dimanche 18 mars 2018

Une ville à coeur ouvert

Zanna Sloniowska

Delcourt, 2018


Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez


Connaissez-vous Lviv (prononcez Liviv) ? Ou peut-être Lvov (Lvof) vous est-il davantage familier ? A moins que vous n’ayez entendu parler de Lwow (Lvouf) ? Il faut dire que, compte tenu de sa situation géographique, la ville aujourd’hui ukrainienne dont il est question dans ce roman a connu une histoire plutôt mouvementée, passant tour à tour sous domination autrichienne, polonaise et russe - sans compter un épisode d’occupation allemande sous la Seconde Guerre mondiale. C’est dire si cette ville et sa population ont subi de profonds traumatismes.

A travers les destinées de quatre générations de femmes vivant sous le même toit, c’est cette histoire qu’il nous est donné de découvrir et c’est l’arrière-petite-fille d’une famille d’où les hommes sont totalement absents qui nous la raconte.
Pour la narratrice, le premier des traumatismes, intervenu alors qu’elle n’était âgée que de 7 ou 8 ans, fut la mort de sa mère, assassinée par le régime soviétique, alors que celle-ci avait pris la tête d’un mouvement d’opposition. En partant de cet événement, la jeune femme déroule le fil de ses souvenirs et de ses interrogations, traçant le portrait de sa mère et de ses deux aïeules.

Ce roman ne se laisse pas facilement appréhender. Car il faut bien dire que le choix narratif adopté par la romancière ne facilite pas toujours l’orientation du lecteur. Elle laisse en effet les errances psychologiques et les digressions de son héroïne conduire le récit, qui n’est donc en rien chronologique. Un dispositif fragmenté pouvant se révéler tout à fait justifié, mais déstabilisant pour qui ne connaît pas parfaitement l’histoire elle-même chaotique de la ville dans laquelle s'inscrivent les personnages. Heureusement, la traductrice a pris le soin de rédiger une note liminaire présentant les principaux tournants historiques, précieux sésame pour se repérer dans cette histoire chaotique.

Si j’avoue m’être trouvée un peu désorientée par ce récit, j’ai néanmoins apprécié les portraits qui en constituent également la trame. Quatre femmes, quatre personnalités dont les parcours permettent aussi de saisir ces fractures historiques. De Stasia, l’arrière-grand-mère dont le mari fut arrêté chez lui, à Leningrad, au beau milieu d’une nuit de 1937 et qui en garda sa vie durant une terreur viscérale, redoutant le moindre coup de sonnette nocturne, d’Aba, la grand-mère dont le mari officier de l’Armée rouge sombra dans la dépression avant de mourir d’une cirrhose du foie, à Marianna, talentueuse chanteuse lyrique qui sacrifia sa carrière à son engagement politique en faveur du mouvement nationaliste ukrainien, et enfin à la fille de celle-ci, née de sa brève liaison avec un jeune architecte épris comme elle de poésie, l’auteure évoque de manière sensible et intimiste l’histoire de l’Ukraine. 

A la manière d’un tableau impressionniste, c’est par petites touches, à travers les réflexions des personnages et leurs dialogues, que Zanna Sloniowska restitue sa vision de ce pays : au terme de la lecture, l’empreinte laissée par le régime soviétique, les souffrances endurées par la population et la difficulté à s’inscrire dans une histoire souvent brutale s’y laissent finalement nettement percevoir.


Merci aux Editions Delcourt qui m'ont permis d'avoir, par le biais de cette auteure, un aperçu de l'histoire et de la littérature d'un pays que je connais bien mal. 


27 commentaires:

  1. Je suis en train de le lire... heureusement j'ai entendu l'auteure la semaine dernière parler de son livre, ça aide à se situer dans le roman. Je suis d'accord avec le portrait par petites touches. Bref, je ne suis pas enthousiaste outre mesure, mais je continue!

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    1. C'est comme les tableaux pointillistes, c'est avec le recul que l'ensemble prend forme ;-)
      Du coup, je te lirai (enfin, c'est idiot, je te lis toujours :-))

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    2. Mais non, ce n'est pas idiot ! ;-)

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  2. J'ai bien l'intention de le lire mais je préfère découvrir cette écrivaine en polonais. En tout cas, j'adore la couverture de la traduction française.

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    1. C'est sûr, quand on a la chance de pouvoir lire un livre en VO, il ne faut pas se priver. Mais j'espère que tu nous donneras ton avis en français :-)

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  3. Je pourrais être intéressée par le thème, mais je crains de buter sur le style narratif.

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    1. C'est vrai qu'il faut un peu de temps pour rentrer dedans, mais l'approche est intéressante.

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  4. Je l'ai déjà vu sur un blog (oui, lequel? ^_^) et comme il est à la bibli! (ou le sera)...

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  5. Un de mes compatriotes belges en a parlé à la radio et il était super emballé! A voir si je le croise à la bibliothèque (je risque peut-être d'attendre mais je le note)

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    1. Etait-ce une émission qui se podcaste ? Je serais curieuse de l'entendre.

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    2. Suffit de demander :-)
      https://www.rtbf.be/auvio/detail_a-lire-a-voir-a-ecouter?id=2311817

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  6. Je ne suis vraiment pas fan des digressions (j'aime qu'on aille droit au but) mais ce serait l'occasion de découvrir la littérature ukrainienne.

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    1. Il est certain que les occasions ne sont pas si fréquentes, et là, on apprend quand même pas mal de choses sur ce pays. Pour moi, c'était une découverte.

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  7. Je pense que je me limiterai à admirer cette superbe couverture :-)

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    1. Elle est magnifique et en parfaite adéquation avec le texte. Bravo à l'éditeur !

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  8. Intéressant... Il y a des lieux comme celui-ci qui concentrent un maximum de meurtrissures et sont forcément générateurs de récits et d'inspirations diverses. Je n'arrive pas à me souvenir d'un livre dont j'ai récemment entendu parler et qui prend je crois le même lieu pour cadre... ça va me revenir peut-être :-)

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    1. Quand ça te reviendra... je veux bien avoir l'info :-)

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    2. Retour à Lemberg de Philippe Sands (merci Google !)... je l'avais entendu à LGL et j'ai bien envie de lire ce livre qui n'est pas un roman mais en a tous les ingrédients...https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/01/23/lviv-lemberg-sands/

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    3. Retour à Lemberg c'est passionnant et pour les grandes lectrices que vous êtes... Et par les temps qui courent, comprendre ce qu'ont été les procès de Nuremberg, les premières notions et actes de droit international, rappeler les années noires du XXème siècle. Brigitte, de Poitiers

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    4. Eh oui, Brigitte, la littérature est aussi un moyen de témoigner, de se souvenir. Certains ont un véritable talent pour cela.

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  9. Le fond du roman, son histoire, l'Ukraine peuvent assurément me captiver mais j'avoue que j'aurai un peu peur de me perdre.

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    1. Il demande un peu d'attention, mais ce n'est pas insurmontable, quand même ! Il reste vraiment intéressant, je trouve.

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  10. je connais peu l'histoire de l'Ukraine mais le thème m'intéresse!est-ce qu'il faut réviser avant de le lire?

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    1. Non ! Il y a une précieuse note liminaire de la traductrice au début du livre. Moi-même je ne connaissais rien à l'histoire de cette ville. Pour tout dire, je n'en avais même jamais entendu parler !

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  11. C'est vrai qu'on se trouve parfois un peu désarçonné devant des romans où l'histoire d'un pays méconnu entre en jeu. Si la forme littéraire n'aide pas, il faut d'autant plus s'accrocher, mais on peut ainsi faire de belles découvertes.

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