dimanche 29 décembre 2013


Le dernier lapon

Olivier Truc
Points Seuil, 2013


Prix Quais du polar 2013
Prix Mystère de la critique 2013

☀ 


Voici un roman totalement dépaysant, qui vous propulsera dans le Grand Nord ! 


Premier roman d’un journaliste français correspondant permanent en Suède, ce polar a le mérite de nous faire voyager dans une région du monde plutôt méconnue : la Laponie. Bien sûr, lorsqu’on évoque ce nom, l’imagination va bon train. Surgissent d’immenses étendues neigeuses, des troupeaux de rennes, des aurores boréales... Mais que sait-on vraiment de ce qui se cache derrière ces images d’Epinal ?

C’est ce que s’attache à nous faire découvrir Olivier Truc, au travers d’une intrigue policière mêlant le meurtre d’un éleveur de rennes et le vol d’un précieux tambour traditionnel de chaman. Tout au long de quelque 450 pages, nous sommes conviés à suivre les pas d’un policier sami - autrement dit lapon - nommé Klemet et de sa jeune coéquipière Nina, dans les steppes enneigées.

L’histoire et les conditions d’existence d’un peuple sont ainsi retracées : on apprend tout des convoitises suscitées par les immenses richesses minières de ce territoire, qui ont amené les Suédois à coloniser les Lapons. Cela ne s’est évidemment pas fait sans douleur, et l’on apprend aussi qu’il a pu y avoir des luttes entre autonomistes samis et partis d’extrême-droite. L’auteur met en lumière les tensions existant entre les tenants d’une certaine tradition et ceux qui souhaitent profiter des apports modernes. Il dépeint également avec force détails les rites et le folklore de ce peuple vivant dans des conditions extrêmes. C’est là toute la force de ce roman, très documenté. Olivier Truc nous donne à entendre les joïk, les chants traditionnels, il nous fait entrer sous les gumpi, l’habitat des Samis... Il excelle à peindre le tableau vivant du Grand Nord.

Il y a quelques morceaux de bravoure, comme lorsque les habitants guettent le retour du soleil, apparaissant pour quelques minutes à peine, après les interminables semaines de nuit polaire. 

Tel est le cadre, fort instructif et dépaysant, de ce roman.
En ce qui concerne l’enquête policière, j’avoue ne pas avoir été totalement captivée. Le rythme est assez lent, les éléments peinent à se mettre en place et j’avoue avoir mis un certain temps à rentrer pleinement dans l’histoire. Il me semble que le roman aurait gagné à être un peu plus resserré. En bref, j’ai connu des polars plus haletants.
Toutefois, il ne s’agit que de mon avis personnel, et je me dois de faire écho aux nombreux lecteurs qui ont apprécié le sel de cette intrigue et qui se sont exprimés sur la Toile, sur le site de Babelio ou ailleurs. 
Alors, si vous êtes tenté par un petit tour en terre polaire, à vous de vous faire votre propre idée ! 

samedi 21 décembre 2013

La délégation norvégienne


Hugo Boris
Pocket, 2009



Ce livre surprenant, à l'atmosphère énigmatique, vous entraînera dans une étrange aventure littéraire.

Après la découverte de Trois grands fauves et d’un style de haute volée, je m’étais promis de lire d’autres œuvres d’Hugo Boris. C’est chose faite avec La délégation norvégienne, son deuxième roman, initialement publié en 2007.

Or, je reste un peu perplexe, même plusieurs jours après en avoir achevé la lecture.
Tout d’abord, je préciserais que je ne suis pas entrée dans ce texte aussi immédiatement que dans le précédent. Loin d’avoir la fulgurance des Trois grands fauves, ce roman est empreint de mystère, d’étrangeté. Le lecteur ne sait pas où se déroule l’action, le personnage principal ne lui est pas présenté (et les personnages secondaires ne le sont pas davantage). On est totalement privé de repères, certains protagonistes parlent français, d’autres allemand, d’autres enfin une langue scandinave... Tout ce que l’on finit par comprendre, c’est qu’ils se sont rassemblés  pour partager, le temps d’un court séjour, leur passion commune pour la chasse. Mais on se retrouve finalement au centre d’un huis-clos qui va devenir de plus en plus oppressant.  

J’avoue n’avoir pas été au premier abord séduite par le sujet, ni par le héros, qui ne suscite pas d’emblée la sympathie. Pourtant, à mesure que j’avançais dans le roman, j’étais happée par l’atmosphère singulière qui s’en dégageait.

Il est particulièrement ardu de parler de ce roman sans en révéler le ressort, dans la mesure où l’auteur opère peu à peu une mise en abîme, sur laquelle il serait vraiment dommage de lever le voile.
Ce que l’on peut simplement indiquer, c’est que le lecteur devient progressivement partie prenante de l’intrigue et qu’il est invité à jouer un rôle actif.
La démarche de l’auteur apparaît donc comme assez originale et interroge sur la place du lecteur dans une oeuvre littéraire. La question est, finalement, un texte n’a-t-il d’existence que s’il est lu ? 

Une expérience littéraire intéressante, donc, et une ouverture sur une réflexion qui ne l’est pas moins, un style élégant, mais un livre qui n’a pas encore la beauté et la puissance qui caractérisent selon moi la dernière œuvre en date d’Hugo Boris. 

Pour conclure, je soulignerais ce qui fait pour moi l’une des qualités d’un auteur: la capacité à se renouveler, à produire des textes différents les uns des autres, sans se cantonner à un style ou un univers particulier. Là encore, Hugo Boris se distingue. Incontestablement un auteur à suivre.

dimanche 8 décembre 2013

Moscou-Babylone


Owen Matthews

Les Escales, 2013


Roman traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre



Un roman qui se lit d'une traite, nous proposant une vision décadante mais non dénuée d'humour du Moscou de l'ère post-communiste.


Le titre de ce roman est sans équivoque. L’auteur nous convie à un voyage dans la capitale russe, à un moment particulier de son développement : nous sommes dans les années 90, après la Glasnost, alors que Gorbatchev a cédé la place à Eltsine et qu’une nouvelle caste est en train de s’emparer du pouvoir. A l’austérité de l’ère communiste a succédé une ère que l’on qualifierait aujourd’hui de «bling-bling» où les signes extérieurs de richesse font l’objet d’une surenchère effrénée.  

C’est dans ce cadre que vient s’introduire Roman Lambert, jeune citoyen britannique tout juste diplômé d’Oxford, russe par sa mère, qui, las de sa vie londonienne sans éclat, s’envole pour Moscou, à la recherche d’une vie qu’il imagine plus flamboyante.

Au début du roman, les images se superposent entre une Russie éternelle, celle du narrateur, qui a lu Tolstoï et Dostoïevski, et le pays qu’il découvre, dans lequel des hommes ayant rapidement fait fortune se livrent à des soirées orgiaques et ne semblent  connaître ni limite ni morale. Moscou est alors une sorte d’eldorado où se mêlent des hommes de tous horizons, de toutes nationalités.

Roman raconte son irrésistible ascension. Plus ou moins fasciné par les bad boys qu’il côtoie, il se rêve comme eux, tout en ayant conscience qu’il lui est moralement impossible d’y parvenir. De par son origine étrangère, il vit un décalage entre ce qu’il est, ce qu’il  s’était imaginé et ce qu’il rencontre.
Et c’est là la force de ce roman. Comme d’autres avant lui, - et c’est aussi le cas notamment de Patrick McGuinness dans Les cent derniers jours
- Owen Matthews use de ce procédé ultra-classique, mais ô combien efficace, qui consiste à sortir un personnage de son milieu pour le propulser dans un autre, extrêmement différent. Ainsi peuvent être mis en lumière certains caractères d’un pays et d’un peuple, émanant d’une tradition, d’une culture, de contraintes géographiques ou climatiques, dans un tableau mêlant à la fois humour et tendresse.

Ce qui est particulièrement intéressant ici c’est que le dialogue entre deux cultures se double de celui entre un pays rêvé, la Russie de l’époque tsariste, et la Russie post-communiste. Pris en étau, Roman a du mal à trouver sa place. Il perd ses propres repères et, dans une réminiscence sans doute des héros dostoievskiens, en vient à accomplir un meurtre qui le dépasse, dont il ne serait que l’instrument d’une justice qu’il ne contrôle pas.

Avec talent, Owen Matthews nous offre le portrait d’une ville qu’à n’en pas douter il aime profondément, en dépit de ses travers et de ses excès. Dans une sorte de postface, il prend soin toutefois de nous rappeler qu’il s’agit d’un roman, et donc d’une vision personnelle qui ne saurait prétendre à l’universalité.
En tout cas, un roman réussi !


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