mardi 21 janvier 2025

Le procès Mein Kampf

Harold Cobert
Les Escales, 2025

La couverture annonce d’emblée la couleur : « Quand Hitler interdisait Mein Kampf », proclame-t-elle presque à la manière d’un slogan. Ces mots, on les lit avant même de découvrir le titre et le nom de l’auteur. Etaient-ils nécessaires ? Je dois bien admettre que, pour ma part, ils ont suscité ma surprise, et peut-être sans eux ne me serais-je pas intéressée à ce roman. Car j'ignorais complètement qu'Hitler ait pu interdire son propre livre, et il fallait donc entendre ce « procès Mein Kampf » d’une toute autre manière que celle que l’on pouvait imaginer.

Car ce procès est celui que le Führer intenta lui-même - même si c’est un peu plus compliqué que cela - à l’éditeur français qui, bravant l’interdiction que l’auteur en avait faite, assura la publication de sa traduction dès 1934. Or si ce livre était pourtant disponible dans de nombreux pays, Hitler tenait fermement à ce que les Français n’y aient en revanche pas accès. Pour quelle raison ? Parce que de nombreux passages qui clamaient sa haine de notre pays contredisaient les déclarations pacifistes qu’il multipliait depuis qu’il était devenu chancelier. On connaît la suite.


Ce qui est particulièrement intéressant à la lecture du texte d’Harold Cobert, c’est de découvrir l’étonnant attelage qui présida à la publication en France de Mein Kampf. L’extrême droite et la Ligue internationale contre l’antisémitisme s’allièrent en effet pour mener ce projet à bien, tous voyant dans ce texte à valeur programmatique un terrible danger, même si les uns entendaient alerter l’opinion sur la menace que faisait peser Hitler sur la souveraineté nationale tandis que les autres craignaient les conséquences d’un antisémitisme virulent. Le gouvernement français, croyant quant à lui oeuvrer à la paix, céda aux injonctions de l’Allemagne et manoeuvra pour tenter d'éviter à la fois le procès et les tensions diplomatiques, et s’entêta dans un aveuglement qui permit au chancelier d’accomplir son sinistre projet.


En faisant le choix du roman, Cobert rend toute l'affaire extrêmement accessible, ce qui n'est pas la moindre des qualités d'un texte que l'on aurait peut-être davantage attendu sous une forme documentaire. Outre l’intérêt du rappel historique, c’est bien l’attitude des différents protagonistes qui doit retenir notre attention. A l’heure où l’antisémitisme ne cesse de croître, où les situations de tension internationale et de guerre se multiplient, où les populismes et l’extrême droite se développent et nouent des alliances au-delà des frontières, les événements du siècle passé résonnent d’un lugubre écho. Tandis que les fake news, les provocations et autres vociférations se multiplient, la plus grande vigilance et la plus grande lucidité sont de mise. Ou devraient l’être, si nous voulons éviter le pire.



  


samedi 18 janvier 2025

Le lit clos

Sophie Brocas
Mialet-Barrault, 2025



Novembre 1924. La colère gronde parmi les ouvrières de la conserverie de sardines de Douarnenez. Alors qu’elles sont corvéables à merci, tributaires de l’arrivée au port des bateaux de pêche, soumises à des cadences strictement réglementées, elles réclament l’augmentation de leur tarif horaire à 1 franc. Emmenées par Louise, républicaine convaincue, elles entament un mouvement de grève. 


En dépit de ses valeurs conservatrices, Rose admire l’audace et la force de conviction de Louise. Cette jeune paysanne qui a été contrainte de venir travailler en ville après la mort récente de sa mère ne tarde pas à rejoindre les rangs des grévistes. Et s’installe à demeure chez celle qui est devenue son amie, afin que son père ne devine rien de ses activités. 


A la faveur de cette nouvelle intimité partagée, le lien de solidarité - de sororité, dirions-nous aujourd’hui - qui les unit glisse rapidement vers un sentiment d’une autre nature, qu’il convient, dans cette Bretagne pieuse et traditionnelle, de cacher. Mais est-il si facile de tourner définitivement le dos aux valeurs qu’on vous a inculquées ? Tandis que l’une se voit rattrapée par ses rêves de mariage et de stabilité, l’autre va rejoindre Paris pour tenter de mener une existence plus libre.


Sophie Brocas fait le portrait de deux femmes de leur époque, retraçant l’un des grands mouvements ouvriers féminins du début du XXe siècle avant de glisser vers la restitution du Paris artistique et avant-gardiste d'alors. On voit à cette occasion surgir les figures de Picasso ou de Fernand Léger réunis dans les soirées d’une comtesse résolument anticonformiste. 


Le tout se lit avec une grand facilité. Une trop grande facilité, serais-je tentée de dire : tout va très vite dans ce roman où les personnages semblent s'accommoder assez aisément de leur situation et où les obstacles sont levés à peine apparus. Sans doute l’auteure a-t-elle voulu embrasser beaucoup de sujets - revendications ouvrières, amours saphiques, avant-gardes artistiques, ascension sociale… - dont chacun pourrait faire en soi l’objet d’un récit, plus approfondi et rendant mieux compte de leur complexité. Pour ma part, je suis restée un peu sur ma faim. A lire si on n'a pas d'attentes démesurées...


mercredi 15 janvier 2025

Vers les îles Eparses

Olivier Rolin
Verdier, 2025

Olivier Rolin est un grand voyageur. De ses multiples explorations il a tiré des textes inspirés, où ses observations tantôt émerveillées tantôt implacables côtoient un imaginaire nourri de références littéraires. A plus de soixante-dix ans, il n’a pas renoncé à partir à la découverte de contrées lointaines. Ainsi, en 2022, en remerciement d’une préface écrite pour l'édition d’un texte de Thucydide publié par les éditions de l’Ecole de guerre, fut-il invité à embarquer sur un bâtiment militaire à destination du canal du Mozambique.  

Malgré tout, l’âge est là. Pas tant celui de ses articulations ou de ses artères - qui limite cependant ses mouvements - mais celui qu’il perçoit dans l’oeil de l’équipage. La plupart des membres qui le constituent pourraient être ses petits-enfants. D’emblée une forme de déférence teintée d’une pointe de goguenardise instaure une distance entre eux et lui. Pour la première fois peut-être, il se voit comme « un vieux », et ce voyage, songe-t-il, semble devoir le conduire non pas vers l’océan Indien, mais vers la mer de la Sénilité…

Si l’art de faire surgir toute une faune, de restituer une ambiance, de nous donner à voir la singularité des paysages qu’il traverse est bien là, ce texte possède avant tout un caractère intime qui le rend attachant. En dépit des notes d’humour que Rolin s’efforce de mettre dans ces pages, il y a quelque chose d’émouvant à voir un homme confronté au regard qui est porté sur lui, un regard dans lequel il peine à se reconnaître. Et cela nous touche peut-être d’autant plus que c’est celui auquel chacun d’entre nous risque bien, tôt ou tard, d’avoir à faire face…


 

     

samedi 11 janvier 2025

Bristol

Jean Echenoz
Minuit, 2025


Est-ce le même auteur qui est à l’origine de ce livre sur Ravel, si fin et si profond, que j’ai lu l’année dernière et de l’objet qui nous est proposé aujourd’hui ? S’agit-il bien de cet écrivain présenté comme l’une des figures majeures de notre littérature contemporaine, célébré il y a quelques années par une exposition au centre Pompidou ? J’ai peine à le croire, tant ce Bristol m’est apparu indigent. 


De quoi y est-il question ? D’un médiocre cinéaste réalisant un médiocre film. Un peu léger, pensez-vous ? C’est sans doute ce qu’a dû songer l’auteur lui-même en décidant d’y adjoindre une vague intrigue policière. Malheureusement, celle-ci n’ayant guère plus de consistance, sa résolution se perd dans les méandres de bavardages sans substance… 


Mais, me direz-vous, en littérature l’essentiel réside dans la forme. Ainsi la force d’un style peut-elle transmuer le sujet le plus ténu en véritable chef-d’oeuvre ! Certes, mais il ne suffit pas pour cela d’accumuler les mots savants et inusités comme Echenoz semble beaucoup s’amuser à le faire. Grand bien lui fasse, mais infliger ses fantaisies au lecteur risque de laisser celui-ci sur le bas-côté : fatigué de consulter vainement son dictionnaire, il finit par renoncer à chercher le sens de mots échouant à conférer la moindre épaisseur à ce texte…


Je sais qu’Echenoz a ses aficionados : soit ils me disent que ce roman est un incident de parcours - cela arrive aux meilleurs - soit ils m’expliquent ce qu’ils y trouvent. Pour le moment, qu’il s’agisse de la pleine page que Le Monde des livres a consacrée à l'auteur ou des quelques déclarations laudatives que j’ai pu lire ici où là, elles ne m’ont guère convaincue…








mardi 7 janvier 2025

La colline qui travaille

Philippe Manevy
Le Bruit du Monde, 2025


Pourquoi écrit-on ? Sans doute les raisons de ce geste obéissant à une nécessité intérieure sont-elles multiples, et pas toujours formulées de manière consciente. C’est pourtant la question que pose d’emblée Philippe Manevy et à laquelle il répond aussitôt : pour combattre l’effacement et l’oubli. Issu d’une famille ordinaire, l'auteur conserve peu de traces des êtres qui l’ont précédé et qui ont  présidé à sa propre existence. Aussi s’efforce-t-il de remonter les branches d’un arbre généalogique dont les ramifications se révèlent rapidement ténues. Quelques disparitions prématurées ayant coupé court à toute descendance, de lourds silences autour de destinées jugées peu conformes aux valeurs familiales et le peu de documents que laissent les plus humbles confortent l’auteur dans sa démarche autant qu’ils le contraignent à combler les blancs. 


Ce sont ainsi les destinées de quatre générations qu’il retrace, celles d’« une famille sous trois Républiques (1872-2025) ». Un siècle et demi d’histoires individuelles et d’Histoire avec un grand H. Une période qui connut plus de changements que jamais auparavant, ou plutôt dont l’accélération fut telle que l’écart que nous ressentons avec nos grands-parents est peut-être plus important que celui que ces derniers connurent à l’égard de leurs propres aïeux.


S’il restitue une part de l’atmosphère des époques qui se sont succédé - la Grande guerre, le Front populaire ou la Libération - c’est surtout l’identité d’une ville que l’auteur dévoile, celle de Lyon où s’ancrent ses racines. En relatant l’histoire des différents membres de sa famille c’est en effet la géographie, physique autant que sociale, de la cité qu’il laisse transparaître. Ce faisant, c’est peut-être le temps révolu de son enfance que l'auteur cherche à retrouver, tant son récit se teinte d’accents de nostalgie. Il faut dire qu’en s’installant au Canada, il a de longue date mis quelques milliers de kilomètres entre lui-même et sa ville natale. Mais aussi entre lui-même et sa famille.


S’il s’efforce avec ce texte de la retrouver, c’est la partie relative à ceux qu’il a connus qui m’a semblé le plus réussie. En faisant appel à ses souvenirs personnels, en se remémorant les êtres qu’il a aimés, en confessant les regrets qu’il peut porter en lui de n’avoir pas toujours su leur témoigner son attachement, son récit se fait plus sensible et habité. Philippe Manevy touche alors le lecteur en plein coeur. 


Mais ce texte empreint de sensibilité offre également une autre dimension - que laissaient deviner les premières lignes qui le constituent. Il s’enrichit en effet d’une réflexion sur la littérature, et en particulier sur les récits intimes dont l’intérêt - et la légitimité - sont aujourd’hui si souvent contestés. Il récuse fort habilement le prétendu narcissisme dont notre époque serait l’objet en quelques pages parfaitement argumentées. Mais c’est bien l’entièreté de son récit qui nous démontre combien l’expérience d’un individu peut atteindre une dimension plus universelle dans laquelle le lecteur peut se reconnaître, et permettre ainsi à ce dernier de poser des mots sur ce qu’il ne ressentait jusqu’alors que confusément. Toute la grandeur de la littérature se trouve précisément là.


jeudi 2 janvier 2025

La petite bonne

Bérénice Pichat
Les Avrils, 2024


Elle n’a pas de nom, pas de traits définis, à peine un passé, une histoire qui n’intéresse personne. Aux yeux de ses maîtres, elle est interchangeable. Elle, c’est la petite bonne, celle qu’on remplace lorsque la précédente est partie, morte ou usée par le travail.


Lui est revenu de la guerre. Enfin, revenu… Sa vie tient désormais entre les quatre murs de sa maison, où il se déplace dans un fauteuil roulant. Au bout de ses bras, deux moignons. Son visage n’a plus grand chose d’humain. Il est l’une de ces gueules cassées dont chacun détourne le regard pour mieux oublier l’immense boucherie qui, quatre années durant, n’a épargné personne. Encore a-t-il la chance d’avoir une épouse dévouée qui s’est retirée du monde pour se consacrer à lui.


Mais ce sacrifice lui coûte tant. Lui préférerait la mort, plutôt que d’être l’otage de ce corps qui ne ressemble plus à rien et ne lui est plus d’aucune utilité. 


Aussi, lorsqu’Alexandrine reçoit de sa plus fidèle amie une invitation à une partie de campagne, la pousse-t-il à accepter. De la petite bonne, qui va rester à demeure avec lui en son absence, il devra faire son affaire pour l’amener à accomplir le geste qu’il est dans l’incapacité d’effectuer.


Bérénice Pichat élabore un huis-clos d’une rare intensité, où deux êtres privés d’horizon, relégués dans les marges, vont s’offrir une attention et une estime mutuelles. Par ses vers libres, forme qui surprend tout d’abord, elle entre d’emblée au plus intime de ses personnages, donne à voir leur cinglante sincérité et imprime un rythme ne laissant place à aucune espèce d’épanchement.


Un premier roman qui impressionne tant par l’acuité de son écriture que par l’âpre humanité qui s’en dégage. Il a été l’un des romans les plus abondamment cités de notre avent littéraire, et je comprends désormais pourquoi. Assurément une auteure à découvrir et à suivre.

lundi 30 décembre 2024

Je lis donc je suis

Quel reflet renvoient de nous nos lectures de l’année qui vient de s’écouler ?

Réponse en quelques titres avec le traditionnel et réjouissant

"Je lis donc je suis" initié par Noukette.
Si 2024 ne m'a pas paru la plus glamour des années, je m’attendais quand même

à quelque chose d'un peu moins sombre !

Pourtant, au vu des choix que j’ai opérés, ça aurait pu être bien pire 😄


Avec quelques heures d'avance, je vous souhaite à tous un joyeux réveillon

avant d'ouvrir grand les portes de 2025 !




Décris-toi…

Une femme de mauvaise vie


Comment te sens-tu ?

On n’est plus des gens normaux 


Décris où tu vis actuellement…

Zone base vie


Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ? 

Cabane

(dans une, hein, pas en !)


Ton moyen de transport préféré ? 

Rapatriement 


Ton/ta meilleur(e) ami(e) est…

 L'invisible madame Orwell


Toi et tes amis vous êtes…

L’usure d’un monde


Comment est le temps ?

Arctique solaire 


Quel est ton moment préféré de la journée ? 

Jour de ressac 


Qu’est la vie pour toi ?

L’étoffe du temps


Ta peur ?

Les vérités parallèles 


Quel est le conseil que tu as à donner ?

Entendre nos fantômes 


La pensée du jour…

A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit ? 


Comment aimerais tu mourir ?

A l’oeuvre 


Les conditions actuelles de ton âme ? 

La vie intime 


Ton rêve ?

La vie meilleure 



A qui le tour ?