lundi 26 janvier 2015

Un roman français

Frédéric Beigbeder

Grasset, 2009



Prix Renaudot 2009
☀ ☀

Un régal : mieux qu'un tranxene, une lecture qui fait du bien!

Depuis les actes odieux de début janvier, j’avoue qu’il m’est toujours difficile de lire. J’ai commencé plusieurs livres que j’ai assez vite abandonnés.
Alors je me suis souvenue d’une émission sur laquelle j’étais tombée sur France Inter, au mois de décembre : il s’agissait de «Remède à la mélancolie», une émission dominicale au cours de laquelle une personnalité est invitée à parler d’elle-même. Si j’avais connu par avance l’identité de celui qu’Eva Bester recevait, j’aurais sans doute sottement renoncé à allumer ma radio. Là, j’ai écouté quelques minutes cette voix qui m’était familière, sans être certaine de la reconnaître, et j’ai donc attendu que le nom de son propriétaire soit prononcé. Ce faisant, j’ai écouté cette voix, et, à ma plus grande surprise, j’avoue avoir été très touchée par ce qu’elle exprimait !
L’homme sensible, fin et drôle que j’ai découvert à cette occasion, cessait en effet de se cacher derrière cette figure exaspérante de dandy à laquelle je m’étais arrêtée.

Ce petit détour pour expliquer la raison de mon choix. J’ai eu envie d’une voix présente au monde, mais capable en même temps de recul, de finesse et d’humour. Quelque chose de doux, mais non sirupeux. Et c’est exactement ce que j’ai trouvé !

Car, soyons clair : j’ai a-do-ré ce roman !
Ou parlons plutôt de récit autobiographique. C’est un moment très précis dans sa vie qui a conduit Frédéric Beigbeder à revenir sur son enfance. Chacun se souviendra de l’épisode rocambolesque de son interpellation alors qu’il sortait d’une boîte de nuit des beaux quartiers parisiens pour se faire un rail de coke sur le capot d’une voiture: cela fit à l’époque les choux gras de la presse. Cet habitué des palaces et de la jet-set découvrit alors l’espace de deux ou trois nuits les cellules de détention provisoire du VIIIe arrondissement, ainsi que le fameux Dépôt, situé sous Palais de Justice et connu pour son incroyable vétusté, maintes fois épinglée...
D’un coup, cet enfant gâté était projeté dans un univers qui lui était aussi étranger qu’insupportable. Profondément démuni pour faire face à cette situation, il fait un exercice d’introspection. Agissant comme une sorte de trou noir, cette incarcération lui permet de faire remonter des souvenirs d’enfance qu’il croyait oubliés. Il convoque tour à tour ses grands-parents, ses parents, son frère. Des images reviennent, des paroles, des anecdotes, et peu à peu se redessine la carte des premières années de sa vie, qu’il avait pourtant crue effacée.
Dans l’émission de France Inter, il parle d’une enfance sans problème et avoue s’être interrogé sur la pertinence qu’il y avait à la raconter.
Cette enfance plus que confortable n’est pourtant pas dénuée de fêlures, la plus importante étant due au divorce de ses parents. Dès lors, sa vie et celle de son frère Charles empruntent des chemins surprenants, faits tout à la fois de fantaisie et de rigueur, de grandeur et de décadence selon les aléas de la vie sentimentale de leur mère et selon qu’ils habitent chez elle ou chez leur père.

A l’évocation de ces souvenirs, c’est une France d’hier qui est dépeinte. La litanie des détails que Beigbeder fait resurgir trouve un écho dans la mémoire du lecteur - en tout cas de la mienne, qui ne suis sa cadette que de quelques années -, installant par là-même une tendre complicité avec lui.

C’est un personnage qui nous touche parce qu’il fait preuve de beaucoup d’intelligence et de finesse dans son observation du monde, mais aussi parce qu’il ne se départit jamais d’une bonne dose d’auto-dérision. Plus d’une fois j’ai été émue par ce qu’il disait avant d’éclater littéralement de rire à la phrase suivante. Sans doute est-ce dû à cette enfance tout en contrastes qu’il a connue. Il semble pouvoir s’intégrer dans différents milieux sans toutefois se sentir y appartenir de plein droit. Il écrit des pages très lucides sur la bourgeoisie et le sentiment de déclassement.
Si j’ai trouvé de l’intérêt à ce livre c’est parce qu’en parlant de lui-même Beigbeder parle de sentiments universels, le tout dans un style alerte et vif, empreint de sincérité et pourtant plein de pudeur, sans oublier un très brillant sens de la formule. J’avoue avoir été particulièrement sensible à ce qu’il révèle du lien qui l’unit à son frère, fait tout à la fois d’amour inconditionnel et de la nécessité de s’opposer à lui pour pouvoir exister. Des propos qui ont sans doute particulièrement interpellé la mère de deux garçons que je suis...
C’est un personnage riche et intéressant parce que continuellement en décalage : avec son milieu d’origine, bien sûr, mais plus largement parce qu’il prend plaisir à être là où on ne l’attend pas, à prendre perpétuellement le contrepied d’une situation. D’où ma surprise, mon immense plaisir à le lire... et mon envie de le retrouver rapidement dans un autre livre - que j’ai d’ores et déjà acheté !


Retrouvez ici des citations de l'auteur

Retrouvez Frédéric Beigbeder dans Remède à la mélancolie , sur France Inter

dimanche 18 janvier 2015

Les réputations


Juan Gabriel Vasquez

Le Seuil, 2014

Traduit de l'espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon



Prétendant traiter de la place des caricaturistes dans la société, l'auteur passe malheureusement complètement à côté de son sujet.

Ce livre m’a attirée dès sa sortie, en septembre dernier. Mais il y a tant de choses à lire que je tardais à m’en emparer...
Et puis, après ces trois jours funestes de janvier, sa couverture présentant une plume trempée dans une encre rouge sang et son héros, un caricaturiste colombien, l’ont remis sur le devant des lectures à ne pas laisser passer.
La quatrième de couverture présentait le roman comme une réflexion sur l’influence d’un caricaturiste politique, et sur l’examen de conscience qu’il est amené à faire pour mesurer le poids et la pertinence de son pouvoir.

Bien sûr l’attente face à un tel sujet s’était subitement démesurément amplifiée.
Malheureusement, je dois bien dire que la déception a elle aussi été de taille. 
En fait de réflexion, j’ai surtout vu un homme sans envergure, quelque peu amnésique, qui s’interroge, bien des années après que l’événement ait eu lieu, à la faveur d’une coïncidence, sur sa responsabilité dans le suicide d’un ministre phallocrate, veule et, à l’occasion, pédophile, qu’il avait croqué.

J’ai trouvé le propos traité de manière très anecdotique et, en tout cas, l’auteur n’a pas réussi à dépasser cette dimension pour traiter son sujet avec toute la profondeur  et la hauteur qu’il méritait.

C’est dommage. Et sans doute particulièrement décevant aujourd’hui.

mercredi 14 janvier 2015





















Mechtild Borrmann

Le masque, 2014



Aujourd’hui j’ai lu un livre.
Mais les mots me manquent pour en parler.
Ce livre, je l’ai commencé mardi 6 janvier au soir.
Une année nouvelle venait de s’ouvrir. Même si le contexte économique et l’état du monde n’invitaient pas à l’euphorie, on émettait des voeux de bonheur et on avait envie d’y croire.
Dans un geste qui m’est des plus naturels, un geste qui est aussi plein de promesse d’un bonheur possible, j’ai pris un livre et je l’ai commencé. Avec beaucoup de joie et de gourmandise, puisque des blogueuses que j’apprécie avaient su trouver les mots pour faire naître ma curiosité et mon désir.

Et puis mercredi, entre 11h30 et midi, le monde a basculé.
La barbarie s’est abattue sur nous.
Des hommes, une femme sont morts.
A travers eux, c’est la liberté d’expression, la liberté tout court, qu’on tentait d’assassiner.
Puis l’horreur s’est poursuivie.
Un membre de la police. Des juifs.
Des jeunes gens qui avaient la vie devant eux. Et d’autres, moins jeunes, qui n’avaient pas plus de raison de mourir. Des personnes que des fanatiques se sont autorisés à tuer parce qu’elles représentaient ce qu’ils haïssaient.
La tolérance, l’ouverture à l’autre étaient assassinées.

Alors j’ai cessé de lire. L’ultime refuge que constitue pour moi la littérature ne m’a soudain plus été d’aucun secours. Je me suis sentie comme un enfant qui réalise que les bras de sa mère, au creux desquels il se lovait, ne suffisaient plus à faire rempart à la cruauté du monde.
Pendant ces trois jours d’horreur, je n’ai pas lu.
J’ai regardé les chaînes d’information en continu. Pour essayer de réaliser. Pour me convaincre que l’inconcevable était advenu. J’ai passé des heures entières sur facebook pour partager mon effroi avec des gens que je connais et bien d’autres que je ne connais pas. Pour éprouver ce sentiment qui a connu son apothéose dimanche : celui d’appartenir à un peuple qui partage les mêmes valeurs que moi, celles de liberté, de tolérance, de solidarité, celles qui fondent notre république, qui ornent le fronton de nos institutions et qui ont brutalement retrouvé leur substance. Pour retrouver de la chaleur, pour retrouver de l’humanité.

Et puis j’ai repris mon livre.
Parce que la littérature reste mon meilleur lien avec le monde. Parce qu’elle m’aide à le comprendre. Parce qu’elle me permet de réfléchir. Parce qu’elle m’apporte, aussi, une part de rêve. Parce qu’elle est belle. Parce qu’elle est le lieu de tous les possibles. Parce qu’elle m’aide à vivre. Parce qu’elle m’aide à être. Parce que je l’aime plus que tout et parce que je n’offrirai pas à ces fous qui prétendent me terroriser le début de l’idée qu’ils pourraient avoir réussi à m’atteindre.

Alors c’est vrai, ce livre, je l’ai lu comme une somnambule et je suis incapable de vous en parler.
Mais demain plus que jamais, je continuerai à lire, à échanger avec passion autour de mes lectures, sur mon blog, sur le vôtre, sur facebook, avec mes amis, dans les librairies, dans les bibliothèques, dans les salons, partout.
Et j’affirmerai ainsi que notre liberté d’expression n’est pas près d’être vaincue.

samedi 10 janvier 2015

Pietra viva


Léonor de Récondo

Sabine Wespieser, 2013


Un beau sujet de départ, mais traité de manière très froide et distanciée. 

Je serai assez brève sur ce titre. 
D’abord parce qu’en ces jours dramatiques, la flamme qui m’anime habituellement lorsqu’il s’agit de littérature a quelque peu perdu de son éclat. 

Mais il y a aussi des raisons propres au livre lui-même. 
C’est un billet de Clara qui m’avait donné envie de le lire, et elle en parle très bien.
J’ai été attirée par le sujet et l’époque à laquelle il se déroule: un moment dans la vie de Michel-Ange, celui où il prépare son projet de tombeau commandé par Jules II et où il cherche les meilleurs blocs de marbre pour le réaliser.

L’auteur use d’un style très épuré, qui ne manque pas d’élégance, mais qui, en dehors de quelques moments de grâce, m’a paru très froid. 
Au contact d’un jeune enfant de 6 ans récemment devenu orphelin de mère et après le décès d’un jeune moine dont la beauté le fascinait, Michel-Ange, connu pour son irascibilité et son peu de sociabilité, va progressivement se laisser gagner par les émotions, retrouver le parfum de son enfance qu’il avait soigneusement enfoui au plus profond de sa mémoire et ouvrir son cœur au petit Michele.

Pour ma part, j’aurais aimé plus de chaleur, de spontanéité, moins de retenue pour raconter une telle histoire. Il m’a semblé qu’au moment où l’enfant parvenait à délivrer l’artiste de ses tourments, une libération de l’écriture aurait mieux servi le propos. Là, au contraire, rien ne permet de sentir ni de comprendre le rapprochement en train de s’opérer. Dès lors, celui-ci m’a paru un peu artificiel.

J’ai cependant bien conscience que le style de l’auteur est un style auquel je suis personnellement peu réceptive, ce qui ne signifie pas que le livre ne soit pas bon. Il est simplement destiné à d’autres lecteurs que moi.

samedi 3 janvier 2015


Le bonheur national brut

François Roux

Albin Michel, 2014

☀ ☀


Un roman très agréable, qui se lit comme on reverrait un film des années 80. 

De 1981 à 2012, de l’élection d’un président socialiste à l’autre, à travers les destinées de quatre copains, c’est tout un pan de notre histoire la plus récente que déroule François Roux.
De facture on ne peut plus classique, ce roman aura pour certains le parfum suave des souvenirs d’enfance. En l’occurrence, ces quatre personnages, que l’on découvre l’année de leur bac, n’ont que six ou sept ans de plus que moi. C’est dire si ce qui est raconté a eu pour moi la saveur incomparable d’une petite madeleine...

Construit en deux parties, le roman juxtapose deux périodes séparées par une ellipse temporelle de 25 ans rendant d’autant plus aiguë la césure, voire la fracture, qui s’est opérée entre elles. En effet, au-delà de l’évolution naturelle des personnages passés de l’état d’adolescents indécis pour les uns ou pleins de confiance en l’avenir pour les autres à celui d’hommes murs ayant tracé leur sillon, c’est un changement plus profond qui est ainsi mis en évidence. 
Si l’insouciance, l’espérance et la légèreté sont de mise dans la première partie, ce n’est pas uniquement parce que les héros sont de tout jeunes gens. Cela correspond aussi à une époque, celle qui suit les Trente glorieuses, qui, en dépit des chocs pétroliers et du chômage qui commençait à se révéler préoccupant, se caractérisait encore par un relatif espoir en l’avenir et une certaine propension à «jouir sans entraves», dont l’apparition du sida n’allait pas tarder à sonner le glas. 
Le ton est plein de verve, l’humour omniprésent. Les références à des objets, des publicités ou des personnalités aujourd’hui oubliés qui émaillent le texte sont autant de joyeuses étincelles qui feront resurgir des tréfonds de leur mémoire de tendres souvenirs aux lecteurs quadragénaires... Je ne vous révèlerai pas en quelles circonstances sont convoquées les icônes de l’aérobic que furent Véronique et Davina, mais sachez que l’évocation de leur inénarrable Tou tou you tou vaut le détour ! 

Cette première partie se clôt cependant sur un climat plus sombre, augurant déjà l’aube d’une nouvelle époque. Tandis que le sida fait ses premières victimes, que le vote d’extrême droite atteint les 10 % et que l’art apparaît de plus en plus comme une valeur marchande dépouillée de toute valeur intrinsèque, annonçant la suprématie de l’argent-roi, nos  quatre héros tentent tant bien que mal de se défendre des vicissitudes de l’existence dans un grand éclat de rire encore complice...
Rideau. 

Le ton de la seconde partie est d’emblée plus feutré. Tanguy, Rodolphe, Paul et Benoît ont vieilli, bien sûr. Certains ont fondé une famille, joué la carte de la réussite professionnelle ; tous s’interrogent sur le bien-fondé de leurs choix... Au-delà de ces questionnements intimes bien légitimes à cette période de la vie, leurs fêlures sont exacerbées par le tournant pris par la société.
Le règne de l’image, du marketing et surtout de la finance les pousse à commettre des actes dont ils essayent avec plus ou moins de succès de se convaincre du bien-fondé.
C’est un tableau plus sombre que dépeint François Roux. Harcèlement moral, évasion fiscale, politiciens carriéristes en constituent quelques-unes des touches les plus saillantes...

François Roux ne prend pas vraiment parti, il ne fait pas de critique, ni même de satire sociale, ce que certains pourront regretter. Il faut prendre cet ample roman pour ce qu’il est : une fresque fort agréable à lire, à l’issue de laquelle on s’interrogera avec l’auteur : comment trouver son propre bonheur dans un tel contexte ? Et d’abord, qu’est-ce que le bonheur ? Des questions auxquelles chacun apportera ses propres réponses...