracle de l'argent."
"La question était la suivante: à partir de quelle somme d'argent annuelle existe-t-on? Cinq cent mille dollars, un million, cinq millions, dix millions ? Simon, au début, n'avait pas bien saisi la relative indifférence des autres à son égard, mais il avait beau se retrancher derrière son ordinateur pour assimiler, trier et exploiter les statistiques de tous les biens, options et options d'options de ce bas monde, l'intelligence de sa position sociale lui parvenait inéluctablement, à force de coups d'oeil, de tons de voix, de signes multiples. Et il comprit bientôt que dans la hiérarchie Kelmann, il n'occupait pas une place élevée. Il était un ingénieur quantitatif, un quant, c'est-à-dire pas grand-chose. Il était, comme on disait, "un centre de coûts" et non "un centre de profits". Un rouage nécessaire, essentiel même, mais peu rémunéré par rapport aux traders parce qu'il ne prenait pas de risques. (...) Un bon trader prenait des risques, un bon quant les lissait. Un trader était un homme, il était viril et d'ailleurs il s'exprimait très virilement, avec une récurrence remarquable du mot "couilles" : "J'ai des couilles, je vais lui faire bouffer ses couilles, je vais lui en mettre profond jusqu'aux couilles, je le tiens par les couilles, etc."
La fortune de Sila pages 184-185
Serge JONCOUR
"En acceptant de rester un mois ici, de donner un peu de ma personne, je comptais compenser ce sentiment d’inutilité qui rôde toujours en soi dès lors qu’on ne fait qu’écrire, une culpabilité qu’il convient de fermement déjouer quand on se prétend écrivain. Avec un métier aussi peu concret que celui-là vient souvent l’intuition de ne servir à rien, d’être inutile, mais un auteur dans le fond doit-il servir à quelque chose, de même que chacun d’ailleurs, est-ce qu’on doit tous servir à quelque chose et est-ce qu’il y a des degrés dans cette implacable hiérarchie des utilités ? Ne serait-ce pas plutôt à chacun de déterminer l’importance plus ou moins manifeste de sa présence au monde ? Je n’en sais rien. Le fait est que d’avoir un vrai boulot ne me laisserait pas le temps de penser à tout ça."
L’écrivain national pages 11-12
Gaëlle JOSSE
«Il y a de la peur et de l’attente dans leurs regards, et aussi la crainte de dire quelque chose, de commettre un acte qui leur interdirait à jamais l’entrée au paradis, sans même savoir ce qu’on attend d’eux. Aussi la plupart ont-ils revêtu, pour descendre du bateau, leurs habits les plus présentables afin d’affronter l’examen de passage qui les attend.»
Le dernier gardien d’Ellis Island pages 14-15
«Notre rêve d’Atlantide, ou d’un mont Ararat où notre arche pourrait enfin s’échouer, notre vœu d’une Ithaque où il serait permis à nos corps et à nos âmes lassés de trouver quelque repos, se réduisirent à une coupe d’amertume, un cauchemar noyé de brume et d’humidité, dans un casernement glacé et inhospitalier. L’Amérique que nous avions tant désirée se réduisait à un camp de fonctionnaires empressés et frileux, chargés de tenir à distance toute tentative d’approche d’une pensée divergente, tous les germes d’une possible déviance intellectuelle. L’Amérique savait ouvrir grands les bras, elle nous a montré qu’elle savait aussi brutalement les refermer. C’est cette seule Amérique-là qu’il nous fut donné de rencontrer, avant de poursuivre notre périple d’errance et d’espoir sur les mers du monde.»
Le dernier gardien d’Ellis Island page 148
Lola LAFON
"Ce qu'elle accomplit, ce jour-là, personne ne sera capable de le raconter, ne restent que les limites des mots qu'on connaît pour décrire ce qu'on n'a jamais imaginé."
La petite communiste qui ne souriait jamais page 54
"- Montreal a "marketé" l'image d'une fillette innocente qui surgit de nulle part, alors qu'en réalité, vous gagniez tout depuis deux ans. Vous avez contribué à la fabrication de cette image. A travers vous, le pouvoir faisait la promotion d'un système. La réussite totale du régime communiste, l'apothéose de la sélection : l'Enfant nouvelle, surdouée, belle, sage et performante."
(Rire agacé)
"Ah oui, bien entendu! Les Roumains vendaient le communisme. En revanche les athlètes français ou américains, aujourd'hui, ne représentent aucun système, n'est-ce pas, aucune marque!!..."
"Et ils sont prêts à tout, ces parents américains qui contractent plusieurs emprunts afin de soumettre leur fille au jugement de celui qui s'y connaît en discipline : un "coco". (...)
L'Etat américain reste poliment aux portes du miracle à venir, au seuil du gymnase dans lequel Béla entraîne Mary Lou Retton, une jeune gymnaste qu'il décrit à la presse comme "plus puissante que Nadia, une tueuse" et qui remporte le titre olympique en 1984."
Bertrand LECLAIR
«Au pied de l’escalier menant à l’église Saint-Germain de Charonne et à son charmant cimetière mitoyen qui en fait une exception parisienne d’avoir résisté à tous les réaménagements urbains, l’appartement aurait probablement trouvé preneur pour trois fois les huit cent cinquante euros que Pons peinait à verser chaque mois, dans ce quartier qui passe pour un eldorado des investisseurs immobiliers. Nouveau refuge des Parisiens branchés qui fuient la Bastille ou le canal Saint-Martin trop benoîtement à la mode, l’irréductible village encerclé par les barres HLM est devenu depuis dix ans l’un des musts des guides du Paris pittoresque que l’édition multiplie à tour de bras, rentabilisant le filon de l’authentique sans plus de scrupules que l’industrie de la pêche n’en trouve à utiliser des filets dérivants. Ce haut lieu de la Commune passe désormais pour être propice aux arts et aux artistes, réputation qui ne tarde jamais, à Paris, à faire basculer un quartier dans la spéculation, de sorte qu’il n’y demeure bientôt plus un seul artiste, tandis que les dernières quincailleries sont remplacées par des galeries d’art ou des librairies, elles-mêmes destinées à être chassées tôt ou tard par les boutiques de mode, comme on le verra.»
Le bonhomme Pons, pages 110-111
Bertrand LECLAIR
"C’en est au point qu’on ne sait plus très bien, dans certaines lettres, si c’est vraiment la peinture qui est son salut, ou son salut qui se trouve passer par la peinture, exigeant qu’il s’engage corps et âme dans plus grand que lui, mystique sans dieu s’armant d’une mission comme d’une armure, ou d’une monture ailée. L’art s’y prête : c’est la peinture comme ligne de fuite, comme refuge, peut-être, mais comme sorcellerie, aussi, destinée à multiplier les talismans pour conjurer les esprits mauvais qui voudraient l’enfermer dans la culpabilité d’être au monde ce qu’il est que le monde réprouve. Ce qu’il est profondément, ou croit être et qu’en tout cas il affirme d’autant plus haut et fort qu’on l’en blâme en permanence, ici, à Copenhague, jusque dans les silences lourds des déjeuners de famille, ces moments où les reproches battent lentement des ailes comme passeraient de mauvais anges au-dessus de la tête courbée des enfants. C’est ici, sans doute, en 1885, que l’histoire commence vraiment, parce que c’est ici qu’il apprend à se nourrir à pleines dents de l’adversité qu’il génère, à devenir lui-même, ce faisant, façonnant cette personnalité qui « se complaît dans l’antipathie qu’elle suscite, soucieuse de rester intacte », comme le formulera August Strindberg, à Paris, dix ans plus tard, en voilà un qui sait voir clair en deçà des apparences : « car vous me semblez surtout fortifié par la haine des autres ». Il n’est pas encore Gauguin, à Copenhague, mais il le devient à marche forcée, alors que sa « femme, la famille, tout le monde enfin » et bientôt d’ailleurs la terre entière prétendent le renvoyer dans les cordes de ses inaptitudes ; il n’est pas encore celui qui s’écriera, trois ans plus tard, « en art, vous savez bien que j’ai toujours raison ! », mais il se façonne, écrivant dans sa mansarde : « Il me semble par moments que je suis fou et cependant plus je réfléchis le soir dans mon lit plus je crois avoir raison. »"
Le vertige danois de Paul Gauguin page 22-23
Owen MATTHEWS
"Rien dans mon éducation et ma culture britanniques ne m'avait préparé à une telle débauche d'hospitalité. C'était plus que de l'abnégation : c'était un hara-kiri social. Prends tout ce que nous avons, même si cela doit nous tuer. Jamais, en nulle circonstance, aucun des Européens que je connaissais ne se serait comporté de la sorte. Dans ma famille, ni les naissances, ni les mariages, ni les enterrements ne pouvaient susciter une telle démonstration d'émotion."
Moscou-Babylone page 60-61
"Tout s'éclairait, à présent. Je n'étais qu'un instrument, prêt à exprimer la colère des dizaines d'innocents à qui Malakhov avait fait du tort. Son sort n'était pas entre mes mains, mais entre les siennes. Devait-il vivre ou mourir ? C'est lui, et lui seul, qui en déciderait dans les minutes à venir. Il me donnerait peut-être une raison de le tuer. Peut-être pas. Je ne contrôlais plus cet aspect des choses. C'était si évident que je faillis éclater de rire."
Moscou-Babylone page 260
Laurent Mauvignier
«Et il reste à regarder des Moscovites et peut-être quelques étrangers aussi, des gens comme lui, seuls, et puis d’autres qui viennent en famille, parfois en couple, mais surtout des groupes d’adolescents, avec cet air que les jeunes ont décidément partout dans le monde dès qu’on y trouve un McDo et de quoi s’offrir un casque fiché à un iPhone, des rollers, des jeans et des Nike, cet air si profondément accablé et anti-glamour qu’ils peuvent avoir et dont Syafiq n’imagine pas qu’il avait pu être aussi le sien lorsqu’il avait l’âge de manger des frites à pleines poignées.»
Autour du monde page 156-157
«Mais il n’aurait pas cru, si lui-même ne l’avait pas vu, si on lui avait seulement raconté que les Philippins du monde entier, dans les soutes des grandes croisières, à demi cachés, presque effacés et invisibles au regard de ce monde où tout un chacun semble être un voyageur permanent, que seuls des milliers de Philippins infiniment négligés et infiniment précieux faisaient vivre et tourner ce grand corps grouillant qu’est le monde globalisé.»
Autour du monde page 172-173
Patrick MCGUINNESS
"Les premiers temps, j'étais perturbé de me savoir filé. Ce n'était pas par maladresse que l'homme avait gratté une allumette sous mes yeux. Il voulait me montrer que l'obscurité était vivante. Mais il n'avait pas besoin de me surveiller continuellement. Bientôt, je m'en chargerais tout seul. C'était ça le principe : on finissait par faire le boulot à leur place. Je rentrai me préparer un autre café, soudain attentif à chacun de mes mouvements. Je commençais à chanter dans la cuisine, puis m'interrompis ; avant de prendre ma douche, je fermai la porte de la salle de bains et poussai même le verrou. La surveillance a cet effet : on cesse d'être soi-même pour vivre à côté de soi."
Les cent derniers jours page 97
"Chacun ici maniait à la perfection cette voix privée-publique, utilisée pour faire des déclarations creuses, qui glissaient sans laisser de trace sur son interlocuteur. Ce langage au second degré était transcendant dans sa banalité, aussi pur et vide de sens qu'une étendue d'eau. Nous l'employions tous. Flaubert rêvait d'écrire un livre sur rien, mais découvrit que c'était impossible, que la langue se cramponnait aux choses, qu'il ne pouvait pas briser les fers qui l'enchaînaient au monde. Ici, en Roumanie, on prenait à coeur le projet de Flaubert."
Les cent derniers jours page 100
"C'était la désolation : des villages vieux de plusieurs siècles étaient rasés en une matinée pour être remplacés par des tours d'habitation entourées de broussailles ou de complexes industriels qui ressemblaient à des colonies pénitentiaires intergalactiques laissées à l'abandon. La Roumanie ne serait bientôt plus qu'un immense no man's land sans passé."
Les cent derniers jours page 396
Michel MOUTOT
«C’est un boulot dur, effrayant, dangereux et, avec tout ce qui se construit, il manque de monde. Ceux qui y parviennent sont peu nombreux, et ceux qui le font bien moins nombreux encore. C’est pour ça qu’ils font de la place aux Indiens. Dans ce pays, quand tu sais faire quelque chose dont ils ont besoin et que rares sont ceux qui peuvent te faire concurrence, la couleur de la peau n’a plus d’importance. Ce serait la même chose si nous étions nègres, tu verras qu’un jour il y en aura avec nous sur les ponts. Ne crois pas qu’ils t’apprécient parce que tu es mahawk. Ils apprécient que tu bosses vite et bien, sans causer de problèmes et sans te mettre en grève pour une augmentation. Après, que tu portes une plume ou un chapeau melon, ils s’en foutent. C’est à nous de gagner notre place. Et ce pont, à Québec, c’est une chance unique. Après celui-là, nous irons dans tout le pays, et dans toute l’Amérique. Aucun autre boulot auquel nous pourrions prétendre ne paie mieux que celui-ci. Et l’on est dehors, dans le ciel, comme des oiseaux, pas enfermés dans une usine...»
Ciel d’acier pages 291-292
Eric REINHARDT
«Or, non seulement elle n’en avait jamais parlé à personne, mais elle s’efforçait de faire croire à tout le monde que leur couple fonctionnait à merveille, qu’ils étaient parvenus, Jean-François et elle, contrairement à la majorité des gens, à perpétuer l’émotion initiale, l’attirance sexuelle, le désir d’être ensemble. Les ambitions qu’elle attachait au devenir de son couple avaient toujours été tellement élevées qu’elle n’avait jamais pu se résoudre à ne pas afficher, au regard de l’extérieur, même quand les choses avaient commencé à ne plus très bien marcher, les apparences d’une réussite incontestable, par orgueil certainement, ou par manque de courage, mais aussi parce qu’elle n’avait jamais désespéré qu’un beau jour la situation finisse par s’arranger, par pur idéalisme adolescent. En simulant que tout allait bien, mieux encore : en propageant l’exemple d’une plénitude conjugale à ce point rayonnante qu’elle humiliait, rendait envieux et rancuniers tous ceux qui en étaient les spectateurs, Bénédicte Ombredanne se vengeait sans doute sauvagement, aussi, il arrivait qu’elle se l’avoue, de ses espoirs trahis - elle éprouvait une sorte de joie malsaine à attiser chez les autres ce dont elle-même agonisait en secret.»
L'Amour et les forêts page 150
Olivier ROLIN
«Et tous les autres dont les visages plus lointains sont là dans l'ombre. Le temps est venu où les répertoires sont pleins d'adresses dont on ne poussera plus jamais la porte, de numéros de téléphone qu'on ne composera plus jamais - mais les rayer serait une profanation. Ces inscriptions sont comme les fantômes qui marquent dans les bibliothèques la place des livres absents. Cela fait des années que ça a commencé, ce lent effacement du monde, et la disparition des proches qui au début me semblait une effraction scandaleuse du néant dans la vie a pris désormais, tout en restant aussi choquante, la forme de l'inéluctable et presque de l'habituel. Il me semble que je dois en parler, même si je me suis promis d'exclure autant que possible l'intime de ce récit, ou de ne l'évoquer que lorsque c'est le monde extérieur qui le suscite, car cette attrition du territoire de l'amitié est une des raisons du mouvement qui m'emporte loin sur les routes du vaste monde : je m'éloigne d'un monde peu à peu, opiniâtrement déserté. Mes amis morts, dont l'absence me pèse, me font de plus en plus léger, une plume prête à s'envoler, un "bateau frêle comme un papillon de mai.". Ce livre est un livre sur le monde et sur l'éloignement du monde.»
Extérieur monde, pages 178-179
«Une vie n'est pas que sa propre petite vie individuelle, celle dont on croit être le détenteur, qui a commencé un jour lointain et finira un autre jour, plus proche, elle est faite de ces innombrables rencontres, même celles qui sont restées sans lendemain, mais dont on emporte tout de même quelque chose comme elles emportent quelque chose de vous. La vie n'est pas une ligne, une trajectoire, elle est un arbre infiniment ramifié et feuillu, une chevelure immense. Ces autres vies ont à petits coups forgé la tienne, et dans ces destins que tu ne connais plus, au Pérou, au Soudan, en Russie, partout où tu es passé, une part infime de toi continue à vivre - ou meurt - sans toi. C'est cela, en fin de compte, dont tu veux essayer de donner une idée - tu viens enfin de le comprendre nettement.)»
Extérieur monde, pages 236-237
«Le chemin côtier emprunte le tracé de la bretelle ferroviaire qui menait de la gare jusqu’à l’entrée du camp. On voit encore, enfoncées dans le sol sableux, des traverses, et sur les côtés les pierres du ballast. (Emotion de voir se matérialiser des choses qui viennent de la double immatérialité du passé et des lectures : ce qui est advenu il y a très longtemps, que je ne connais que par des livres, en voici la trace concrète, ici et maintenant). A la descente des wagons, on était accueilli à coups de poing et de crosse, d’après les souvenirs de l’écrivain Oleg Volkov.»
Le météorologue, page 82
«On le traîne dans une salle où sont déjà allongés d’autres corps ligotés, certains ensanglantés. Lingots de chair humaine. «L’homme est le capital le plus précieux», a écrit le camarade Staline. Lorsque le chiffre est atteint, une cinquantaine, on les jette dans la benne de deux camions. Les gardes les tasse à coups de botte, étendent sur eux une bâche, s’assoient dessus, les camions démarrent. Corps nus, collés les uns aux autres, entravés, piétinés, sanglants, tremblants de froid et d’horreur : voilà la fraternité incontestable dont a accouché la Révolution. Ce genre de pensée lui traverse-t-il l’esprit ? Pense-t-on à quelque chose lorsqu’on est mené, lié, à l’abattoir ? On est au début de novembre, sans doute la première neige est-elle tombée, le lac Onéga doit être en train de geler.»
Le météorologue, page 180
Abnousse SHALMANI
"Qu'est-ce qui motivait professeur " lavage de mains" dans sa pédagogie de dénigrement de la femme? Il nous louait d'être de futures épouses pudiques, propres et quand même instruites. Il faut savoir lire et écrire pour soutenir le père, l'époux et le frère. Mais il nous trouvait dangereuses. C'est peut-être là, dans cet aveu de faiblesse, que se trouve l'une des clefs pour sortir du schéma figé où la tradition a enfermé la femme. J'ai huit ans et je fais si peur que ça? Avec mes cheveux, mes poignets et mes chevilles de rien du tout, je fais peur à un homme tellement plus vieux ? Au point que je dois me fondre dans le décor et que même après ça, il n'ose pas me regarder? Mais alors? J'ai des super-pouvoirs? Toutes les femmes ont des super-pouvoirs? Mais alors quoi, pourquoi acceptent-elles de cacher si docilement leurs pouvoirs sous le voile ? Si cette question m'a taraudée toute ma vie, je ne l'ai résolue en partie que plus tard, à Paris, alors que le "problème du voile" déchirait la société et la classe politique. En attendant ce jour, je ne savais qu'une chose : j'avais un super-pouvoir, mais personne ne le savait."
Khomeiny, Sade et moi page 80
"Sade est une expérience davantage qu'une lecture. Il est un passage secret vers la Raison en passant par les abysses de l'enfer. Il faut se mesurer à Sade pour grandir. (...) Après Sade, mon cerveau allait fonctionner autrement. Après Sade, tout ce que j'écrirais, tout ce que je voudrais transmettre ne passerait que par Sade. Est-ce que cela va bouleverser une croyance ? Est-ce que cela démonte un préjugé ancestral ? Est-ce que cela est digne du divin marquis ? Est-ce que je suis à la hauteur des mots qui bouleversent, des mots qui font mal, des vérités qui ne se disent pas ? Est-ce que je fais frémir Khomeiny dans sa tombe ? Est-ce que les mots sont des armes assez affûtées ? (...) Ma volonté est toujours la même : remuer, penser à côté, bouleverser."
Khomeiny, Sade et moi page 208
"Il y a toujours pourtant des rencontres qui s'augurent mal à cause de mes jupes et de mes talons, du rouge sur mes lèvres et de mes colliers multicolores. Il y a toujours un doute dans le regard de mes interlocuteurs et j'ai su le décrypter assez rapidement : j'ai l'air d'une pouffe. Au mieux. D'une conne. Au pire. C'est peut-être très français : les femmes intellectuelles ressemblent à des hommes. Elles s'habillent de pantalon et se maquillent "nude". Il y a toujours le moment de surprise dans le regard des nouvelles rencontres quand j'ouvre la bouche. Il y a un raccord entre ma jupe et mon cerveau qui met du temps à se faire. (...) Il y a un vrai problème entre le cerveau et la jupe. Comme si la jupe court-circuitait le cerveau et l'empêchait de se développer normalement. J'ai trop l'air d'une femme pour avoir un cerveau."
Lionel SHRIVER
"- Ecoute...
- J’ai fixé mon regard sur la route.
- On n’a pas encore parlé de ça, mais je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer... que depuis la dernière fois qu’on s’est vus... tu as un peu forci.
Edison s’est esclaffé en se tapant le genou.
- «Oh, mais dites-moi, monsieur Quasimodo, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous êtes un peu voûté.» «Excusez-moi, monsieur le loup-garou, mais je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous êtes un peu velu.» J’imagine que tu as finalement «remarqué» que l’Empire State Building est un peu haut, que le Soleil est légèrement lumineux et que la Terre est un chouia arrondie."
Big Brother pages 107-108
«Là encore, il m’a fallu attendre des années pour constater à ma grande surprise, quand j’ai commencé à m’entretenir avec des gens des deux camps qui avaient fait la guerre, qu’eux non plus - pas plus que mon père, qui me l’avait assuré catégoriquement - n’avaient, jamais au grand jamais, tué qui que ce soit. La guerre civile espagnole est ainsi la seule guerre de l’Histoire qui a fait cent mille morts sans que personne n’ait tué personne. Sans parler des trois cent mille exécutions perpétrées à l’arrière-garde ou après la fin du conflit. A ce jour et à ma connaissance - or, j’ai exploré le sujet à travers des milliers de pages de livres, de Mémoires, de journaux, de confessions politiques, de compte rendus judiciaires -, jamais personne n’a avoué cette simple chose: «J’ai tué.» L’insurmontable tabou."
Plus jamais ça page 39
Delphine de VIGAN
"Combien de fois a-t-elle souhaité tomber malade, gravement, combien de symptômes, de syndromes, de défaillances a-t-elle imaginés, pour avoir le droit de rester chez elle, le droit de dire je ne peux plus? (...) Combien de fois a-t-elle pensé qu'on pouvait mourir de quelque chose qui ressemble à ce qu'elle vit, mourir de devoir survivre dix heures par jour en milieu hostile ?"
Les heures souterraines page 41
"Aujourd'hui il lui semble que l'entreprise est un lieu qui broie.
Un lieu totalitaire, un lieu de prédation, un lieu de mystification et d'abus de pouvoir, un lieu de trahison et de médiocrité."
Les heures souterraines page 168
Un lieu totalitaire, un lieu de prédation, un lieu de mystification et d'abus de pouvoir, un lieu de trahison et de médiocrité."
Les heures souterraines page 168
Très bonne idée cette rubrique de citations ! C'est un plaisir de découvrir quelques extraits de Khomeiny, Sade et moi dont tu m'as vanté les mérites :)
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire, qui me fait doublement plaisir !
SupprimerD'abord parce que, ayant l'impression que cette rubrique n'était pas très consultée, j'avoue l'avoir complètement laissée tomber... Pourtant, je l'aimais bien. Il faudrait peut-être que je songe à la relancer...
Et ensuite et surtout parce que tu as pu, en effet, y retrouver une auteure qui me tient très à coeur. J'espère t'avoir donné envie de la découvrir :-)