vendredi 27 juin 2014


Les origines de l’amour

Kishwar Desai

L’Aube, 2014


Traduit de l'anglais (Inde) par Benoîte Dauvergne





Un roman traitant d'une question qui agite fortement nos sociétés: celle de la gestation pour autrui.

Il est assez rare que je lise deux polars à la suite. Mais le hasard m’a mis Le jardin de bronze et Les origines de l’amour au même moment entre les mains et, pour des raisons différentes, je devais les lire rapidement (le premier pour le rendre ensuite à la personne qui me l’avait prêté, le second parce que l’ayant reçu dans le cadre d’une opération Masse critique de Babelio, j’avais un mois pour en faire la critique).

Si j’avais sélectionné Les origines de l’amour parmi tous les ouvrages proposés par Babelio, c’est parce que j’ai une forte inclination pour la littérature indienne. Bien que je n’aie jamais mis mis les pieds sur ce sous-continent, j’avoue être assez captivée et séduite par cette culture hors du commun !

Or, plus qu’une immersion dans ce pays, ce livre nous propose de découvrir le monde de la gestation pour autrui et les juteux bénéfices que celle-ci peut générer. De ce point de vue, la quatrième de couverture - que je n’avais pas lue au préalable - est sans ambiguité. De Delhi et Mumbay à Londres, ce roman met le doigt sur une organisation mondialisée capitalisant à la fois sur des désirs qui peuvent apparaître comme légitimes - celui d’avoir un enfant - et le profond dénuement d’une population qui se trouve réduite à louer son ventre, voire fournir ses ovocytes, pour pouvoir satisfaire à ses besoins élémentaires. 

Si j’ai été un peu frustrée par le fait que le roman ne produise pas vraiment un portrait de l’Inde - de nombreux protagonistes sont européens et une bonne partie du roman se déroule à Londres - il faut bien avouer que le contexte économique et politique de ce pays favorise l’intolérable exploitation humaine que la gestation pour autrui entraîne inévitablement. En effet, la corruption et l’extrême pauvreté rendent possibles tous les excès que l’on peut redouter et que d’autres pays s’efforcent de contenir par une législation encadrant strictement ces pratiques.

En Inde, comme dans d’autres pays du reste, il est possible de faire porter un enfant par une tierce personne contre rémunération. Les futurs parents peuvent choisir la femme qui portera leur enfant et fournira éventuellement ses ovules comme sur un catalogue : taille, couleur des cheveux ou de la peau, niveau d’études, religion...
Les candidates semblent se bousculer au portillon, soit parce que cette activité leur permet de gagner ce qui leur apparaît comme une importante somme d’argent dont elles ont besoin pour faire soigner un membre de leur famille ou élever leurs enfants, soit parce que leurs propres mari y voient une opportunité d’enrichissement aisément accessible... 
Mineures enchaînant les grossesses, femmes accouchant par césarienne pour rentrer dans les exigences de plannings des parents commanditaires, containers d’embryons séquestrés par une police peu scrupuleuse qui en marchande ensuite la délivrance ou conditions de «recrutement» des mères porteuses, le roman met en scène une gamme de situations toutes plus révoltantes les unes que les autres.
En postface, l’auteur nous assure que tout ce qu’elle a mis dans son roman est vrai... et on n’en doute guère !

Le livre se lit bien, même si je ne l’ai pas littéralement dévoré. Mais ce qui est certain, c’est qu’il a le mérite de nous mettre en garde contre tous les excès de la gestation pour autrui et ne fait que renforcer le bien-fondé d’un encadrement législatif très strict de ces pratiques. Et achève de nous convaincre de la nécessité de proscrire toute forme de transaction financière. 
A l’heure où la Cour européenne des droits de l’Homme vient de condamner la France pour son refus de transcrire à l’état civil la filiation des enfants français nés de gestation pour autrui pratiquée à l’étranger, relançant ainsi une polémique aux vastes ramifications, ce roman apporte un précieux éclairage.
Je remercie les Editions de l'Aube et Babelio de m'avoir permis de le lire.
   

    

vendredi 20 juin 2014

A l'approche des vacances, vous cherchez sans doute 
des livres à glisser dans votre valise...

Pour vous aider à faire votre choix, voici un petit rappel 
de mes coups de coeur 2014.




Et si vous hésitez, prenez les quatre !
Aucun ne ressemble à l'autre ; ils sont tous très personnels et d'une lecture captivante. 
Un vrai bonheur à déguster tout au long de l'été !

Très bonnes vacances et très belles lectures à tous !

Et, à la rentrée, n'hésitez pas à venir faire un petit tour ici-même, 
du côté de ma bibliothèque, pour partager vos impressions...

dimanche 15 juin 2014


Le jardin de bronze

Gustavo Malajovich

Actes sud, 2014


Traduit de l'espagnol (Argentine) par Claude Fell

☀ 


Un polar bien mené, loin des thrillers ultra-violents.

Un polar comme je les aime: pas de sang, ou presque, en tout cas aucune scène de violence gratuite, mais une tension psychologique qui monte tout doucement au fil des quelque 520 pages pour culminer dans un terrible dénouement.

Buenos Aires, fin des années 1990. La petite Moira, 4 ans, disparaît avec sa baby-sitter qui l’accompagnait à un goûter d’anniversaire.
Je me méfie grandement des récits d’enlèvement ou de meurtre d’enfants, qui n’ont aucun mal à jouer sur la corde sensible que constitue ce type de sujet pour tout lecteur ayant lui-même des enfants. Mais ici, pas d’effet de dramatisation excessive. Certes, on perçoit l’immense détresse des parents, mais l’auteur ne s’appesantit pas dessus. Les années passent, et Fabian, le père, qui s’était résigné à la perte de sa fille, entrevoit une nouvelle piste et décide de mener lui-même l’enquête avec l’aide d’un ami détective privé, qui l’avait contacté à l’époque du rapt. C’est sans doute cette seconde partie du roman qui est la plus réussie.
Le héros fait alors des découvertes inattendues, et le roman conjugue la conduite d’un suspens haletant au récit intime d’une effroyable tragédie. 

La quatrième de couverture précise que Le jardin de bronze est le premier volet d’une série. A suivre, donc...  

lundi 9 juin 2014


La nuit de Maritzburg

Gilbert Sinoué 

Flammarion, 2014




Découvrez Gandhi sous un jour inattendu...

Ce n’est pas le premier de livre de Sinoué que je lis, et j’apprécie généralement son talent de conteur. En outre, le personnage de Gandhi, dont il retrace les années de formation, suscitait grandement mon intérêt. En effet, si je connais comme tout le monde cet apôtre de la non-violence, j’ignorais en revanche tout de sa personnalité et de sa trajectoire.

De ce point de vue, ce livre est tout à fait instructif: loin du personnage certes déterminé mais indulgent que l’on pourrait imaginer, on y découvre un Gandhi autoritaire et intransigeant plutôt inattendu... du moins au premier abord. Car si on y réfléchit bien, non-violence ne veut certainement pas dire indolence. Sinon, comment aurait-il pu faire plier la nation anglaise pour obtenir l’indépendance de son pays ?

C’est donc en Afrique du Sud que Gandhi a initié et affûté l’arme de la non-violence pour faire respecter les droits des Indiens qui s’y trouvaient alors et subissaient une discrimination. Sinoué nous permet de comprendre la stratégie de Gandhi : en refusant de s’opposer de manière frontale à l’oppresseur, il poussait ce dernier vers ses limites et ses contradictions, et le contraignait à devoir assumer les conséquences de sa politique au-delà de ce qu’il avait lui-même envisagé et de ce qu’il était en capacité de gérer. Il se voyait ainsi déstabilisé par une forme de résistance passive à laquelle il n’était pas préparé et ne savait clairement comment répondre. 

Il fallait sans doute une personnalité telle que celle de Gandhi pour que cette conception de la lutte aboutisse au succès que l’on sait. A lire le livre de Sinoué, «obstination» paraît un terme bien faible pour caractériser le Mahatma. Là où l’on s’attendait à découvrir un être d’une infinie tolérance, on voit un homme s’infligeant une hygiène de vie extrêmement stricte, voire d’une cruelle sévérité. Surtout, on apprend qu’il imposait à son entourage de suivre les règles qu’il avait édictées, n’hésitant pas à mettre leur vie en danger pour ne pas y déroger. C’est le portait d’un homme déterminé mais tyrannique qui nous est brossé.

Enfin, Sinoué nous fait toucher les limites de la philosophie de Gandhi lorsqu’à la fin du récit, il reproduit une lettre qu’il adressa à Hitler en juillet 1939. Interpellant son «cher ami» au nom de la sauvegarde de l’humanité, il le conjure en des termes fort déférents de tout faire pour éviter que n’éclate à nouveau la guerre. On imagine sans peine le crédit qu’accorda Hitler à un tel courrier...

Si le récit m’a parfois semblé un peu poussif, il offre néanmoins un intérêt historique et permet de mieux comprendre comment l’arme de la non-violence, qui pourrait paraître  vaine face à un oppresseur, peut permettre d’accéder à la victoire. Pour autant, une telle posture exige d’être inflexible et n’est pas sans faire de victimes. 
Un livre qui permet d’amorcer une réflexion intéressante.