Sébastien Ministru
Grasset, 2018
Evidemment, j'étais sensible au titre. Mais c’était pas gagné d’avance, tant, à l’approche des vacances - qui me semblent pourtant encore bien lointaines - je peine à trouver des livres capables de capter mon attention.
Vendredi dernier, à la faveur d’une RTT (ce truc indispensable à la santé mentale des salariés, certains feraient bien de se mettre ça dans le crâne !) j’ai donc laissé tomber un livre qui ne m’emballait pas pour un autre qui m’était proposé par les 68 Premières fois. Eh bien figurez-vous que j’ai avalé ce roman dans la matinée ! Certes, ce n’est pas un pavé, mais tout de même...
L’histoire tient en trois mots : un vieil homme de quatre-vingts ans quelque peu acariâtre demande à son fils, directeur de journal, de lui apprendre à lire et à écrire. Le hic, c’est que les deux hommes ont bien du mal à se parler. D’ailleurs, la première réaction d’Antoine est de ne pas prendre son père au sérieux.
Ce n’est pas qu’ils aient connu une rupture : Antoine appelle régulièrement son père et passe le voir toutes les semaines pour s’assurer que le frigo est plein et qu’il ne risque pas, à nouveau, d’oublier une casserole sur le feu... Mais entre ces deux hommes, on s’en tient au pratique, au concret, et on évite soigneusement d’aborder la rive des sentiments.
Antoine ne sait pas comment s’y prendre, et les premières séances ne sont guère convaincantes. Il fait alors appel à une tierce personne qu’il rémunère pour le remplacer. Evidemment, le vieux rechigne, car, sentant venir la mort, c’est bien une forme de rapprochement avec son fils qu’il espère sans le dire. Mais les mots lui échappent. Comment ce vieil homme d’origine sarde, arraché à l’école dès son plus jeune âge pour garder des moutons, qui, après avoir immigré, passa la majeure partie de sa vie à tirer du charbon des entrailles de la terre pourrait-il simplement dire à son fils qu’il l’aime et qu’il est fier de son parcours ?
Quant à Antoine, que la mort de sa mère lorsqu’il était enfant a privé des gestes et des mots simples de l’amour qu’il ne sait pas à son tour prodiguer, comment pourrait-il parler de son homosexualité à son père ?
Ce qui est saisissant dans ce texte, c’est de voir à quel point les choses peuvent être sues, parfois montrées, acceptées même, mais jamais exprimées. La pudeur, souvent parée du voile de l’humour, règne en maître, au point de paraître froideur. Au point d'empêcher toute forme de manifestation d'amour.
Le jeune Ron, un être sensible ayant sa propre part de mystère appelé à la rescousse par Antoine sera le médiateur indispensable à l’accession aux mots. Le vieux pourra enfin s’en emparer, Antoine parviendra quant à lui à prononcer ceux que lui dicte son cœur, permettant ainsi la libre expression des sentiments et l'instauration d'une complicité qui avait pu paraître impossible.
Ai-je besoin de vous préciser combien les dernières pages de ce livre, pourtant toujours empreintes de pudeur et de retenue, recèlent d'émotion ? Quant à moi, elles m'ont touchée en plein cœur.
Apprendre à lire, Sébastien Ministru, Grasset
Ariane, Myriam Leroy, Don Quichotte
Celui qui disait non, Adeline Baldacchino, Fayard
Eparse, Lisa Balavoine, Jean-Claude Lattès
Fugitive parce que reine, Violaine Huisman, Gallimard
L'attrape-souci, Catherine Faye, Mazarine
L'homme de Grand Soleil, Jacques Gaubil, Paul & Mike
La nuit introuvable, Gabrielle Tuloup, Philippe Rey
Les déraisons, Odile Doultremont, Editions de L'Observatoire
Les rêveurs, Isabelle Carré, Gallimard
Pays provisoire, Fanny Tonnelier, Alma
Seuls les enfants savent aimer, Cali, Cherche-Midi
Un très beau texte, plein du pudeur et d'humour aussi, sur les relations souvent complexes entre un père et son fils.
RépondreSupprimerOn est d'accord. :-)
SupprimerJ'ai déjà lu beaucoup de bien sur ce livre...
RépondreSupprimerJ'apporte ma pierre :-)
SupprimerJe le lirai si j'en ai l'occasion.
RépondreSupprimerFacile à caser, en plus, il n'est pas très long ;-)
SupprimerSébastien Ministru est un comparse de Myriam Leroy (hé oui, tous deux sont chroniqueurs). J'ai tout de même un petit faible pour l'homme!
RépondreSupprimerJe compte le lire pendant les vacances quand il sera de nouveau disponible à la bibliothèque.
Comme quoi... Autant j'ai trouvé l'un grossier et caricatural, autant j'ai trouvé l'autre fin et intelligent !
SupprimerJ'en ai lu beaucoup de bien, de ce texte :)
RépondreSupprimerIl y a de quoi !
SupprimerIl reçoit un bel accueil ce livre même si effectivement certains ont du mal à passer la barrière que tu appelles pudeur et que d'autres nomment froideur ; moi je l'ai lu avec intérêt et un certain plaisir mais il ne m'a pas émue...
RépondreSupprimerSans vouloir trop en dévoiler ici, même si la fin est attendue - vu notamment l'âge du protagoniste - et si l'auteur l'amène avec beaucoup de retenue et de finesse, elle est quand même très forte et très émouvante.
SupprimerMais c'est vrai que dans les toutes dernières pages, l'auteur se reprend et s'efforce de bannir encore l'émotion et les sentiments. Mais j'avoue que ce geste lui-même m'a touchée. Difficile de se libérer complètement et définitivement...
tu sembles vraiment conquise, je ne connaissais pas, je retiens ce titre!
RépondreSupprimerEffectivement. Et je ne m'attendais pas à une si belle rencontre.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce premier roman. Pas étonnée de sa qualité vu que Sébastien Ministru est déjà bien connu ici en Belgique pour son écriture soignée et son style sans langue de bois. Savoir qu'il s'agit aussi d'un texte inspiré de son histoire personnelle a rendu ce récit plus touchant encore. J'ai été séduite par cette relation père-fils qui a tellement été abîmée par les non-dits.
RépondreSupprimerQuant à moi, je ne le connaissais pas. Une belle découverte que je dois aux 68 :-)
SupprimerUn véritable coup de coeur pour moi aussi !
RépondreSupprimerAh, ça me fait plaisir de te retrouver sur ce livre ! D'autant qu'il ne fait pas l'unanimité, je crois...
SupprimerJe l'ai aussi dévoré d'une traite ! Sensible et juste.
RépondreSupprimer:-))
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